Si cette mesure est formellement placée par le projet de loi organique dans le chapitre consacré à l’application de l’article 44 de la Constitution, le Gouvernement semble la lier, sur le fond, à une autre disposition constitutionnelle, l’article 42, qui, dans la rédaction issue de la révision constitutionnelle, prévoit que la discussion en séance publique porte sur le texte élaboré par la commission.
Les députés ont d’ailleurs adopté un amendement écartant la mesure relative à la présence du Gouvernement pour les projets de révision constitutionnelle, les projets de loi de finances et les projets de loi organique – ce sont bien sûr les textes les moins importants dans notre législation ! – qui, aux termes du deuxième alinéa de l’article 42, sont discutés en première lecture sur le texte du Gouvernement ou sur celui qui est transmis par l’autre assemblée.
Selon le Gouvernement, sa participation aux réunions des commissions lui permettrait de connaître « en temps réel » les propositions de la commission et de faire valoir, en direct, le plus en amont possible, ses positions. Cependant, ni la lettre de la Constitution ni même les travaux préparatoires ne peuvent laisser entendre que le constituant envisageait cette présence. L’article 42 ne prévoit d’ailleurs pas de renvoi à la loi organique.
Comme l’a notamment observé notre excellente collègue Mme Des Esgaulx, le rôle éminent dévolu par l’article 45 de la Constitution à la commission mixte paritaire pour élaborer un texte commun soumis à l’approbation des deux assemblées n’a jamais impliqué que le Gouvernement soit présent au sein de cette instance, même si parfois il l’aurait souhaité.
A fortiori, les responsabilités confiées aux commissions permanentes par l’article 42 de la Constitution, qui présentent une moindre portée puisque celles-ci interviennent comme des instances préparatoires en amont de la procédure législative, ne justifient pas, sur le plan juridique, la mesure proposée.
Sur le fond, la participation du Gouvernement aux délibérations en commission ne semble pas répondre à une vraie nécessité, alors qu’elle comporte de réels inconvénients.
Monsieur le secrétaire d'État, la pratique actuelle garantit une très bonne articulation entre les commissions et le Gouvernement. Celui-ci peut être entendu en commission à sa demande ou sur l’initiative des commissions, en audition close, ouverte, élargie ou non. En outre, plus en amont, le rapporteur engage des contacts préalables avec les ministères concernés. Ce sont autant d’occasions pour le Gouvernement de faire connaître son point de vue au cœur de la procédure parlementaire.
Par ailleurs, l’audition du ministre concerné par la commission compétente a toujours constitué, pour les textes les plus importants, la première étape du parcours législatif.
L’information du Gouvernement restera parfaitement assurée selon les pratiques actuelles. Il pourra être entendu avant le rapport, mais aussi entre la présentation du rapport et la séance publique.
En revanche, le dispositif proposé par le Gouvernement présente un certain nombre d’inconvénients.
En premier lieu, le choix d’inscrire le principe de la présence du Gouvernement en commission dans la loi organique ne s’accorde pas avec la règle observée jusqu’à présent et très largement respectée par la révision de juillet 2008, à savoir préserver l’autonomie de chaque assemblée en lui laissant la faculté de mettre en œuvre dans son règlement, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, les principes posés par la Constitution.
Compte tenu de leurs spécificités respectives, l’Assemblée nationale et le Sénat pourraient prévoir des modalités d’application qui leur soient propres. Lors de la révision constitutionnelle, par exemple, l’Assemblée nationale avait souhaité que les commissions soient publiques, sauf décision contraire. Le Sénat, en revanche, s’était opposé à cette idée et avait tenu à ce que les commissions restent non publiques, sauf décision contraire.
La présence du Gouvernement, y compris au moment du vote de la commission, conduirait à amoindrir, voire à supprimer la spécificité de la séance publique marquée aujourd’hui par la rencontre avec le Gouvernement sur les amendements ; la séance publique ne ferait plus, en quelque sorte, que dupliquer la réunion de la commission.
En outre, la disposition proposée, si elle devait faire l’objet d’une application systématique, supprimerait la seule étape de la procédure parlementaire où députés et sénateurs peuvent délibérer de manière autonome – nous ne sommes pas des enfants ayant besoin d’être guidés en permanence –, conformément au principe de la séparation des pouvoirs qui se caractérise, sous la Ve République, par le régime des incompatibilités entre le mandat parlementaire et les fonctions gouvernementales.
En revanche, la présence du Gouvernement sera indispensable en commission en cas de mise en œuvre des procédures d’examen simplifié. Le règlement des assemblées devra le prévoir.
En regrettant vraiment, monsieur le secrétaire d'État, d’avoir dû développer sur un mot de trop une argumentation défendant un principe auquel, je le sais, la très large majorité des sénateurs est très attachée, je conclurai en rappelant que nous devons être guidés par deux principes : d’abord, les lois organiques ne doivent contenir que ce qui est nécessaire à la mise en œuvre de la révision constitutionnelle ; ensuite, sous le contrôle du Conseil Constitutionnel, il faut permettre à chaque assemblée du Parlement de conserver l’autonomie de son organisation, comme cela est le cas actuellement.
Sur ces bases, et sous réserve de l’adoption des amendements proposés par la commission des lois, je vous invite, mes chers collègues, à voter ce projet de loi organique. Il s’inscrit dans une démarche de revalorisation du rôle du Parlement voulue par le Président de la République, que même les opposants à la révision constitutionnelle, d’une manière globale, pour d’autres raisons, pourraient apprécier, sur ce sujet, à sa juste valeur.
Il nous appartiendra, au-delà de cette révision constitutionnelle et du projet de loi organique, de faire vivre ces nouvelles règles ; la réforme du règlement de notre assemblée nous en donnera très prochainement l’occasion.