La séance est ouverte à seize heures cinq.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
J’ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel deux lettres par lesquelles il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 février 2009, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante sénateurs, d’une part, par plus de soixante députés, d’autre part, de demandes d’examen de la conformité à la Constitution de la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.
Les textes de ces saisines du Conseil constitutionnel sont disponibles au bureau de la distribution.
Acte est donné de ces communications.
Ce matin, nous devions débattre de la deuxième loi relative à l’audiovisuel, la loi organique, dont je rappelle que la discussion fut, dans l’actuelle logique affolée du Gouvernement, d’abord déclarée d’urgence, avant de revenir à un statut normal, pour finalement disparaître de l’ordre du jour du Sénat. Je trouve l’attitude de la majorité de notre assemblée par trop marquée par le silence. Pourtant la déconsidération du Sénat ne tient pas à ces errances, même si certains veulent laisser son examen en souffrance.
Prenons le recours de notre groupe CRC-SPG devant Conseil d’État. Il était double : d’abord en urgence, ensuite sur le fond. Nous avons eu une première réponse : l’urgence n’est pas retenue parce qu’il est impossible de revenir en arrière ; il faudrait plusieurs mois pour rétablir, le cas échéant, la publicité, notre recours serait donc trop tardif. Autrement dit, la démocratie peut être laissée pour compte parce qu’il est trop tard ! Voilà une aberration grossière que nous devrions tous ici méditer…
Mais le Conseil d’État n’a pas écrit que cela. Il s’est déclaré compétent – c’est important ! – pour examiner au fond la légalité de la procédure retenue par le Gouvernement, procédure qui foule aux pieds les droits du Parlement. En effet, le Conseil d’État considère que la contestation des sénateurs du groupe CRC-SPG, « en l’état de l’instruction » – ce qui signifie que celle-ci se poursuit –, « ne paraît pas insusceptible de relever de la compétence de la juridiction administrative ». Par conséquent, le recours pour excès de pouvoir est jugé fondé et sera instruit : la légalité de l’acte de Mme Albanel n’est donc pas validée, à ce jour, par le Conseil d’État.
Le fait que le Conseil d’État ne se soit prononcé que sur l’urgence et n’ait retenu aucun des arguments de droit de la ministre, tout en poursuivant l’instruction sur le fond, est un premier avertissement pour le Gouvernement. C’est aussi, pour notre assemblée, la preuve que l’affaire n’est pas classée et qu’elle doit continuer à défendre, dans un même mouvement, son honneur et la démocratie.
Comme vous venez de nous en informer, monsieur le président, le groupe socialiste a, de son côté, saisi le Conseil constitutionnel : la question qui nous préoccupe tant est donc toujours posée !
Mon cher collègue, je vous donne acte de votre rappel au règlement, bien que son lien avec le règlement soit des plus ténus.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires économiques, Jean-Paul Emorine, monsieur le rapporteur, Bruno Sido, mesdames, messieurs les sénateurs, nous arrivons à un moment assez particulier et solennel de la vie de notre pays en ce début de XXIe siècle.
Lors du débat démocratique qui a précédé l’élection présidentielle, l’ensemble des candidats à cette élection avaient pris note d’un appel de la société civile en faveur de l’ouverture d’une réflexion en profondeur sur les mutations du XXIe siècle – ce que d’aucuns ont appelé « le pacte écologique », ratifié par la quasi-totalité des candidats.
À peine élu, le Président de la République a choisi d’accomplir un geste de confiance et d’entreprendre cette radiographie en profondeur de la société française en réunissant cinq collèges – les représentants de l’État, les organisations syndicales, les entrepreneurs, toutes formes d’entreprises confondues, industrielles, de services, agricoles, les collectivités territoriales et les associations – pour bâtir une réflexion relative aux éléments économiques, de production et de consommation, à l’usage de nos territoires, à l’étalement urbain, aux problèmes d’eau, de traitement des déchets, etc. Au fond, il s’agissait d’évaluer les chances et les capacités de progrès économique et social dans un monde dont les ressources sont aujourd’hui globalement limitées, en tout cas restreintes et, dans un certain nombre de cas, abîmées.
Ce travail en profondeur a été accompli avec le concours de centaines, voire de milliers d’experts, plus de 20 000 participants aux débats de proximité en région, 15 000 contributions « lourdes » sur internet, parmi les contributions de 300 000 intervenants. Ce processus démocratique innovant partait de l’idée qu’une mutation aussi importante et complexe n’était réalisable qu’avec l’engagement de soixante-deux millions d’acteurs.
Mais notre démocratie comporte également un Parlement. L’ensemble de ce processus a fait l’objet d’un accord unanime de tous les acteurs et de tous les experts et, ensuite, s’est ouvert le temps du Parlement. Après l’Assemblée nationale, c’est maintenant au tour du Sénat de se prononcer solennellement, car c’est le Parlement qui, en dernier ressort, donne la feuille de route à la nation pour lui permettre d’entreprendre cette mutation.
J’ai résumé les grands objectifs de ce projet de loi de programmation. Bien sûr, il comprend un certain nombre de points normatifs, sur les chantiers de bâtiment, sur les transports, sur les déchets, sur la gouvernance : vous connaissez toutes ces dispositions. J’ai été frappé de voir à quel point le Sénat a pris le temps d’examiner sereinement ce texte, afin de mener à bien des discussions plus compliquées qu’il n’y paraît au premier abord. Quelque 850 amendements ont été déposés, dont un nombre important ont été adoptés, dans le respect des rôles du législatif et de l’exécutif. Le texte qui en résulte aujourd’hui offre une vision et une cohérence. Certains ont exprimé des inquiétudes, d’autres leur impatience, ce qui est bien normal.
La France est, aujourd’hui, dans un consensus républicain assez affirmé, le premier pays occidental qui accompagne à ce point la mutation de la prochaine décennie, dont l’incidence sur notre vie durera tout le demi-siècle à venir. Ne nous y trompons pas, le XXIe siècle ne sera pas la répétition du XXe siècle : il développera une autre économie, une autre façon de produire, de consommer, de respecter les espaces…
Mais cette mutation n’est pas un retour en arrière ; il ne s’agit pas d’avoir peur de tout, de se recroqueviller ; il s’agit de mettre en place une croissance verte, une croissance heureuse, à la fois économiquement viable et respectueuse de notre environnement.
Tous les pays du monde s’engagent dans cette voie. J’observe simplement qu’ils le font souvent par des décisions venues d’en haut. Or le Grenelle a véritablement mobilisé l’ensemble de la population. C’est sa caractéristique, mesdames, messieurs les sénateurs, et le texte que vous vous apprêtez aujourd’hui à voter est la validation d’un processus démocratique le plus large possible, qui laisse toutefois le dernier mot au Parlement, ce qui est légitime.
Ce texte amorce donc de grandes mutations. Il a été enrichi par le Sénat, grâce aux très nombreux amendements qui ont été déposés par l’ensemble des groupes, tant par l’UMP, l’Union centriste, le RDSE, le groupe socialiste et les Verts que par le groupe CRC-SPG.
Un consensus républicain s’est, je crois, dégagé. Chantal Jouanno et moi-même avons beaucoup apprécié le climat d’écoute réciproque et respectueuse qui a prévalu, et qui a permis que soient défendues des visions qui, finalement, se sont révélées assez proches.
Dans cette période de crise importante que vit notre pays, je n’ai qu’un souhait, mesdames, messieurs les sénateurs : que ce texte reste une forme d’exception, une capacité que nous avons, nous, Français, à bâtir un consensus sur ce qui engage l’avenir de notre pays et celui de nos enfants.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureuse que ma première expérience au Parlement ait eu lieu ici pour l’examen d’un texte aussi fort, que nous appelions d’ailleurs tous de nos vœux.
Nous avons passé environ cinquante heures ensemble, qui ne m’ont pas paru longues, loin de là.
J’ai apprécié la technicité des débats. Même s’il n’est pas habituel de mettre cet aspect en avant, cette technicité prouve que la complexité du sujet ne doit pas effrayer. En tout état de cause, il ne faut pas avoir peur de la complexité d’un sujet quand on doit prendre des décisions.
Je souligne que la commission a accompli un travail de fond extrêmement important sur ce texte.
J’ai apprécié le pragmatisme de vos positions. Le texte est sorti grandi de l’ancrage territorial dont il a bénéficié. En cela, le Sénat a joué tout son rôle. C’est un point très important parce que, si le projet de loi issu du Grenelle de l’environnement ne profitait qu’à Paris, nous n’aurions pas réussi à relever le défi auquel nous sommes confrontés. Le texte issu du Grenelle de l’environnement doit, par définition, être ancré dans nos territoires.
Le ministre d’État a bien souligné que plusieurs avancées avaient été réalisées grâce aux 263 amendements qui ont été adoptés pendant ces débats.
Certaines d’entre elles, qui me tiennent particulièrement à cœur, ont trait à la prévention des risques dans le domaine de la santé environnementale.
C’est le cas de l’introduction du carnet de santé du salarié, qui retrace ses expositions environnementales.
La création de postes de conseillers en environnement, très attendue, est un point extrêmement important.
Je me félicite également de l’information des consommateurs sur la présence de substances nanoparticulaires dans les produits.
En matière de maîtrise des déchets, plusieurs avancées ont aussi été enregistrées. Vous avez souhaité réduire de dix à cinq ans le délai pour la mise en place d’une tarification incitative. Vous avez introduit un censeur d’État dans les éco-organismes. Vous avez souhaité prendre en compte la dimension très spécifique des déchets d’ameublement.
Dans le domaine de la biodiversité, qui est aussi un sujet dont il faut parler davantage, vous avez souhaité avancer de 2020 à 2015 la date à laquelle 10 % des mers territoriales devront être protégées en outre-mer. Vous avez souhaité intégrer la question des produits phytosanitaires dans la protection des 500 points de captage les plus sensibles.
Il est un autre point que nous partageons : la prise en compte de la politique de l’herbe, la nécessité de protéger et de développer les prairies en France.
Je pense enfin à un point qui était aussi très attendu : la facilitation des procédures de mise sur le marché des préparations naturelles.
C’est finalement un message d’optimisme qui ressort des débats que nous avons eus. Il montre bien que nous avons franchi une étape. Aux Cassandre qui prédisaient que le Parlement allait détricoter le texte, vous avez prouvé que vous avez fait plus qu’adhérer aux ambitions du Grenelle, puisque vous les avez dépassées. Donc, ce texte est vraiment un beau message de soutien et d’optimisme dans le contexte actuel.
Grâce au vote qui va intervenir et dont vous avez voulu marquer le caractère solennel, nous allons probablement entrer dans une nouvelle ère.
Madame la secrétaire d’État, permettez-moi de vous dire que cette première expérience au Sénat a été particulièrement réussie et que la manière dont vous avez répondu aux questions a été fort appréciée par l’ensemble des groupes de notre assemblée.
Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voilà arrivés au terme d’un marathon parlementaire de cinquante heures environ, avec, me semble-t-il, de nombreux motifs de satisfaction.
Ce fut pour moi un honneur d’être rapporteur sur cet important projet loi. À cet égard, je remercie le président de commission des affaires économiques de m’avoir fait confiance.
Je remercie également mes collègues qui ont participé aux nombreuses auditions comme ceux qui ont pris part au débat en séance publique. Ce débat, très constructif, j’y reviendrai, nous a permis d’améliorer encore le texte.
Je tiens aussi à remercier toutes celles et tous ceux qui, tant au cabinet de M. le ministre d’État que dans nos services, ont énormément travaillé, m’ont très bien conseillé, et dont l’aide a été tout à fait profitable à la mise au point de ce texte.
Enfin, je voudrais également adresser mes remerciements aux très nombreuses personnes que nous avons auditionnées, qui ont consacré beaucoup de temps à nous apporter des explications importantes, parfois contradictoires. J’ai beaucoup appris dans ce domaine que je ne maîtrisais pas complètement et ces explications ont donc été très bénéfiques pour la suite de nos travaux.
Les débats ont été riches, denses et constructifs. Le Sénat a validé les principales conclusions du Grenelle et, surtout, respecté l’esprit du texte voté par les députés, tout en l’enrichissant significativement, puisque 263 amendements ont été adoptés.
Ces amendements concernent tous les domaines. Il s’agit notamment du rapport que le Gouvernement devra remettre très rapidement au Parlement sur l’impact de la généralisation de l’autorisation de circulation des poids lourds de 44 tonnes accompagnée de la réduction de la vitesse à 80 kilomètres par heure et de l’interdiction de dépasser sur autoroute, ou encore de la création d’un carnet de santé des travailleurs. Rassurez-vous, je n’évoquerai pas tous les points qui ont été améliorés ici même.
Ces débats se sont déroulés dans une atmosphère très consensuelle, puisque, sur les 263 amendements adoptés, 117 viennent de la commission, 33 de l’UMP, 17 de l’Union centriste, 5 du RDSE, monsieur Fortassin, 86 du groupe socialiste
Exclamations sur les travées du groupe socialiste
…et des Verts et 4 du groupe CRC–SPG. Parmi ces dispositions, je me félicite notamment que le Sénat ait adopté, sur l’initiative du groupe de l’Union centriste, l’obligation, dans les services de restauration collective de l’État, de recourir à des emballages réutilisables consignés pour les bières, les boissons gazeuses sans alcool et les eaux, ou encore, sur l’initiative du groupe socialiste, la création d’une instance chargée de garantir la transparence des expertises. Cette mesure me paraît fondamentale dans la société où nous vivons aujourd’hui.
Je tiens donc ici à remercier l’ensemble des groupes pour leur participation constructive et responsable à l’occasion de ces débats.
Je veux également, au terme de ce travail, remercier chaleureusement le président Jean-Paul Emorine de sa présence constante et de son appui à mes côtés. Sa grande expérience, beaucoup plus importante que la mienne, m’a été très précieuse tant en commission qu’en séance publique.
Enfin, monsieur le ministre d’État, je souhaite vous adresser également mes remerciements, ainsi qu’à vous-même, madame la secrétaire d’État et à M. Bussereau, aujourd'hui absent, mais qui connaît lui aussi particulièrement bien ces dossiers.
Vous avez apporté, tout au long de ces débats, votre grande compétence au service de ce projet de loi. D’ailleurs, cela s’est bien vu lors de la discussion de certains amendements dont la commission n’avait pas forcément saisi tous les enjeux et sur lesquels elle sollicitait l’avis du Gouvernement. C’était non pas pour « botter en touche », mais pour obtenir des informations supplémentaires que nous n’avions pas pu avoir auparavant, et cela a été très important pour nous.
Au final, le texte ambitieux que nous nous apprêtons à adopter témoigne de la volonté de la France d’être très volontariste sur le chemin du développement durable et de saisir la chance d’une économie durable et d’un nouveau progrès social et environnemental. Nous ne pouvons que nous en féliciter, mais il nous reste désormais, au-delà de l’affichage de l’ambition, à nous accorder sur les moyens les plus efficaces pour la mettre concrètement en œuvre.
Le Sénat sera amené, dans les prochains mois, à se pencher de nouveau sur ce sujet si important du développement durable. En effet, ce projet de loi nous reviendra en deuxième lecture, l’urgence n’étant pas déclarée, et nous examinerons également le projet de loi portant engagement national pour l’environnement, qui, lui, a été déclaré d’urgence.
Nous reparlerons donc de ce projet de loi dit « Grenelle I », je l’espère, le plus rapidement possible, et nous entrerons dans le vif du sujet à l’occasion de la discussion du texte dit « Grenelle II ». Je ne peux que souhaiter, pour l’heure, que les débats sur ce texte se déroulent dans la même ambiance que celle qui a prévalu lors de l’examen du présent projet de loi.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – M. Jean Boyer applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au terme de près de 50 heures de débat et après avoir examiné plus de 800 amendements et, peut-être, plus de 200 sous-amendements, nous voici parvenus au vote sur l’ensemble du projet de loi de programmation relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement. Je me félicite de la manière dont les débats - toujours riches et documentés - se sont déroulés tant en commission qu’en séance publique.
Je tiens à rappeler que la commission des affaires économiques, saisie au fond de ce projet de loi, s’est mobilisée, sur mon initiative, dès le début du processus de négociation innovant qu’a constitué le Grenelle de l’environnement, voulu par le Président de la République et lancé en juillet 2007.
À notre demande, le Gouvernement a accepté que le Sénat et l’Assemblée nationale désignent respectivement un représentant dans chacun des six groupes de travail. D’autres parlementaires y ont également participé, comme nos collègues Jean-François Le Grand et Marie-Christine Blandin, qui ont coprésidé le groupe de travail sur la biodiversité, soit comme représentants d’associations d’élus, comme nos collègues Dominique Braye et Paul Raoult.
Mais surtout, la commission a constitué, dès cette date, un groupe de suivi du Grenelle de l’environnement, composé de représentants de tous les groupes politiques et présidé par Bruno Sido. Ce groupe a auditionné les différents groupes de travail, préparé le débat en séance publique qui a été organisé en octobre 2007 sur le Grenelle de l’environnement et participé aux réunions de finalisation qui ont eu lieu à la fin du mois d’octobre 2008.
Une fois le projet de loi déposé par le Gouvernement, Bruno Sido a été tout naturellement choisi comme rapporteur et il a procédé à un travail considérable d’auditions et de réunions pour préparer son rapport et l’examen du texte en séance plénière.
Ces auditions étaient ouvertes à l’ensemble du groupe de suivi, ce qui a permis à chacun de prendre connaissance du texte et des enjeux qu’il portait.
Les parlementaires ont pu ainsi s’approprier ce projet de loi, qui constitue, s’agissant de la prise en compte de la préservation de l’environnement, notre feuille de route pour les dix années à venir.
Ce texte fixe les objectifs et un cadre d’actions qu’il nous faudra décliner lors de la prochaine étape, à savoir l’examen du projet de loi portant engagement national pour l’environnement.
Je me félicite, à ce sujet, du fait que le Gouvernement ait choisi de déposer ce projet de loi en première lecture sur le bureau du Sénat, car nombre de mesures proposées concernent nos territoires et les compétences des collectivités territoriales, qu’il s’agisse d’urbanisme, de transports collectifs, de gestion des déchets, de protection des espèces et des habitats, ou encore de gouvernance locale, au travers de la réforme des études d’impact et des enquêtes publiques.
Il nous faudra appréhender ce texte de manière pragmatique et réaliste, sans perdre de vue les enjeux de la « révolution écologique douce » incarnés par le Grenelle de l’environnement et salués par M. le rapporteur au début des débats.
En conclusion, je voudrais souligner, pour m’en réjouir, la qualité des débats et des relations de travail qui a prévalu depuis le début, tout d’abord au sein de la commission, grâce au travail de concertation conduit par le rapporteur, puis avec vous, monsieur le ministre d’État, et vos collaborateurs, tout au long de la préparation du rapport et du passage en séance plénière, avec M. Bussereau, secrétaire d’État chargé des transports, et avec vous-même, madame la secrétaire d’État, lors de la séance publique, qui a constitué votre baptême du feu, parfaitement réussi.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen au Sénat du projet de loi relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement laisse une impression mitigée avec, d’un côté, les consensus autour des bonnes intentions exprimées et, de l’autre, les doutes et incertitudes quant à la faisabilité des objectifs et aux moyens financiers qui y seront consacrés.
Cette introduction résume l’état d’esprit qui est le nôtre au moment du vote, à caractère solennel, de ce texte. Cette loi de programmation vise, avant tout, à donner une tonalité écologique à une politique libérale qui, depuis toujours, a privilégié la rentabilité, le productivisme, les cadences infernales aux dépens de la santé humaine et de la préservation de l’environnement. Il existe en effet un espace important entre ce qui peut apparaître comme de l’intégrisme écologique, d’un côté, et rien, ou presque, de l’autre. Ce texte veut occuper cet espace.
La crise des énergies fossiles et le réchauffement climatique annoncé pèsent lourdement sur les consciences et les réflexions, y compris à droite. Aussi était-il devenu indispensable d’aborder sous un nouvel angle les grands sujets de société relatifs à l’énergie et au développement durable.
Le Grenelle I est empreint de généralités qui touchent au changement climatique, à la consommation énergétique des bâtiments, à la politique des transports, aux énergies renouvelables, à la recherche, à la biodiversité, à l’eau, à l’agriculture, à la pêche, à la forêt, aux déchets et à la pollution de l’air. Je ne voudrais pas oublier les dispositions spécifiques à l’outre-mer, lequel est actuellement confronté à une crise du coût de la vie qui n’est pas sans liaison avec une conception très libérale des échanges, des transports et de la distribution.
Certes, il a été reproché à ce texte composé de généralités et de bonnes intentions d’entrer parfois dans le détail de mesures et d’objectifs qui auraient dû relever du Grenelle II. Ce dernier sera examiné, à notre grand regret, dans l’urgence et ne traitera pas réellement de toutes les mesures de nature à nous convaincre du caractère réalisable des intentions.
Ma collègue Evelyne Didier a souligné à ce titre le manque de mesures fiscales structurantes concernant la santé, la protection des lanceurs d’alerte et la responsabilité sociale et environnementale. La multiplication de taxes plus pénalisantes qu’incitatives va se traduire, une fois de plus, par un alourdissement des charges au détriment des plus modestes, dans les domaines les plus divers du quotidien.
Prenons l’exemple des bâtiments, et singulièrement des habitations. Le particulier doit aujourd’hui satisfaire à de nombreux contrôles quand il transmet son bien : l’amiante, les termites, le plomb, le bilan énergétique et la mise aux normes dans le cadre des services publics d’assainissement non collectif, dont le coût dépasse souvent 5 000 euros par foyer. L’isolation des habitations est également très coûteuse. Qui sera le plus pénalisé par la contribution climat-énergie ?
Qui pourra atteindre les 50 kilowattheures par mètre carré et par an sans que des mesures en faveur du pouvoir d’achat soient abordées et que la spéculation éhontée sur les terrains soit stoppée ou taxée ?
Quelles collectivités locales pourront assurer les programmes de rénovation et d’économie d’énergies si les dotations de l’État continuent de baisser, …
…si la taxe professionnelle disparaît et si les communes, elles-mêmes, sont mises à mal quant à leur existence à l’issue des travaux de la commission Balladur ?
On nous demande également, à nous élus, de favoriser la consommation de produits issus de l’agriculture biologique dans notre restauration collective. Mais un repas « bio » coûte aujourd’hui le double d’un repas conventionnel !
M. le ministre d'État fait un signe de dénégation.
Qui paie la différence ? Ce ne sont pas les familles ; c’est donc le budget de la commune ou celui de la caisse des écoles.
Qu’attendez-vous pour proposer, à l’instar de ce qui s’est fait pour les produits laitiers via l’ONILAIT ou de ce qui est en train de se faire pour les fruits à l’école, la mise en place d’un organisme destiné à subventionner la consommation de produits « bio » au sein de la restauration collective ? Je remarque d’ailleurs que ce sujet est totalement absent du Grenelle II.
En ce qui concerne l’agriculture et son évolution, j’ai eu l’occasion de souligner, dans le débat, le caractère ambitieux, et parfois irréalisable, de certaines mesures en faveur de l’évolution de la surface consacrée aux cultures biologiques. Je salue cependant les intentions affichées en matière de consommation de produits phytosanitaires, et j’ose espérer que la recherche leur portera secours.
De lourdes contradictions demeurent cependant entre les objectifs du Grenelle et les grandes orientations agricoles définies pour la France, l’Europe et l’OMC.
À titre d’exemple, le découplage total vers lequel tend l’agriculture permet d’évoluer, au gré des spéculations, vers le plus rentable : tantôt on développe les agrocarburants, au détriment de la culture de céréales, ce qui provoque des famines à l’échelle mondiale ; tantôt, on assiste à des déséquilibres nationaux ou internationaux au profit de quelques cultures momentanément rentables. La gestion actuelle des aides ne devrait pas contribuer à conduire à des comportements vertueux. Il est ainsi significatif de constater que nos amendements visant à la sécurité et à la souveraineté alimentaires n’ont pas été adoptés. Le monde de l’« agro-business » et des spéculateurs a encore de beaux jours devant lui !
À propos des transports, on peut lire à l’article 10 : « La politique durable des transports donne la priorité en matière ferroviaire au réseau existant. Cette priorité s’appuie d’abord sur sa régénération, puis sur sa modernisation. » C’est ce qu’on peut appeler « du bricolage à pas cher » ! Où sont les 80 milliards d’euros nécessaires à la construction d’un véritable réseau de fret ferroviaire offrant une alternative efficace pour permettre le développement de transports durables ?
Les dispositions contenues dans ce projet de loi de programme démontrent que le Gouvernement préfère financer l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, en taxant immédiatement les véhicules de plus de 3, 5 tonnes circulant sur le réseau non autoroutier. Dans une région comme la Bretagne, cette mesure est jugée par l’ensemble des acteurs économiques comme une véritable catastrophe économique à venir, dans la mesure où il n’y a pas d’alternative possible. Construisons d’abord ce réseau alternatif et taxons ensuite : ce serait plus logique et plus efficace !
Le texte dit « Grenelle II » sera l’occasion pour nous d’aborder le concret, de préciser les responsabilités de chacun, du producteur au consommateur final, et de proposer des alternatives autres que les taxations systématiques, ces dernières se répercutant immédiatement sur le consommateur, qui ne maîtrise pas ce qui se passe en amont.
Il nous paraît également essentiel d’aborder la question du changement de comportement que devront adopter, demain, les consommateurs eu égard aux produits, aux moyens de transformation, aux modes de vie soucieux de la matière première et de l’énergie consommées.
Au regard de ces remarques, le groupe CRC-SPG s’abstiendra, compte tenu des forts doutes qui pèsent sur l’évolution effective de la qualité environnementale de notre pays. Certes, ce texte ne sera pas sans effet sur les consciences, voire sur les comportements. Mais il est aussi de notre responsabilité politique de dire aux Françaises et aux Français : Restez vigilants, évoluez dans vos comportements, mais ne vous laissez pas taxer en lieu et place des vrais responsables.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Robert Tropeano applaudit également.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Mlle Sophie Joissains. Mes chers collègues, au terme d’un large et très complet débat, nous allons voter un projet de loi absolument majeur pour l’avenir de notre pays. En premier lieu, nous vous adressons, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, toutes nos félicitations et nos remerciements. Vous avez su nous écouter et nous faire participer à l’élaboration de ce texte.
M. Roland Courteau s’exclame.
Mes remerciements s’adressent également au président de la commission des affaires économiques, M. Emorine, qui a été omniprésent et dont l’implication au service de ce projet de loi a été totale, tant en commission que dans l’hémicycle.
Je n’oublie évidemment pas notre rapporteur, M. Sido, qui a effectué un travail absolument considérable, d’abord en amont du texte puis pendant son examen, en étudiant dans le détail plus de 800 amendements déposés.
Je tiens à signaler qu’un très grand nombre d’entre eux ont reçu un avis favorable et ont ensuite été adoptés.
Les débats, qui ont duré deux semaines, ont été à la hauteur des enjeux et ont donné au Parlement l’occasion de reconnaître la valeur du processus du Grenelle, formidable et inédit processus de consultation et de dialogue démocratique. Nous pouvons saluer ici l’initiative du Président de la République.
Si !
Le projet de loi respecte les 263 engagements du Grenelle. Il fixe des objectifs très ambitieux et répond aux questions des parlementaires qui souhaitaient des évaluations et des études d’impact, à ceux qui se préoccupaient de la fiscalité, de l’avenir de l’agriculture, de la concurrence et de l’emploi dans les entreprises. D’ailleurs, nous resterons vigilants sur le fait de ne pas alourdir les contraintes pesant sur les PME.
Ce projet répond aussi à nos interrogations concernant le rôle central que les collectivités locales sont appelées à jouer dans la mise en œuvre de ce programme. Au Sénat, nous sommes très attachés à ce que les collectivités territoriales ne supportent pas les coûts supplémentaires engendrés par le manque de moyens budgétaires de l’État.
Il est urgent de légiférer, de faire des économies d’énergie, de limiter les émissions de gaz à effet de serre, de protéger l’environnement et la biodiversité, bref, de préserver notre santé.
Notre société est en pleine mutation. La France ne doit pas se contenter d’accompagner cette mutation. Elle doit se montrer volontariste et saisir la chance d’une économie durable, d’un nouveau progrès social et environnemental.
Nous ne devons pas oublier non plus que notre avenir se joue au niveau européen, et pas simplement dans le cadre national. Plus que jamais, et la crise est malheureusement là pour nous le rappeler, l’Union fait la force. Nous devons avancer avec nos principaux partenaires européens sans distorsions afin de convaincre le reste du monde du bien-fondé de cette démarche. C’est uniquement à ce prix que l’environnement et l’économie de marché seront sources de croissance et de richesse pour le monde et pour tout le monde.
Un des grands apports du projet de loi est d’avoir permis ce débat à l’Assemblée nationale et au Sénat. Il y a encore quelques années, il aurait été inimaginable de pouvoir parler d’économies d’énergie ou d’agriculture biologique dans cet hémicycle pendant plusieurs heures. Les choses ont changé : nous avons sorti la problématique environnementale de son ghetto politique et de sa marginalité utopique pour la replacer au centre de nos préoccupations et de notre modèle économique. Et cela pour longtemps ! En tout cas, nous l’espérons.
Je souhaite que ce projet de loi, majeur pour l’avenir de notre société, recueille la plus large adhésion possible. Le groupe UMP votera ce texte qui fera date dans notre législation et constituera un exemple à suivre pour le reste du monde. Soyons, au-delà de nos sensibilités politiques, fiers d’adopter ce grand texte, qui restera, nous en sommes convaincus, l’une des très grandes lois de cette mandature.
Avec ce projet de loi, nous sommes en train de réussir un pari qui n’était pas gagné d’avance, pour la France et pour l’Europe !
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste. – M. Jacques Mézard applaudit également.
Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous apprêtons à voter un texte d’une très grande ampleur, qui résulte d’un mode de concertation remarquable méritant d’être signalé. Il honore le travail de notre assemblée puisque les débats ont été d’une grande richesse : il y a eu plus de 800 amendements déposés, et 263 d’entre eux ont été adoptés, dont plus d’une centaine venant de l’opposition.
C’est dire combien la participation de chacun d’entre nous a été fructueuse. Cela montre aussi que nous avons souvent été écoutés.
Ce texte est fondateur d’un mode de vie meilleur. Il affirme aussi une qualité de vie pour les générations futures. À l’évidence, il est porteur d’une grande espérance.
Au cours des cinquante heures de débats, nous avons eu le sentiment qu’un souffle rafraîchissant parcourait notre assemblée. Nous pouvons tous, parlementaires et membres du Gouvernement, en éprouver une légitime fierté. Il y a des moments – assez rares – où nous avons le sentiment que notre rôle de parlementaire est empreint d’une très grande noblesse. C’est à travers ce genre de texte qu’elle s’exprime, et je tenais à le souligner.
J’en arrive à l’exercice des compliments et félicitations. Cela me conduit tout naturellement à m’adresser d’abord à vous, monsieur le ministre d’État, qui avez porté ce texte et qui l’avez présenté à l’Assemblée nationale puis au Sénat. Il s’agit d’un texte équilibré, qui a été enrichi par nos travaux.
Je veux aussi adresser des compliments très appuyés à Mme la secrétaire d’État chargée de l’écologie.
Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.
Mes chers collègues, je croyais que la courtoisie était la marque de fabrique de notre assemblée.
Madame la secrétaire d’État, vous avez su démontrer durant ces nombreuses heures de débat que vous maîtrisiez parfaitement ces sujets, parfois compliqués et très techniques. Notre assemblée avait déjà vu votre nomination d’un œil extrêmement favorable. Aujourd’hui, elle vous félicite de manière unanime.
Sourires.
…même à des heures tardives, vous n’avez jamais manifesté d’impatience.
J’ai l’habitude de dire que tous les ministres sont excellents, mais qu’il y a des degrés dans l’excellence. En ce qui vous concerne, vous avez été remarquable !
Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste. – Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Je tiens également à féliciter M. le rapporteur et à M. le président de la commission, qui ont fait preuve de beaucoup d’allant et de persévérance. Pour avoir participé à quelques auditions menées par Bruno Sido, je sais que le travail de la commission a contribué à enrichir le texte.
Après ce concert de louanges, il faut bien que j’exprime quelques regrets.
À l’évidence, certains sujets ont été simplement effleurés. C’est le cas…
Sourires.
…des circuits courts, tels que la vente directe à la ferme.
Monsieur le ministre d’État, permettez-moi de vous faire une suggestion sous forme de question : ne serait-il pas possible d’attribuer une sorte de bonus à ceux qui choisissent ces circuits courts ?
Par ailleurs, il faut aller beaucoup plus loin dans les bonnes pratiques de consommation. Cela passe véritablement par de la pédagogie. Cependant, il faut faire attention, car vouloir acheter des produits biologiques à n’importe quelle saison peut avoir un effet pervers. Il arrive en effet qu’ils proviennent de pays dont la réglementation est pour le moins aléatoire. Un bon produit issu d’une agriculture traditionnelle vaut mieux donc qu’un produit biologique frelaté.
Sourires.
Nouveaux sourires.
Nous n’avons pas non plus suffisamment évoqué le problème de la sylviculture, qui souffre de nombreux maux et qui est aujourd’hui en danger. Je ne dis pas cela à cause des dernières tempêtes ; j’ai déjà eu l’occasion de le souligner.
Tout d’abord, dans les zones de montagne, la traction animale et le câble ne sont plus utilisés, alors qu’ils permettaient d’exploiter les forêts dans des endroits d’accès très difficile et où il est souhaitable de ne pas construire de route.
Ensuite, le danger est de voir un certain nombre de forêts livrées aux promoteurs immobiliers, compte tenu du retour sur investissement.
Je regrette également que l’on n’ait pas évoqué la neige de culture – même si cette année nous n’en avons pas besoin –, qui est aussi indispensable à nos stations de ski que l’irrigation à certaines formes d’agriculture.
Enfin, j’aurais aimé que le barreau de la ligne à grande vitesse Béarn-Bigorre, qui concerne un bassin de 400 000 habitants, puisse figurer dans le premier paquet, si je puis dire. Nous aurons peut-être l’occasion de reparler de cette question dans le Grenelle II, auquel bien entendu je participerai.
J’en viens à ma conclusion, monsieur le président. Comme vous le voyez, je suis plus bref que d’habitude. Je n’utiliserai donc pas mes dix minutes.
Sourires.
Je le répète, j’ai éprouvé une grande fierté à participer à ces débats et vous ne serez pas étonnés, mes chers collègues, que mon groupe émette un vote unanime sur ce texte.
Ah ! sur les travées de l ’ UMP.
Rires.
M. François Fortassin. N’oubliez jamais qu’il est nettement préférable que les herbivores continuent à manger de l’herbe !
Rires et applaudissements
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, on peut au moins reconnaître un mérite au Grenelle de l’environnement, celui d’avoir ouvert une voie : celle de la prise de conscience.
Dès les premiers travaux initiés à l’été 2007, quelques sénateurs de gauche, disons téméraires, se sont illustrés dans les groupes de travail et autres comités opérationnels organisés en nombre par le Gouvernement. Ils se reconnaîtront… En tout cas, je tiens ici à les saluer, car cela n’était pas évident.
Ce Grenelle, d’abord présenté comme « un contrat entre l’État, les collectivités territoriales, les syndicats, les entreprises et les associations », puis annoncé comme un « point de départ d’une nouvelle donne française pour l’environnement », fut dès le départ pour nous, socialistes, un « drôle d’objet politique », un OVNI environnemental.
Depuis bientôt deux ans, il alimente la chronique médiatique non seulement avec son lot d’annonces plus ou moins réalistes – foison de lignes de TGV, bonus-malus pour les voitures, plus récemment une taxe pique-nique, et j’en oublie… –, son lot d’épisodes législatifs – je pense en particulier au vote du texte improprement intitulé « loi relative aux organismes génétiquement modifiés », lesquels ont d’ailleurs été traités comme le nucléaire, c’est-à-dire hors Grenelle –, mais aussi les groupes de travail, les tables rondes, les comités opérationnels, les comités de suivi au Parlement, avec ceux qui en sont, ceux qui ont refusé d’en être. On s’y perd forcément un peu.
Un drôle d’objet politique que ce Grenelle en effet, même pour nous, socialistes, pour qui une telle démarche n’était pas une première. Je vous le rappelle, mes chers collègues, le plan national pour l’environnement, en 1990, certes moins médiatisé, n’en avait pas moins posé les fondements d’une politique environnementale ambitieuse et nouvelle pour notre pays.
À l’issue d’une concertation avec tous les acteurs et un vrai débat d’orientation au Parlement, il avait donné lieu à l’adoption des lois sur l’eau, les déchets, le bruit, les carrières, les paysages, la gestion des déchets radioactifs ainsi qu’à des mesures concernant le pot catalytique, le plan Loire, la création d’Éco-emballages, la première taxe écologique sur les déchets, la création de l’ADEME, madame la secrétaire d’État, des DIREN, ou bien encore des DRIRE.
C’est aussi le plan national pour l’environnement qui avait installé la France sur le devant de la scène internationale en matière de réchauffement climatique.
Drôle d’objet politique, ce Grenelle l’est aussi quand il fait l’objet d’un vote quasi unanime à l’Assemblée nationale, le 21 octobre, alors que les sénateurs s’apprêtaient à examiner le budget de la nation pour 2009 qui ne traduit en rien les engagements dans les faits. Ce sera sans doute une difficulté lors du Grenelle II. Et ce n’est pas la disparition de la taxe professionnelle – qui déstabilise les collectivités territoriales à l’heure actuelle – qui permettra à ces dernières de s’engager pour vous accompagner !
Drôle d’objet politique enfin, parce que ce Grenelle I en annonce un deuxième, et peut-être même un troisième, et parce que, à bien des égards, le texte qui résulte des travaux de notre assemblée est différent de celui qui a été adopté par l’Assemblée nationale.
Pour une fois, nous avons eu le temps de travailler.
Pour une fois, les débats en séance publique ont apporté des modifications sensibles au texte.
Pour une fois, vous n’avez pas déclaré l’urgence, permettant ainsi un échange enrichissant pour tous et dans une ambiance apaisée.
Pour une fois, vous nous avez permis d’exercer notre rôle, celui d’une minorité active et constructive. Ainsi, après des dizaines d’auditions, les sénateurs ont discuté près de deux semaines en séance publique d’un texte qui ne vise pas moins qu’à faire de la France l’économie la plus efficiente en équivalent carbone de la Communauté européenne d’ici à 2020.
J’en viens à l’excellence environnementale.
Comment ne pas être tenté par un tel défi, celui de l’énergie du futur, de l’alimentation saine et suffisante pour tous, du changement de nos comportements, de nos consommations et de nos vies ? Bref, le défi de ce « monde d’après », mais pas à n’importe quelles conditions !
En effet, le Grenelle devra continuer de s’améliorer pour espérer être une réelle réponse aux défis posés.
Malgré les quelque quatre-vingts amendements socialistes adoptés ces derniers jours, ce texte demeure imparfait, et vous le savez !
Vous persistez, par exemple, à refuser toute réflexion sur la régulation des tarifs de l’énergie. Vous ne dites rien des conséquences de la réhabilitation des logements pour les propriétaires modestes et surtout pour les locataires. Vous n’offrez aucune perspective durable aux travailleurs qui doivent se déplacer.
En France, l’ADEME, que vous connaissez bien, madame la secrétaire d’État, estime pourtant que la réalisation des objectifs du Grenelle aurait un effet positif de deux points de PIB en 2020. Par les temps qui courent, cela ne serait pas un luxe.
Un sondage réalisé en janvier pour France Nature Environnement confirme que les Français demeurent convaincus que développement économique et protection de l’environnement sont complémentaires. En outre, 80 % des personnes interrogées – ce qui est énorme – pensent que l’investissement dans les activités vertes peut participer au soutien de l’économie et de l’emploi. L’occasion est trop belle dans le contexte économique que nous connaissons !
Cet enthousiasme général devrait vous encourager à l’audace. Quand on est de droite, l’audace, c’est certainement d’être « social ». Dans ce registre, croyez-moi, le groupe socialiste a des idées pour vous !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l ’ UMP.
M. Daniel Raoul. Si vous mettez du temps à prendre la mesure de la colère sociale qui monte dans notre pays, nous la sentons, nous, tous les jours dans nos départements, là où, précisément, vos mesures de relance ne sont en fait que des mesures de rattrapage des contrats de projets en retard de plusieurs années.
M. Alain Vasselle s’exclame.
On l’aura peut-être compris, si le Grenelle est si consensuel, c’est parce qu’il est truffé de belles promesses. Mais ne sous-estimez pas les attentes sociales, économiques et citoyennes qui l’accompagnent.
Le Grenelle, et à travers lui le Gouvernement, devra être équitable, social et respectueux. Pour cela, le Gouvernement devra faire au moins aussi bien lors de la discussion du Grenelle II, dont nous aimerions d'ailleurs, monsieur le ministre d’État, connaître le calendrier.
Les sénateurs seront certes ravis de discuter en première lecture d’un texte aussi fondamental. Mais comment pourrais-je ne pas faire le lien aujourd’hui entre la qualité du travail parlementaire réalisé sur ce projet de loi, qui a été soulignée par plusieurs intervenants, et le texte dont nous allons débattre dès ce soir, et qui comporte une série de mesures visant à museler l’opposition parlementaire ?
Comment peut-on continuer à travailler dans l’urgence, et demain dans le huis clos des commissions, en dehors de tout contrôle démocratique ?
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Il n’a pas parlé !
Rires
Nous demandons donc que les conditions d’un bon travail parlementaire soient de nouveau assurées. Monsieur le ministre d’État, comme plus tôt leurs collègues députés, les sénatrices et les sénateurs du groupe socialiste vous disent : pourquoi pas ? Chiche ! Nous sommes prêts, comme nous vous l’avons montré au cours des deux dernières semaines. Nous voterons donc pour ce texte de mise en œuvre du Grenelle de l’environnement.
Par déformation professionnelle, à l’issue de l’examen par le Sénat, je dirais à propos de votre texte : « En progrès, mais peut mieux faire » !
Sourires
C’est un vote qui nous oblige et qui, n’en doutez pas, annonce une attention tenace et sans faille de notre part, bref, une vigilance démocratique qui fera honneur au Parlement.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées de l’Union centriste et de l’UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans un océan de lois antisociales et de décisions destructrices pour la biodiversité, la perspective du Grenelle fut un espoir : celui d’une prise de conscience, indéniable, d’un travail partagé, qui eut réellement lieu, enfin, et c’est ce qui nous rassemble, d’un texte qui porterait en lui le secours attendu pour éviter le naufrage.
Alors, véritable changement de cap ou simple canot de sauvetage ?
Nous avons obtenu de réelles avancées en matière de biodiversité : la reconnaissance des services rendus, la recherche, une étude sur le levier fiscal contre l’artificialisation, la mention du milieu insulaire, et une issue heureuse à la pitoyable histoire du purin d’orties.
Nous avons fait rétablir la mise à l’étude de « la création d’une instance propre à assurer la protection de l’alerte et de l’expertise ».
Nous avons inscrit les perturbateurs endocriniens dans les substances à réduire pour protéger notre santé et éviter les atteintes pendant la grossesse. Nous avons veillé aux droits du citoyen, à la transparence et à l’expertise des champs électromagnétiques ou des nanoparticules, à la justesse des mots en matière d’agro-carburants.
Vous avez sous-estimé notre attachement à la signature par la France des textes internationaux préservant du biopiratage et confortant les savoirs et les droits des peuples autochtones : nos destins sont liés, et le Grenelle manque de souffle sur les leviers que la France peut mettre en œuvre outre-mer et dans ses rapports avec le Sud.
Et ce ne sont pas les dizaines d’avis du rapporteur du type « cet amendement est satisfait » qui nous ont totalement comblés.
Sourires
Le plus dur fut le débat sur le volet agricole. Non, il n’est pas grossier de parler d’internalisation des impacts et des coûts environnementaux, et de réduction massive des intrants. Oui, l’autorisation du pesticide Cruiser est un scandale…
…et la moindre des choses est de donner aux apiculteurs les moyens de copiloter la demande de recherches sur les causes croisées. Non, il n’est pas acceptable de renvoyer un parlementaire qui propose de toucher à la contestable déclinaison française de la PAC à ses bottes de paille ! Au moins la notion d’agriculture intégrée a-t-elle prévalu sur l’agriculture raisonnée, et les surfaces prévues pour l’agriculture biologique sont-elles passées de l’état de vœu à celui de décision.
Trois occasions, de notre point de vue, ont été ratées.
Celle de privilégier plus radicalement la sobriété énergétique, au lieu de s’enferrer dans l’impasse nucléaire aux coûts et aux risques non maîtrisés.
Celle de la taxe carbone : vous disiez qu’il était trop complexe de toucher ainsi rapidement à la fiscalité. C’est bien connu, cela ne se décrète pas, nous venons d’en avoir un joli contre-exemple avec la suppression de la taxe professionnelle !
Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste.
Celle d’inscrire le principe d’une agriculture intégrée ou, comme le disait Mme la secrétaire d’État, « économe en intrants ».
En tant qu’élus Verts, nous constatons que le Titanic n’a pas vraiment changé de cap : la relance et les 1000 projets ont remis en marche les moteurs sans virer de bord. Le Gouvernement a repris les vieux habits du bétonneur et du pollueur. Je prendrai un simple exemple, celui des zones humides : 20 000 hectares en projet d’acquisition – fort bien ! –, une déclaration ambitieuse de Mme Jouanno – encore mieux ! –, et puis un plan de relance qui va en détruire 10 %.
Nous qui travaillons depuis des décennies à un autre mode de développement – sobriété, solidarité, symbiose avec la nature, respect de la diversité des approches –, nous pensons qu’il fallait avoir l’audace de l’épanouissement humain plutôt que l’illusion de la croissance, fut-elle paradoxalement baptisée « durable ».
Nous considérons cependant que chaque pas est bon à prendre. Nous voterons majoritairement ce texte d’orientation, mais en attendant fermement les avancées promises au cours de la navette parlementaire, et surtout des mesures concrètes dans le Grenelle II !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme de l’examen de ce projet de loi. Les débats ont été longs, mais fructueux. Ce projet de loi a été largement enrichi par le Sénat puisque plus de 260 amendements, issus de tous les groupes politiques, ont été adoptés. Je me réjouis également que les amendements du rapporteur visant à revenir à une véritable loi de programmation aient été adoptés. Il était en effet indispensable de clarifier, d’épurer et de préciser les objectifs qui sous-tendaient ce texte.
C’est d’autant plus important que ce texte est fondateur pour les temps à venir. Nous sommes aujourd’hui engagés dans une période d’évolution où nous devons faire preuve d’une forte dose de pédagogie. Il faut réussir à faire passer l’idée que, pour l’avenir de la planète, les problèmes environnementaux, au sens large, sont prioritaires et doivent progressivement être traités comme tels dans tous les secteurs où les décisions engagent de manière irréversible.
Il faut le dire, nous devons désormais envisager un développement économique et des créations d’emplois obtenus grâce à une véritable croissance nouvelle, fondée sur la promotion de technologies émergentes plus respectueuses de l’environnement ; des études réalisées par différentes instances le confirment, je n’y insisterai pas. Pour convaincre les plus réticents, il faut mettre en valeur les conclusions du rapport de sir Nicholas Stern, qui démontrent que l’inaction coûtera, à terme, largement plus cher que l’action, et que conduire une politique de développement durable en y consacrant une part du PIB raisonnable est à notre portée.
En déclenchant une réelle prise de conscience de l’urgence environnementale chez l’ensemble de nos concitoyens, le Grenelle a été un véritable succès. Il est indispensable que nous soyons tous convaincus que nous devons agir pour protéger notre environnement. On a tendance à oublier que, chaque année, la consommation d’énergie des ménages continue de croître, alors que le secteur industriel a déjà entrepris, depuis plusieurs années, sa mue énergétique.
Le projet de loi a été considérablement enrichi par le Sénat. Il est impossible d’être exhaustif et c’est pourquoi je me limiterai à citer quelques points, à mon sens essentiels.
En ce qui concerne la performance énergétique des logements neufs, nous n’avons pas modifié l’amendement « Ollier » voté à l’Assemblée nationale. En revanche, le Sénat a adopté plusieurs amendements visant à la réalisation d’une étude par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur le niveau pertinent de la modulation du seuil de 50 kilowattheures, prenant également en compte les questions liées aux facteurs de conversion d’énergie finale en énergie primaire.
Il est indispensable de poursuivre la réflexion sur ce point. Du fait du coefficient de conversion de 2, 58 appliqué à l’énergie électrique, le seuil de 50 kilowattheures est saturé sous le seul effet de la consommation d’énergie liée à un ballon d’eau chaude à accumulation. Cette disposition met en danger l’ensemble des constructions de logements sociaux neufs en zone rurale, où il n’existe pas de possibilité de chauffage au gaz. Il est indispensable, monsieur le ministre d’État, de poursuivre la réflexion sur ce sujet sensible.
En ce qui concerne les transports, de nombreuses avancées ont été réalisées, tant sur le fret que sur le transport de personnes. Je me réjouis particulièrement que le Sénat ait choisi de privilégier les lignes ferroviaires qui jouent un rôle de désenclavement. Une réflexion doit par ailleurs être engagée sur la généralisation de l’autorisation de circulation des poids lourds de 44 tonnes, ainsi que sur la réduction de la vitesse à 80 kilomètres à l’heure et l’interdiction de dépassement sur autoroute pour l’ensemble des poids lourds, mesures qui toutes vont dans le sens d’une plus grande sécurité sur les routes et d’une réduction du trafic des poids lourds.
À l’article 26, nous avons adopté à la quasi-unanimité un amendement visant à supprimer une disposition prévoyant l’effacement des ouvrages les plus problématiques. Cette suppression est conforme à l’article L. 211-1 du code de l’environnement, qui dispose que la gestion équilibrée de la ressource en eau doit permettre de satisfaire les exigences : « De l’agriculture, des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l’industrie, de la production d’énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées ». Comme vous pouvez le constater, cet article est complexe !
J’en viens à la problématique agricole. L’agriculteur que je suis regrette que l’image de l’activité agricole donnée par ce projet de loi soit quelque peu caricaturale, se réduisant à une opposition entre l’agriculture intensive, qui détruit notre environnement, et l’agriculture biologique.
Cette présentation ne reflète pas, à mon sens, la réalité agricole. Elle est d’autant plus dommageable que l’agriculture que nous avons aujourd’hui résulte directement de la mission qui lui a été confiée, à savoir nourrir les hommes. Plus de 900 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde aujourd’hui, et ce n’est pas avec la seule agriculture biologique que l’on pourra nourrir la planète. J’ai toujours défendu l’agriculture biologique, mais il convient d’être réaliste sur les rendements que l’on peut en attendre.
Si nous voulons que la France reste la grande puissance agricole qu’elle est aujourd’hui, nous ne pouvons pas totalement remettre en cause le modèle que nous avons porté jusqu’ici, et ce d’autant plus que les agriculteurs français n’ont pas attendu le Grenelle pour s’occuper de l’environnement. J’avais déposé un amendement visant à inscrire dans ce texte l’agriculture raisonnée ; il n’a pas été accepté. Il aurait pourtant permis de rendre hommage à ceux qui, avant le Grenelle, s’étaient engagés dans une démarche environnementale utile, différente et complémentaire de l’agriculture biologique.
Je me félicite aussi de l’adoption de l’amendement que j’avais présenté prévoyant une modulation de la réduction des intrants pour les filières de production qui ne disposent d’aucune molécule de substitution pour remplacer celles qui seront interdites. Les petites productions, telles que certaines cultures légumières et fruitières, ne sont pas rentables pour les sociétés privées. Néanmoins, ce sont des productions qui comptent beaucoup au niveau local. Elles assurent une véritable vitalité économique des territoires.
Nous avons également adopté des amendements visant à préserver les terres agricoles de l’artificialisation. L’agriculture doit en effet faire face à une raréfaction du foncier agricole, avec la perte de 60 000 hectares de terre cultivable chaque année.
Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il s’aggrave chaque jour un peu plus, parce que l’artificialisation est difficilement réversible.
Enfin, je me réjouis que mon amendement visant au développement des ressources en eau par la création de retenues ait été adopté. Nous avions déjà eu l’occasion de débattre de cette problématique lors de l’examen de la loi sur l’eau. La rédaction que nous avons adoptée est parfaitement conforme au code de l’environnement, qui prévoit à son article L.211-1 que la gestion durable et équilibrée de l’eau vise au développement, à la mobilisation, à la création et à la protection de la ressource en eau. Il me semblait primordial que cet objectif soit rappelé dans le texte fondateur qu’est le Grenelle I. Stocker l’eau quand elle est abondante, en prévision des périodes plus sèches, est une mesure de bon sens répondant au principe de précaution.
Cette problématique n’est pas seulement agricole. Ainsi, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies a prévenu, le 24 janvier dernier, au forum économique de Davos, que les ressources en eau étaient en train de s’épuiser. Les organisateurs du forum ont d’ailleurs publié pour la première fois un rapport consacré à cette question. En introduction, ils soulignent ceci : Nous ne pouvons tout simplement pas continuer à gérer l’eau comme nous l’avons fait par le passé, ou la sphère économique s’effondrera. Les perspectives des deux prochaines décennies, si rien ne change, donnent la chair de poule. La rareté de l’eau aura des conséquences sur la croissance économique, la sécurité humaine, l’environnement et la stabilité géopolitique.
II est donc urgent d’agir, et j’espère que la disposition adoptée par le Sénat permettra dès à présent d’anticiper sur la pénurie à venir.
En conclusion, je tenais à vous remercier, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, de la qualité de votre écoute et de votre esprit de conciliation, et à vous assurer du soutien du groupe centriste, qui votera à la quasi-unanimité votre texte.
Exclamations sur les travées de l ’ UMP.
En cette année d’élections européennes, permettez-moi enfin de souligner le travail de collègues députés européens, qui ont adopté la semaine dernière un rapport visant à définir une future politique intégrée de l’Union européenne sur le changement climatique.
Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
Le scrutin public a été décidé par la conférence des présidents.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin a lieu.
Il est procédé au comptage des votes.
Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 109 :
Nombre de votants341Nombre de suffrages exprimés312Majorité absolue des suffrages exprimés157Pour l’adoption312 Le Sénat a adopté.
Bravo ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP, de l ’ Union centriste, du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, par ce rappel au règlement, je veux m’adresser à vous et, à travers vous, à l’ensemble de mes collègues, en particulier ceux de la majorité.
Je crois que nous ne pouvons pas commencer l’examen de ce projet de loi en faisant comme si de rien n’était, comme s’il s’agissait d’un texte anodin, banal, qui verrait chacun, dans son rôle, s’exprimer en fonction de ses préférences partisanes.
Pour qu’il n’y ait pas de fausses interprétations, il me paraît utile, avant même sa discussion, de vous faire part de l’état d’esprit dans lequel nous abordons ce projet de loi fondamental, car il touche à ce qui est l’essence même de notre action, à notre raison d’être, à ce qui donne du sens à notre engagement dans la vie publique, à l’idée que nous nous faisons de notre démocratie. Je veux parler, bien évidemment, de la démocratie parlementaire, de la dignité du Parlement, du droit des parlementaires à soutenir ou à s’opposer.
Après ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale, nous abordons le débat avec inquiétude, mais aussi avec la gravité qui s’impose à ceux qui ont à cœur de préserver la mission sacrée de la représentation nationale.
Monsieur le président, depuis trois mois, nous travaillons sous votre autorité à la réforme de notre règlement. Nous le faisons, vous en conviendrez, dans un état d’esprit constructif, empreint d’ouverture aux propositions, mais aussi acquis à la concertation avec l’ensemble des groupes parlementaires qui composent notre assemblée.
Pourtant – vous le savez bien, nous l’avons évoqué à plusieurs reprises – nos échanges sont, en quelque sorte, plombés par l’existence de ce fameux article 13 du projet de loi organique, qui institue une limitation du droit d’expression des parlementaires et constitue, à nos yeux, une grave régression, car il y a une contradiction fondamentale entre la globalisation du temps de parole et le droit d’amendement, garanti pour tout parlementaire et protégé par la Constitution.
Nous ne voulons pas seulement défendre une prérogative de chaque opposant. Bien au-delà, nous voulons faire respecter la liberté d’expression de chacun d’entre nous.
Nous sommes d’autant plus inquiets que la commission propose un vote conforme sur l’article 13. Le débat serait donc clos avant même d’avoir commencé. Nous trouvons cela inacceptable !
Vous avez dit, monsieur le président, qu’il n’était pas question, pour vous, d’y porter atteinte et que la notion de temps globalisé ne serait pas appliquée au Sénat. J’en prends acte, mais est-ce bien suffisant ?
Tout d’abord, lorsque nous légiférons, nous ne nous limitons pas au Sénat, nous le faisons aussi pour l’Assemblée nationale, et nous avons vu ce qui s’y est passé.
Ensuite, nous ne légiférons pas non plus seulement pour le moment présent ou en fonction de ceux qui occupent aujourd’hui des places de responsabilité. Comme le disait le philosophe, « l’avenir dure longtemps ».
Par ce rappel au règlement, je souhaite donc, monsieur le président, appeler chacun à réfléchir sans a priori, en pensant que la majorité d’aujourd’hui peut être l’opposition de demain. Que chacun se prononce donc sur la vision qu’il a de sa fonction, l’une des plus nobles, celle de parlementaire.
J’espère avoir été entendu et je crois cela possible car, vous le savez bien, nous défendons non pas simplement nos prés carrés, mais les droits de tous les parlementaires, ainsi qu’une certaine idée des libertés dans un régime démocratique et parlementaire. Au fond, ce que nous défendons, j’ose le dire, c’est la République !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Je vous donne acte, monsieur le président, de ce rappel au règlement. Permettez-moi cependant de vous rappeler la lettre et l’esprit des propos que j’ai tenus, tant publiquement qu’au sein du groupe de travail.
En tant que président du Sénat, j’estime que la démarche que nous avons suivie dans la réorganisation de nos débats consécutive à la révision de la Constitution a consisté non pas à faire de la maîtrise du temps l’objectif numéro un, mais à imaginer une autre manière de légiférer, notamment en préparant le travail en commission et en préservant le droit d’amendement, qui est consubstantiel à chaque parlementaire.
En l’état actuel de nos travaux, menés sous la direction des deux rapporteurs, le président Jean-Jacques Hyest et Bernard Frimat, nous proposons même un certain nombre de dispositifs qui nous donnent le temps de débattre avant que soient prises des décisions qui viendraient clôturer par anticipation la discussion.
Nous entendons également que tous les sénateurs puissent s’exprimer, y compris ceux n’appartenant à aucun groupe.
Tel est notre état d’esprit ! Il devrait nous permettre de nous doter d’un règlement qui réponde aux souhaits de chacun, avec naturellement certains points de divergence, mais c’est la règle du jeu si l’on veut vraiment travailler ensemble.
Permettez-moi de vous rappeler les termes du rapport de M. Hyest, président de la commission. « Votre commission estime que les dispositions prévues par les articles 13, 13 bis et 13 ter ne devraient pas trouver d’application pour notre assemblée. Soucieuse du respect de l’autonomie de chaque assemblée, elle considère cependant qu’il n’appartient pas au Sénat de priver l’Assemblée nationale, si elle le souhaite, de la possibilité de recourir éventuellement aux dispositions autorisées par ces articles dans le cadre des garanties fixées par la loi organique. »
À présent, que nos débats s’ouvrent dans un esprit serein, en gardant comme préoccupation ce qui a tout de même été au cœur de la révision constitutionnelle, c'est-à-dire le renforcement des pouvoirs du Parlement. Nous aurons d’ailleurs l’occasion de le mesurer à partir du 1er mars prochain.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’aborder la discussion générale, je voudrais vous informer que la conférence des présidents a envisagé de retenir un point fixe, à savoir le mardi 17 février, à seize heures, pour l’examen de l’article 13 sur la durée globale du débat législatif, et en conséquence des articles 13 bis et 13 ter.
En effet, les présidents de groupe ont unanimement souhaité que la discussion de telles dispositions puisse se dérouler à un moment où chaque sénateur pourra se rendre disponible pour participer au débat.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à partir du 1er mars prochain, nous allons entrer dans une nouvelle ère institutionnelle. En effet, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 va vraiment commencer à entrer en vigueur pour sa partie parlementaire.
Dès le mois prochain seront appliquées trois des réformes emblématiques votées l’été dernier : l’ordre du jour partagé, l’examen du texte de la commission en séance publique et la limitation du recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Ce sont de grands progrès pour le Parlement. Nous n’en mesurons d’ailleurs probablement pas encore – et cela vaut tant pour les parlementaires que pour les membres du Gouvernement – la portée réelle.
Mais je peux vous assurer que nous allons connaître un tournant dans notre manière de travailler ensemble.
L’application d’une grande partie des autres dispositions constitutionnelles dépend aussi de l’adaptation de votre règlement et, pour trois d’entre elles, de l’adoption d’une loi organique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, croyez bien que le Gouvernement ne tenait pas absolument, comme je l’ai parfois entendu, à présenter une telle loi organique. Mais les articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution l’y contraignent pour mettre en œuvre les résolutions, les études d’impact et fixer le cadre d’exercice du droit d’amendement.
Le Gouvernement propose une loi organique qui n’est pas contraignante et qui laisse les plus grandes marges de manœuvre à chacune des assemblées s’agissant de son règlement : chaque chambre pourra s’organiser selon son identité propre. Tel est le premier fondement de la réforme.
Avant d’en venir au fond, je voudrais rendre ici un hommage appuyé au travail de la commission des lois et à son président et rapporteur, M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, nous nous connaissons depuis de longues années, mais je dois dire que travailler avec vous, avec les membres de votre commission, quel que soit leur groupe d’appartenance, ainsi qu’avec vos collaborateurs, est un plaisir intellectuel permanent. Et ce n’est pas là une figure de style !
J’en viens aux différents éléments de ce projet de loi organique. J’évoquerai d’abord les propositions de résolution.
Vous savez les réticences que l’Assemblée nationale a éprouvées : elle a craint que les résolutions ne redeviennent ce qu’elles étaient avant 1958, c'est-à-dire un moyen détourné de mettre en cause la responsabilité du Gouvernement. Les députés avaient même supprimé le droit de résolution avant que le Sénat le rétablisse. Finalement, l’article 34-1 est le fruit d’un compromis. Le droit de résolution est reconnu, mais le Gouvernement dispose des moyens pour éviter les détournements de procédure. Il peut lui-même déclarer irrecevables les propositions de résolutions qui mettraient en cause sa responsabilité ou qui lui adresseraient des injonctions.
Le projet de loi tire les conséquences de cette rédaction. Les propositions de résolution pourront être déposées sans limite. Nous avions prévu qu’elles soient ensuite renvoyées à une commission. Les députés ne l’ont pas souhaité, pour des raisons d’organisation de leurs travaux. Votre commission des lois estime que les commissions peuvent trouver un intérêt à s’emparer d’une proposition de résolution. La rédaction proposée par le président Jean-Jacques Hyest, qui laisse à chaque assemblée le soin de s’organiser, me paraît tout à fait équilibrée.
Le projet de loi fixe des conditions de délais pour éviter que l’on n’adopte des propositions de résolution sous le coup de l’émotion ou que l’on pratique une forme de harcèlement par le biais de cette procédure.
Enfin, le projet de loi ne permet pas que les propositions de résolution soient amendées. Chacun le comprend, il s’agit de faire en sorte que celles-ci ne puissent pas être détournées de leur objet initial et des intentions de leurs auteurs. C’est un moyen de protéger les parlementaires de l’opposition ou les parlementaires minoritaires quant au contenu de leur texte. En revanche, la proposition de résolution pourra toujours être rectifiée par son auteur.
L’idée est bien de ne pas galvauder cette procédure, qui est un nouveau mode d’expression pour les parlementaires, dans le respect de notre équilibre constitutionnel.
Le chapitre II porte sur la présentation des projets de loi. Le sujet a beaucoup intéressé les députés. Cela explique d’ailleurs que certains articles soient un peu confus – je parle sous le contrôle du président Jean-Jacques Hyest –, car ils correspondent à la synthèse de propositions de plusieurs groupes politiques.
Quel est l’objectif qui sous-tend l’article 39 de la Constitution ? Il s’agit de vous donner, mesdames, messieurs les sénateurs, les moyens de déterminer l’impact attendu d’un projet de loi. Soyons clairs : il s’agit bien d’une nouvelle contrainte pour le Gouvernement et pour les administrations. Imposer des études d’impact, c’est obliger les ministres à mieux étudier l’intérêt de passer par la loi et à s’interroger sur la qualité des textes qu’ils présentent au Parlement.
L’Assemblée nationale a beaucoup insisté sur cette discipline nouvelle et le président de sa commission des lois, Jean-Luc Warsmann, auquel je souhaite rendre hommage, a voulu en faire une véritable garantie pour les parlementaires.
Votre commission des lois a proposé des aménagements dans ce dispositif. Ils sont bienvenus, car ils clarifient les choses, tout en préservant un équilibre auquel l’Assemblée nationale et le Gouvernement sont sensibles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés que le Gouvernement entend bien donner corps à cette réforme, que l’on tente en vérité de mener à bien depuis plus de dix ans.
J’en viens au chapitre III et à l’exercice du droit d’amendement, sur lequel on a beaucoup glosé. Malheureusement, de nombreuses inexactitudes ont été énoncées, souvent sous le coup de l’émotion.
Les dispositions de ce chapitre ont effectivement suscité une polémique un peu excessive. J’espère qu’au Sénat le débat de fond sur la question de la « rénovation de la procédure législative », pour reprendre les termes du rapport de Jean-Jacques Hyest, permettra de clarifier un certain nombre d’éléments.
On ne peut pas raisonner pour l’avenir comme si rien n’avait changé le 23 juillet dernier. On ne peut laisser de côté le passage à l’ordre du jour partagé, l’examen du texte de la commission en séance, l’obligation de laisser six semaines avant le passage d’un texte en séance publique ou la limitation du recours à l’article 49–3 : ces mesures fortes auront des conséquences directes sur notre manière d’élaborer collectivement la loi.
L’objectif du Constituant est que la séance publique redevienne le lieu du débat politique, compréhensible et visible par tous. Il faut que la majorité, l’opposition et les groupes minoritaires puissent faire valoir leur point de vue devant tous les Français, de manière démocratique.
Pour cela, il faut en finir avec une idée reçue : ce n’est pas parce que la séance publique est longue que meilleure est la qualité du travail législatif. Par expérience, je ne pense pas que les discussions générales à n’en plus finir soient un gage de qualité. Souvent, les parlementaires eux-mêmes éprouvent une sorte de découragement face à la longueur des débats. De même, l’examen en séance – en l’occurrence, je parle plus pour l’Assemblée nationale que pour le Sénat – d’une profusion d’amendements techniques, voire répétitifs, se fait souvent au détriment de celui des amendements les plus significatifs, les plus porteurs politiquement. C’est dommage !
Je constate aussi que toutes les démocraties organisent la durée de leurs débats. Le rapport de Jean-Jacques Hyest, qui s’inspire des travaux passionnants de Patrice Gélard et Jean-Claude Peyronnet, montre bien que tous nos voisins ont institué des mécanismes permettant une telle organisation raisonnable et démocratique.
La révision constitutionnelle a donné un poids nouveau au travail en commission. Avec six semaines de travaux au minimum, avec la présentation en séance du texte adopté en commission, ne devraient venir en séance plénière que les véritables débats de fond, les vraies difficultés, essentiellement politiques, qui n’ont pu être réglées en commission.
Cette mise en valeur des travaux des commissions aura plusieurs conséquences.
D’abord, les travaux devront faire l’objet d’une large publicité, afin que les citoyens puissent comprendre les lois qui leur sont applicables.
Ensuite, il faudra que les parlementaires puissent voir leurs amendements examinés en commission même s’ils ne sont pas membres de la commission. Bien entendu, cela n’interdira pas un nouvel examen des propositions en séance. Mais si chacun joue le jeu, les amendements les plus techniques devraient voir leur sort réglé en commission.
Cela suppose, monsieur Hyest, que le Gouvernement puisse utilement faire valoir son point de vue à tous les stades de la procédure.
Il s’agit d’une question importante à nos yeux. Je sais qu’elle l’est également pour vous. Nous aurons certainement un débat passionnant sur ce point.
Lors de la révision constitutionnelle, deux orientations avaient clairement été évoquées, en référence d’ailleurs aux propositions du rapport Balladur.
La première consistait à permettre des procédures simplifiées plus nombreuses et à rendre ensuite possible une durée programmée des débats législatifs, pour éviter les méfaits de ce que l’on a parfois appelé l’obstruction massive.
J’ai entendu dire, ici et là, que le Gouvernement avait agi par surprise sur le sujet du temps programmé. C’est faux ! Je me permets de le souligner, car cela s’est passé ici même, au cours des débats constitutionnels au Sénat ; je dis bien au Sénat, et non à l’Assemblée nationale. Lors de nos débats, j’étais moi-même intervenu en faisant clairement référence à ces deux procédures
Le Gouvernement souhaite que la procédure simplifiée puisse se développer au-delà de ce qui existe aujourd’hui. J’espère que le droit de veto reconnu à chaque président de groupe ne sera pas un obstacle à ce développement.
S’agissant du temps programmé, nous y reviendrons longuement, monsieur Bel, notamment mardi prochain, mais je voudrais réaffirmer notre position.
L’article 13 du projet de loi organique ouvre simplement une faculté, j’y insiste, pour chaque assemblée : il ne rend pas obligatoire l’organisation d’une durée programmée des travaux législatifs. Dans le cadre du groupe de travail conduit de main de maître par le président Gérard Larcher, que je salue, j’ai compris que le Sénat n’envisageait pas de s’engager dans cette voie. C’est sa volonté et le Gouvernement la respectera.
À l’Assemblée nationale, la position sera sans doute différente, car la réalité est elle-même différente. L’obstruction y est plus courante, à gauche comme à droite, avec des milliers d’amendements déposés, parfois des dizaines de milliers sur certains textes. Si une telle pratique devenait systématique, avec l’ordre du jour partagé, elle pourrait conduire à un blocage complet de l’institution parlementaire. Ce serait le pire des paradoxes, alors que l’objet même de la révision constitutionnelle est de permettre au Parlement de jouer pleinement son rôle dans un édifice institutionnel plus équilibré.
J’ai entendu dire que le temps programmé serait contraire à la démocratie. Sincèrement, je ne vois pas très bien en quoi.
Un tel dispositif existe, sous une forme ou sous une autre, chez la plupart de nos voisins. Il a existé en France de 1935 à 1969. D’ailleurs, il a été même été introduit – je ne vais pas y faire référence à chaque fois – à la demande de personnalités que l’on ne peut pas soupçonner de vouloir attenter à la démocratie ; je pense notamment à Léon Blum, à Vincent Auriol ou à d’autres. Du reste, le président du groupe socialiste, Jean-Pierre Bel, avait lui aussi envisagé l’idée d’un mécanisme de temps partagé, …
… même si c’était avec un encadrement différent et une vision plus globale.
Au cours de nos débats, je souhaiterais que l’on évite les procès d’intention dont le Gouvernement a été l’objet à l’Assemblée nationale. C’est d’une discussion de fond dont nous avons besoin. Les données sont claires.
Certains considèrent que la révision du mois de juillet dernier ne change finalement rien et qu’il ne faut donc rien modifier. D’autres estiment au contraire que nous entrons dans une nouvelle ère en matière de relations entre le Gouvernement et le Parlement et d’organisation du travail parlementaire.
Il faut nous donner une chance de réussir cette mutation parce que, à mon sens, elle donne beaucoup plus de pouvoirs au Parlement. Le Parlement ne peut être uniquement un contre-pouvoir. C’est un pouvoir qui agit véritablement, qui a un domaine de compétences : c’est à lui qu’il appartient de donner des lois au pays.
Le projet de loi organique présente, je le crois sincèrement, un mécanisme équilibré. Les droits des groupes d’opposition et minoritaires sont réaffirmés et soyez assurés que le Conseil constitutionnel saura donner une valeur forte et utile aux dispositions de l’article 13 . C’est d’ailleurs l’intention du Président de l’Assemblée nationale, M. Accoyer.
De même, les droits des parlementaires non-inscrits, des parlementaires pris individuellement, devront être respectés par les règlements, et l’article 13 de chacune des assemblées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi est bien une nouvelle étape dans la réforme du travail parlementaire. Il permettra aux assemblées d’exercer de nouveaux droits. Il imposera de nouvelles et réelles contraintes au pouvoir exécutif. Ne les sous-estimez pas : c’est réellement un nouveau mode d’organisation qui est en train de se mettre en place.
C’est pourquoi, soucieux que la révision constitutionnelle voulue par le Président de la République puisse porter ses fruits, le Gouvernement souhaite que vous adoptiez ce projet de loi, qui ouvrira la voie à la dernière étape toute aussi décisive dans la mutation : la réforme de votre règlement.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 37 du règlement, monsieur le président.
Le groupe socialiste se félicite d’accueillir au banc du Gouvernement notre ancien collègue M. Karoutchi, mais il s’étonne que, pour ce projet de loi organique si important aux yeux du Gouvernement, le Premier ministre n’ait pas, comme à l’Assemblée nationale, fait l’honneur au Sénat de venir lui-même sinon présenter ce texte, du moins ouvrir le débat, même si on le sait occupé à d’autres travaux cruciaux.
M. Jean-Pierre Michel. Le groupe socialiste s’interroge également quant à l’absence de Mme le garde des sceaux, dont le titre même indique qu’elle est compétente dans le domaine des lois constitutionnelles et de leur application.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Je comprends très bien l’objet de ce rappel au règlement, lequel ne m’est pas destiné, j’en suis certain.
Je vous remercie, monsieur Bel !
Le Premier ministre souhaitait effectivement prononcer aujourd'hui au Sénat le discours d’introduction à ce débat, comme il l’avait fait à l’Assemblée nationale. Mais, vous le savez, il est retenu à Matignon cet après-midi par des arbitrages qu’il doit rendre sur des questions qui engagent la vie de la Nation tout entière.
Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.
Naturellement, il aurait préféré être au Sénat cet après-midi.
En tout état de cause, le présent projet de loi organique sera suivi d’autres textes relatifs à l’organisation du travail parlementaire, notamment celui que j’ai annoncé voilà quelques jours et ayant trait à l’exception d’inconstitutionnalité, que Mme le garde des sceaux viendra défendre.
Cependant, le présent texte ne concernant que le travail parlementaire, il est apparu logique, dans la répartition des tâches au sein du Gouvernement, de confier le soin de le défendre au modeste serviteur de la République chargé des relations avec le Parlement.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le président de la commission des lois, rapporteur.
Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes heureux de vous accueillir et nous nous félicitons d’avoir toujours travaillé avec vous dans la transparence et la plus grande cordialité. Je vous remercie, ainsi que vos collaborateurs, de nous faciliter la tâche.
Le projet de loi organique qui nous est soumis aurait pu apparaître d’une simplicité telle que ses quatorze articles, ou plutôt treize d’entre eux, n’auraient pas dû susciter tant de débats, de tentatives d’obstruction et d’anathèmes lors de son examen par l’Assemblée nationale. Pour avoir tenté de suivre le cheminement un peu chaotique – vous l’avez dit vous-même, monsieur le secrétaire d'État –, de la discussion de ce texte à l’Assemblée nationale, on ne peut pas affirmer qu’il en est ressorti, ni sur la forme ni sur le fond, avec plus de lisibilité que le projet initial.
Bien entendu, c’est l’article 13, instituant facultativement la fixation de délais pour l’examen d’un texte, qui a été le plus débattu, car il a pour conséquence la mise aux voix sans discussion des amendements parlementaires. J’y reviendrai en reprenant dans l’ordre les articles de la Constitution nécessitant une loi organique.
En ce qui concerne les résolutions visées à l’article 34-1, on peut être en accord avec le dispositif prévu par l’Assemblée nationale, mais il a semblé à la commission des lois que l’interdiction de déposer des amendements sur les résolutions n’empêchait pas les commissions de s’en saisir, le cas échéant, pour éclairer le débat.
Sous cette réserve, et quand nous aurons aussi disserté sur le fait de savoir si une proposition de résolution ne peut être inscrite au cours de la même session si elle a le même objet qu’une proposition antérieure et si l’irrecevabilité doit être motivée, examinons l’application de l’article 39 de la Constitution.
Sans être fanatique, comme certains, des études d’impact que sous-entend cet article, quels sont les éléments nécessaires pour la présentation des projets de loi ?
Vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, les expériences passées ont largement démontré leur vacuité, les études d’impact ayant le plus souvent été réalisées après l’élaboration des projets de loi, et ayant finalement été abandonnées.
Le projet de loi organique a été très enrichi par l’Assemblée nationale, allant jusqu’à viser certaines catégories professionnelles. Nous vous proposerons une clarification de ce dispositif, les documents joints au projet de loi devant définir les objectifs visés, recenser les options possibles en dehors de l’intervention de règles de droit nouvelles et exposer les motifs du recours à une nouvelle législation.
Souhaitons que ces dispositions, qui pourront être vérifiées sur l’initiative de la conférence des présidents de la première assemblée saisie par le Conseil constitutionnel, conduisent à une déflation législative.
L’Assemblée nationale a ajouté, notammentque devraient être fournis la liste prévisionnelle des textes d’application nécessaire, leurs orientations principales et le délai prévisionnel de leur publication, oserais-je dire dans le respect des articles 34 et 37 de la Constitution ?
Si, curieusement, aucune étude d’impact n’est envisagée pour les propositions de loi, l’Assemblée nationale en a prévu pour les dispositions non exclusives des lois de finances et de financement de la sécurité sociale, sans d’ailleurs, pour des raisons de délais, en sanctionner l’insuffisance ou l’absence. Cela nous a paru contraire à l’exclusion des lois de finances et de financement de la sécurité sociale telles qu’elles résultent de l’article 39 de la Constitution. En revanche, rien n’interdit de le prévoir dans la loi organique relative aux lois de finances, et nous vous le proposerons par un article additionnel.
Nous vous proposerons également de compléter la liste des documents devant améliorer l’information du Parlement pour les traités et accords internationaux visés à l’article 53 de la Constitution. Il en est de même pour les ordonnances, en distinguant bienle stade de l’habilitation et celui de la ratification qui, je le rappelle, ne peut plus être implicite.
Enfin, et pour éviter les amendements du Gouvernement qui ont parfois constitué de véritables projets de loi, des études d’impact peuvent être demandées, avec desrisques réels de blocage du débat, et même pour ceux des parlementaires Souhaitons que ces articles soient utilisés avec modération.
D’une manière générale, si les études d’impact constituent incontestablement un progrès et une garantie de meilleure information du Parlement, soyons attentifs – je pense aux rapports de certains grands corps de l'État ces dernières années – à ce qu’elles ne délivrent pas une vérité « univoque », qui renforcerait la technocratie et qui empêcherait, en définitive, de vrais choix politiques.
Mais il est temps d’en venir au chapitre III du projet de loi organique, qui concerne le droit d’amendement, en application de l’article 44 de la Constitution, qui dispose, dans son premier alinéa – il faut toujours rappeler les textes, même si nous les avons tous en tête ! – : « Les membres du Parlement et du Gouvernement ont le droit d’amendement. Ce droit s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par le règlement des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique. »
L’objectif du constituant, en permettant l’exercice de ce droit en séance ou en commission, visait, d’abord, la procédure d’examen simplifié de certains textes, comme cela se pratique pour certains accords internationaux, et pourquoi pas, demain, pour les lois de codification ou pour la ratification de certaines ordonnances, telles que celles concernant l’application de la législation outre-mer ; c’est l’article 12 du projet de loi.
Mais, en dehors de ce cas, le droit d’amendement s’exerce en séance, ce qui ne peut en aucun cas impliquer que l’expression orale sur les amendements soit illimitée. D’ailleurs, les règlements des assemblées prévoient une limitation, ainsi que la procédure de clôture et le vote bloqué.
L’article 13 du projet de loi, complété par les articles 13 et 13 ter, prévoit que les règlements des assemblées puissent instituer une procédure impartissant des délais pour l’examen d’un texte et déterminant les conditions dans lesquelles les amendements déposés par les parlementaires peuvent être mis aux voix sans discussion.
Vous l’avez dit, jusqu’en 1969 et elle est la règle dans presque tous les parlements d’Europe ; je vous renvoie à l’excellent rapport de nos collègues Patrice Gélard et Jean-Claude Peyronnet. Cette mesure a cependant cristallisé les oppositions.
L’Assemblée nationale a d’ailleurs complété ce dispositif par un article prévoyant que soit garanti le droit d’expression de tous les groupes parlementaires, en particulier celui des groupes d’opposition et des groupes minoritaires. Cela signifie que l’on ne peut pas limiter strictement les temps de parole, puisque les groupes d’opposition ainsi que les groupes minoritaires disposent d’un certain nombre de droits prévus par la Constitution.
L’Assemblée nationale a ajouté la possibilité d’une explication de vote personnelle sur l’ensemble pour chaque parlementaire, ce qui n’est pas le cas, à l’heure actuelle, à l’Assemblée nationale selon la procédure ordinaire, qui prévoitgénéralement une explication de vote par groupe.
Si l’Assemblée nationale – laissons la établir son règlement comme elle l’entend –, trouve le moyen d’acclimater cette procédure, nous ne saurions nous y opposer, ce qui n’implique nullement que nous y soyons contraints nous-mêmes.
En conséquence, les conclusions du groupe de travail présidé par le président du Sénat conduisent la commission des lois à ne proposer aucune modification des articles 13, 13 bis et 13, que nous n’avons pas l’intention de mettre en œuvre dans la révision de notre règlement.
Monsieur le secrétaire d'État, j’ai gardé pour la fin un alinéa de l’article 11 qui, dans la rédaction de l’Assemblée nationale, prévoit ceci : « Le Gouvernement, à sa demande ou en réponse à l’invitation d’une commission, peut-être présent lors de l’examen et du vote des amendements en commission. »
Il s’agit d’une construction intellectuelle sympathique, …
…. disons à moitié sympathique, qui n’a fait l’objet d’aucune déclaration ou débat lors de la révision de la Constitution, ce qui aurait dû être le cas s’agissant de l’article 42, qui se borne à indiquer : « La discussion des projets et des propositions de loi porte en séance sur le texte adopté par la commission ». D’ailleurs, vous avez tenu des propos extrêmement intéressants à cet égard lors du débat sur la révision constitutionnelle.
Pas de renvoi à une loi organique, pas d’évocation de ce sujet lors de la révision constitutionnelle : c’est pourquoi je vous proposerai, au nom de la commission des lois, que le règlement des assemblées détermine les modalités selon lesquelles les ministres sont entendus à leur demande en commission.
Si cette mesure est formellement placée par le projet de loi organique dans le chapitre consacré à l’application de l’article 44 de la Constitution, le Gouvernement semble la lier, sur le fond, à une autre disposition constitutionnelle, l’article 42, qui, dans la rédaction issue de la révision constitutionnelle, prévoit que la discussion en séance publique porte sur le texte élaboré par la commission.
Les députés ont d’ailleurs adopté un amendement écartant la mesure relative à la présence du Gouvernement pour les projets de révision constitutionnelle, les projets de loi de finances et les projets de loi organique – ce sont bien sûr les textes les moins importants dans notre législation ! – qui, aux termes du deuxième alinéa de l’article 42, sont discutés en première lecture sur le texte du Gouvernement ou sur celui qui est transmis par l’autre assemblée.
Selon le Gouvernement, sa participation aux réunions des commissions lui permettrait de connaître « en temps réel » les propositions de la commission et de faire valoir, en direct, le plus en amont possible, ses positions. Cependant, ni la lettre de la Constitution ni même les travaux préparatoires ne peuvent laisser entendre que le constituant envisageait cette présence. L’article 42 ne prévoit d’ailleurs pas de renvoi à la loi organique.
Comme l’a notamment observé notre excellente collègue Mme Des Esgaulx, le rôle éminent dévolu par l’article 45 de la Constitution à la commission mixte paritaire pour élaborer un texte commun soumis à l’approbation des deux assemblées n’a jamais impliqué que le Gouvernement soit présent au sein de cette instance, même si parfois il l’aurait souhaité.
A fortiori, les responsabilités confiées aux commissions permanentes par l’article 42 de la Constitution, qui présentent une moindre portée puisque celles-ci interviennent comme des instances préparatoires en amont de la procédure législative, ne justifient pas, sur le plan juridique, la mesure proposée.
Sur le fond, la participation du Gouvernement aux délibérations en commission ne semble pas répondre à une vraie nécessité, alors qu’elle comporte de réels inconvénients.
Monsieur le secrétaire d'État, la pratique actuelle garantit une très bonne articulation entre les commissions et le Gouvernement. Celui-ci peut être entendu en commission à sa demande ou sur l’initiative des commissions, en audition close, ouverte, élargie ou non. En outre, plus en amont, le rapporteur engage des contacts préalables avec les ministères concernés. Ce sont autant d’occasions pour le Gouvernement de faire connaître son point de vue au cœur de la procédure parlementaire.
Par ailleurs, l’audition du ministre concerné par la commission compétente a toujours constitué, pour les textes les plus importants, la première étape du parcours législatif.
L’information du Gouvernement restera parfaitement assurée selon les pratiques actuelles. Il pourra être entendu avant le rapport, mais aussi entre la présentation du rapport et la séance publique.
En revanche, le dispositif proposé par le Gouvernement présente un certain nombre d’inconvénients.
En premier lieu, le choix d’inscrire le principe de la présence du Gouvernement en commission dans la loi organique ne s’accorde pas avec la règle observée jusqu’à présent et très largement respectée par la révision de juillet 2008, à savoir préserver l’autonomie de chaque assemblée en lui laissant la faculté de mettre en œuvre dans son règlement, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, les principes posés par la Constitution.
Compte tenu de leurs spécificités respectives, l’Assemblée nationale et le Sénat pourraient prévoir des modalités d’application qui leur soient propres. Lors de la révision constitutionnelle, par exemple, l’Assemblée nationale avait souhaité que les commissions soient publiques, sauf décision contraire. Le Sénat, en revanche, s’était opposé à cette idée et avait tenu à ce que les commissions restent non publiques, sauf décision contraire.
La présence du Gouvernement, y compris au moment du vote de la commission, conduirait à amoindrir, voire à supprimer la spécificité de la séance publique marquée aujourd’hui par la rencontre avec le Gouvernement sur les amendements ; la séance publique ne ferait plus, en quelque sorte, que dupliquer la réunion de la commission.
En outre, la disposition proposée, si elle devait faire l’objet d’une application systématique, supprimerait la seule étape de la procédure parlementaire où députés et sénateurs peuvent délibérer de manière autonome – nous ne sommes pas des enfants ayant besoin d’être guidés en permanence –, conformément au principe de la séparation des pouvoirs qui se caractérise, sous la Ve République, par le régime des incompatibilités entre le mandat parlementaire et les fonctions gouvernementales.
En revanche, la présence du Gouvernement sera indispensable en commission en cas de mise en œuvre des procédures d’examen simplifié. Le règlement des assemblées devra le prévoir.
En regrettant vraiment, monsieur le secrétaire d'État, d’avoir dû développer sur un mot de trop une argumentation défendant un principe auquel, je le sais, la très large majorité des sénateurs est très attachée, je conclurai en rappelant que nous devons être guidés par deux principes : d’abord, les lois organiques ne doivent contenir que ce qui est nécessaire à la mise en œuvre de la révision constitutionnelle ; ensuite, sous le contrôle du Conseil Constitutionnel, il faut permettre à chaque assemblée du Parlement de conserver l’autonomie de son organisation, comme cela est le cas actuellement.
Sur ces bases, et sous réserve de l’adoption des amendements proposés par la commission des lois, je vous invite, mes chers collègues, à voter ce projet de loi organique. Il s’inscrit dans une démarche de revalorisation du rôle du Parlement voulue par le Président de la République, que même les opposants à la révision constitutionnelle, d’une manière globale, pour d’autres raisons, pourraient apprécier, sur ce sujet, à sa juste valeur.
Il nous appartiendra, au-delà de cette révision constitutionnelle et du projet de loi organique, de faire vivre ces nouvelles règles ; la réforme du règlement de notre assemblée nous en donnera très prochainement l’occasion.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
M. Roland du Luart remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la présentation du rapport de Jean-Jacques Hyest étant assez complète, les orateurs du groupe UMP auront peu de choses à ajouter.
L’article 46 de la Constitution définit ce qu’est une loi organique : c’est un peu comme un règlement d’administration publique par rapport à une loi ; elle a vocation à compléter la Constitution afin d’éviter que celle-ci n’entre dans des détails inutiles.
Les lois organiques obéissent à des règles particulières, qu’il convient de rappeler.
Tout d’abord, les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées. Nous retrouvons donc la plénitude de nos attributions parlementaires ; nous sommes à égalité avec l’Assemblée nationale et nous n’avons pas à nous soumettre à des oukases, de quelque nature qu’ils soient, quand les intérêts suprêmes du Sénat sont en cause.
Ensuite, les lois organiques sont contrôlées par le Conseil constitutionnel, et il ne s’agit pas d’un vain contrôle.
Par exemple, pour ce qui est de la loi organique portant application de l’article 25 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a bien démontré qu’il entendait exercer la plénitude de ses attributions s’agissant du contrôle des lois organiques.
Je rappelle que nous n’avons pas fini notre travail de législateur organique. En effet, la révision constitutionnelle du 23 juillet dernier a prévu une multitude de lois organiques. Nous avons déjà adopté la loi organique portant application de l’article 25 de la Constitution. Nous examinons aujourd'hui la loi organique relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
D’autres textes nous attendent, qui sont tout aussi importants, dans une certaine mesure.
Il y aura tout d’abord la loi organique prévue par l’article 61-1 de la Constitution concernant le Conseil constitutionnel et cette grande innovation qu’est le recours en inconstitutionnalité à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction.
L’article 65, premier alinéa, prévoit une loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature.
L’article 69 prévoit une loi organique sur le Conseil économique, social et environnemental.
Enfin, l’article 71-1 prévoit une loi organique sur le Défenseur des droits.
Et je n’aurai garde d’oublier les deux lois organiques prévues par l’article 13 sur les nominations en conseil des ministres et sur l’avis des commissions compétentes du Parlement.
Donc, un important travail nous attend dans les mois à venir, le tout devant être terminé, en principe, pour le mois de juin prochain.
La loi organique que nous examinons aujourd'hui concerne trois articles de la Constitution.
La Constitution avait-elle besoin de ces lois organiques ? Le secrétaire d'État et le rapporteur ont répondu : puisque la Constitution le prévoit, il est nécessaire d’adopter une loi organique pour compléter et clarifier les dispositions constitutionnelles
Notre excellent rapporteur l’a expliqué à l’instant, sont en cause les articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ; ils concernent respectivement les propositions de résolution, la présentation des projets de loi et le droit d’amendement.
L’article 34-1 ne pose pas beaucoup de problèmes, si ce n’est le fait que la Constitution, comme la loi organique, ne donne pas de définition de la résolution ; plus exactement, elle en donne une définition négative : la résolution ne peut pas mettre en cause la responsabilité du Gouvernement et elle ne peut pas constituer une injonction à l’encontre du Gouvernement.
Donc, on sait ce que l’on ne pourra pas faire, mais on ne sait pas trop ce que l’on pourra faire. Quelle sera la différence entre une résolution et une question orale avec débat ? Une résolution pourra-t-elle contenir des vœux pieux ?
Il reviendra à la jurisprudence de nos assemblées de définir, au fur et à mesure de nos travaux, ce qu’est une résolution, sous le contrôle, naturellement, du Gouvernement, qui dispose dans ce domaine d’un droit lui permettant de déclarer irrecevable toute résolution qu’il estimera être une injonction à son encontre ou une mise en cause déguisée de sa responsabilité.
En principe, les résolutions ne seront pas renvoyées aux commissions, bien qu’elles pourraient l’être facultativement. Par ailleurs, elles ne pourront pas être amendées, ce qui est une bonne chose.
La commission a proposé un certain nombre d’améliorations de forme, mais, pour l’essentiel, elle s’en tient au texte original du Gouvernement, amendé légèrement par l’Assemblée nationale.
Le chapitre II concerne les dispositions relatives à la présentation des projets de loi. La commission proposera quelques modifications, mais celles-ci sont moins importantes qu’on pourrait le croire.
Je rappelle tout d’abord que le législateur avait rendu obligatoire, dans le passé, les études d’impact. Or il y en a rarement eu, même si elles ont été réclamées sur telles ou telles travées. Désormais, les études d’impact devront être réalisées et il s’agira bien plus qu’un simple exposé des motifs.
J’éprouve tout de même une petite inquiétude, partiellement atténuée par l’amendement de la commission : l’étude d’impact ne doit pas être plus importante que la loi elle-même, …
…au point d’accaparer tout le temps de préparation de la loi et de risquer de noyer les parlementaires.
Il nous reviendra de nous montrer raisonnables dans le déroulement de la procédure et de veiller à ne pas faire de l’étude d’impact une espèce de monstruosité. Il n’en reste pas moins que la réalisation d’études d’impact est souhaitable.
Je me félicite également du fait que des dispositions spécifiques soient prévues pour les lois de finances, les lois de financement de la sécurité sociale et les lois de programmation. M. le rapporteur a très habilement renvoyé ce point à une autre loi organique.
De même, M. le rapporteur a très bien noté qu’il était impossible de procéder à des études d’impact s’agissant de l’état de crise. On peut seulement constater qu’il y a une crise !
On ne peut pas non plus, en toute logique, appliquer les études d’impact aux ordonnances ou aux ratifications d’ordonnance.
Sur ce point, le chapitre II appelle peu de commentaires. Certes, nous pourrions gloser longuement sur le contenu des études d’impact et en faire un inventaire à la Prévert. Heureusement, nous restons concis et nous évitons la multiplication de textes qui rendrait pratiquement inapplicables les dispositions de ce chapitre II.
Le chapitre III, qui porte sur le droit d’amendement, est celui dont l’examen nous retiendra le plus longtemps. Il a d'ailleurs déjà beaucoup occupé M. le rapporteur et, dans une certaine mesure, M. le secrétaire d'État.
Jean-Claude Peyronnet et moi-même avons fait le tour des parlements européens, et nous avons constaté que c’était en France que le droit d’amendement était le plus étendu et le plus important.
C’est un droit inaliénable – et non imprescriptible, puisqu’il n’existe pas de prescription en la matière – qui appartient à tout parlementaire.
Il s’agit en partie d’une exception française, que l’on ne retrouve pas au Parlement européen, et dont l’explication est simple : la France privilégie le droit individuel des parlementaires …
… alors que, dans la plupart des autres pays européens, ce sont les droits des groupes politiques qui ont la priorité.
Peut-être d'ailleurs n’avons-nous pas été assez loin dans notre réflexion sur ce que devrait être le droit des groupes, qu’il faut reconnaître tout en garantissant le droit d’expression individuelle de chaque parlementaire.
À titre personnel, j’apprécierais que, à l’avenir, les groupes politiques deviennent les partenaires privilégiés du Gouvernement, qui travaillerait avec eux avant d’examiner les opinions divergentes de tel ou tel d’entre nous.
Sourires sur les travées de l ’ UMP.
En ce qui concerne le droit d’amendement, M. le secrétaire d'État et M. le rapporteur ont soulevé un problème important, qui porte sur l’intervention du Gouvernement.
Tout d'abord, l’article 31 de la Constitution, que personne n’a encore cité, aurait pu nous dispenser de certaines des dispositions du projet de loi organique, notamment son article 11, qui prévoit la présence du Gouvernement lors des travaux en commission. En effet, aux termes de l’article 31 de la Constitution : « Les membres du Gouvernement ont accès aux deux assemblées. Ils sont entendus quand ils le demandent.
« Ils peuvent se faire assister par des commissaires du Gouvernement. »
Ce n’est pas précisé, monsieur le rapporteur, et nous pouvons donc nous demander si cette disposition n’aurait pas pu s’appliquer également aux travaux en commission.
Sur cette question, je m’exprimerai non pas au nom du groupe, mais à titre personnel. Le Gouvernement doit toujours expliquer ses intentions et réagir aux amendements déposés et approuvés par la commission, me semble-t-il, mais il a tout intérêt à ne pas être présent en permanence. En effet, si le ministre assiste à toutes les réunions de commission, il deviendra un commissaire, ce qui n’est pas son rôle, et il se heurtera sans cesse à ceux qui s’opposent à son texte.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Non, c’est impossible !
Sourires
Par conséquent, ceux qui ont vocation à soutenir le Gouvernement se trouveront dans une situation difficile, …
… car ils devront prendre parti dans le duel opposant le ministre aux adversaires du texte, qui ne se confondent pas nécessairement avec l’opposition proprement dite.
Je crois que le Gouvernement a tout intérêt à manœuvrer dans l’ombre.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Je m’explique, mes chers collègues : le Gouvernement a toujours fait déposer des amendements par des parlementaires amis ; cette pratique se rencontre d'ailleurs également aux États-Unis. De même, le Gouvernement a toujours su utiliser le droit d’amendement en séance publique après l’examen d’un texte en commission. Il a donc tout intérêt à disposer de la plus grande marge de manœuvre possible.
Si le Gouvernement est mis en minorité en commission – nous pouvons imaginer un tel cas de figure ! –, il ne disposera plus d’aucun moyen pour intervenir ultérieurement en séance publique.
Je crois donc que la solution que préconise notre rapporteur est la bonne. Elle permet de différencier l’Assemblée nationale et le Sénat. D'ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, je me permets de vous rappeler que les deux assemblées diffèrent profondément dans leur composition.
À l’Assemblée nationale, en raison du mode de scrutin actuel, qui n’est pas modifié, il y aura toujours une majorité gouvernementale.
M. Patrice Gélard. Dans chaque commission, il y aura donc une majorité gouvernementale, ce qui n’est pas du tout le cas à la Haute Assemblée : au Sénat, il n’existe plus de groupe majoritaire ; il n’y a que des groupes minoritaires !
Sourires.
Par conséquent, on ne peut affirmer que la présence du Gouvernement sera un élément positif pour certains. Au contraire, elle risque de cabrer tel ou tel groupe minoritaire.
En d’autres termes, en ce qui concerne le travail en commission, les règles applicables ne peuvent être les mêmes à l’Assemblée nationale et au Sénat. Tel est le premier point que je voulais souligner.
S'agissant des articles 13, 13 bis et 13 ter du projet de loi organique, je ne répéterai pas les propos qu’a tenus tout à l'heure M. le rapporteur, dont l’argumentation a été convaincante. Ces dispositions ne portent en rien atteinte à l’autonomie de chacune des assemblées : le règlement que nous sommes en train de préparer ne sera pas le même que celui de l’Assemblée nationale.
Nous sommes en train de débattre d’un projet de loi organique, pas du règlement du Sénat !
Le président du Sénat s’y est engagé, et c'est pourquoi je m’en tiendrai aux propositions de M. le rapporteur.
Pour conclure, je rappellerai que le projet de loi organique qui nous est présenté aujourd'hui, tel que propose de l’amender notre rapporteur, …
Certes, nous pouvons regretter le développement trop important des études d’impact dans le projet de loi organique, mais nous pouvons nous en satisfaire. De même, l’application de l’article 34-1 n’est peut-être pas aussi étendue que le permettrait la révision constitutionnelle.
Toutefois, il s'agissait de problèmes très difficiles à résoudre, et le groupe UMP se ralliera tout naturellement aux propositions de la commission.
En revanche, l’application de cette loi organique exigera de tous beaucoup de vertu républicaine et parlementaire. Il en faudra au Gouvernement, …
… qui ne devra pas harceler le Parlement en déposant en permanence des amendements qui perturberaient notre travail en commission et en séance publique.
Les groupes politiques devront aussi faire preuve d’un minimum de discipline, afin que nous ne perdions pas trop de temps. Mes chers collègues, n’oubliez pas que nous disposons maintenant de délais plus étendus, avec six semaines de réflexion et de discussion, et que les projets de loi ne pourront donc être adoptés aussi rapidement qu’ils l’étaient parfois dans le passé.
En outre, la procédure d’urgence ne pourra plus s’appliquer de la même façon et certaines semaines de séance publique seront consacrées non plus seulement à l’adoption des textes, mais également au contrôle du Gouvernement. Indépendamment même de toute limitation de notre temps de parole, nous devrons donc, je le répète, nous discipliner, de sorte que les textes finissent tout de même par être adoptés.
Enfin, chaque parlementaire, à quelque groupe qu’il appartienne, ne devra pas déposer des amendements à tout bout de champ ou multiplier les interventions, sinon la réforme sera inapplicable et nous serons tous obligés de retourner à Versailles …
M. Patrice Gélard. …afin de rendre plus dure la révision constitutionnelle.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
M. Patrice Gélard. Mes chers collègues, appliquons cette réforme avec le même esprit que celui qui a sous-tendu la révision constitutionnelle de 2008 !
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme il est loin le temps où l’article 1er de la loi du 25 février 1875 s’appliquait et avait valeur constitutionnelle ! C’était le temps des radicaux, me direz-vous, monsieur le secrétaire d'État. Mais c’était aussi celui du Parlement.
L’article 1er de cette loi disposait : « Le pouvoir législatif s’exerce par deux chambres : la Chambre des députés et le Sénat » ; et c’est tout : aucune mention du Gouvernement !
Ainsi, quel que soit le domaine de son intervention, le Parlement avait toute compétence pour statuer sur l’ensemble des problèmes. Sa décision n’était soumise à aucune limitation, ni de procédure ni de contrôle de constitutionnalité.
C’est avec des textes aussi courts et des articles aussi favorables au pouvoir législatif que les parlementaires de l’époque ont fondé et construit la République, avec ses valeurs, que l’on a parfois tendance à oublier aujourd’hui et dont mon groupe parlementaire porte si fièrement l’héritage, au-delà de tout clivage et de tout manichéisme, ...
… quitte à apparaître parfois comme anachronique, alors qu’une Ve République simplificatrice ne cesse, depuis plus de cinquante ans, d’opposer au sein de la vie parlementaire la majorité et l’opposition, selon une logique bipolaire, au détriment du pluralisme des idées et des convictions.
Autre tendance lourde et concomitante, propre à la Ve République, la logique dite de « rationalisation », qui n’a cessé de se renforcer et de s’accélérer. Les constituants de 1958 ont profondément inversé l’équilibre constitutionnel qui prévalait depuis 1875, en limitant le domaine de la loi et en encadrant la procédure législative. Et depuis 1958, c’est le déséquilibre qui prédomine, en faveur d’un exécutif tout puissant et au détriment d’un Parlement dépossédé de son ordre du jour.
Depuis la parution du Coup d’Etat permanent, en 1964, ce thème du déclin du Parlement n’a cessé d’être une constante, tout autant que celui de la nécessaire revalorisation du rôle des assemblées.
Combien de candidats à l’élection présidentielle et combien de présidents élus n’ont-ils pas promis de renforcer le rôle du Parlement, en vain ? À la suite de son élection, en 1995, Jacques Chirac indiquait qu’il fallait « remettre le Parlement à sa vraie place, une place centrale » et que celui-ci « devait redevenir le lieu privilégié et naturel du débat politique ».
Aussi, vous comprendrez pourquoi nous demeurons encore aujourd’hui méfiants et cartésiens. L’histoire récente, qu’elle soit politique ou constitutionnelle, nous incite à la plus grande prudence, voire au scepticisme. Elle nous autorise à douter, sans toutefois tomber dans une lecture politicienne.
Par conséquent, avançons lentement vers cette revalorisation des droits du Parlement, que vous dites porter, monsieur le secrétaire d'État.
L’heure serait-elle enfin venue d’une procédure législative plus avantageuse pour les assemblées, les parlementaires et les groupes auxquels ceux-ci appartiennent ? Le Gouvernement aurait-il l’intention d’abandonner certaines de ses prérogatives législatives si jalousement conservées depuis plus de cinquante ans ?
La révision constitutionnelle adoptée le 21 juillet dernier ouvre certainement la voie à une possible revalorisation du Parlement et à un éventuel rééquilibrage de la relation aujourd’hui trop inégale entre les pouvoirs exécutif et législatif. Toutefois, cette revalorisation ne peut être effective que si les lois organiques et les modifications des règlements des assemblées parlementaires contribuent réellement à lui donner corps.
D’où l’enjeu de ce projet de loi organique relatif au travail législatif et à la nouvelle procédure parlementaire, après les modifications apportées l’été dernier aux articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
Cependant, l’enjeu véritable, mes chers collègues, se situe ailleurs : il réside dans la réforme de notre règlement que nous serons amenés à adopter dans les prochaines semaines ; j’y reviendrai.
Pour l’heure, évoquons ce projet de loi organique, qui nous arrive de l’Assemblée nationale après un examen pour le moins mouvementé et agité… Force est de constater qu’il a été profondément modifié par les députés, essentiellement, il faut en convenir, ceux de la majorité, à cause de l’attitude de nos collègues députés socialistes. Ces derniers ont mêlé obstruction, boycott et mise en scène, auxquels n’ont pas pris part les députés radicaux de gauche. De même, nos collègues sénateurs socialistes – je les en félicite sans attendre – feront preuve dans ce débat d’une grande sagesse.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
Pour l’heure, oublions le contexte politique, et revenons à l’essentiel : le texte et son interprétation la plus objective possible !
Ce projet de loi organique se compose de deux types de dispositions : celles qui visent à améliorer la qualité des lois tout en en diminuant la quantité, et celles qui visent à donner de nouveaux outils parlementaires aux législateurs que nous sommes pour peser différemment et mieux sur les débats de nos assemblées.
Enrayer l’inflation législative constitue l’objet d’une série d’articles consacrés à l’instauration et à l’encadrement des propositions de résolution, ainsi qu’aux études d’impact.
Nous connaissons tous, mes chers collègues, le problème de l’augmentation exponentielle des lois, qui fait souvent dire que « trop de lois tue la loi ». Le Conseil constitutionnel nous le rappelle régulièrement, du reste avec juste raison.
Combien de lois de circonstance sont-elles juste destinées à traiter la seule urgence médiatique ? Combien de lois éponymes inutiles, motivées plus par la coquetterie ministérielle que par un réel besoin ?
Il était temps de prendre des dispositions pour venir à bout de cette logique d’emballement qui porte tort aux vraies bonnes lois, celles qui répondent à l’urgence sociale et économique, la seule qui vaille réellement.
En la matière, les dispositions inscrites dans ce projet de loi organique suffiront-elles ? On peut en douter. En d’autres temps, les réformes adoptées dans cette optique n’ont pas eu les résultats escomptés.
Il en a été ainsi, par exemple, de la session unique, présentée, à l’époque, comme un moyen de raccourcir les séances et d’éviter de siéger la nuit. On peut le dire aujourd’hui, cette réforme a échoué : nous n’avons jamais aussi mal dormi !
Rires
Plus sérieusement, nos concitoyens nous reprochent fort justement cette fièvre législative, car l’empilement des normes brouille le paysage juridique, au point de le rendre inaccessible, même pour bien des initiés.
Un Parlement revalorisé, c’est donc, avant tout, un Parlement qui légifère moins et qui légifère mieux. De ce point de vue, le présent texte tend à apporter des solutions qui méritent d’être mises en œuvre.
Le second volet de ce projet de loi organique prévoit une possible réorganisation de nos débats, et donc du déroulement de nos travaux, notamment dans l’hémicycle.
C’est ainsi que le droit d’amendement a pu paraître menacé, et qu’il peut d’ailleurs toujours l’être, puisque tout dépendra de la traduction et des choix qui seront retenus par chacune des deux assemblées lors de la révision de leurs règlements respectifs. C’est justement cette forte inquiétude – tout à fait compréhensible à la lecture du projet de loi organique initial – liée à une éventuelle remise en cause du droit d’amendement des parlementaires qui a mis le feu aux poudres à l’Assemblée nationale… mais toujours pas – fort heureusement ! – au Sénat.
Probablement faut-il y voir la sagesse de la Haute Assemblée, en particulier celle de son président, qui, sitôt la rédaction du projet de loi organique connue, a rappelé publiquement combien « le droit d’amendement est sacré ». Je dois avouer, pour ne pas dire confesser, que le radical et laïc que je suis a apprécié, une fois n’est pas coutume, l’emploi de cet épithète, qui, en l’occurrence, est de nature à nous rassurer !
En effet, nous estimons que le droit d’amendement est un fondement – voire le fondement – de la démocratie parlementaire. Toute mesure visant à le restreindre ou même à le « rationaliser » est, à nos yeux, au mieux suspecte, au pire dangereuse.
Disposer de temps pour défendre un amendement doit demeurer un droit individuel, inaliénable et imprescriptible pour chaque parlementaire.
C’est la condition pour garantir l’expression de la diversité des opinions démocratiques de notre pays. L’essence même du Parlement n’est-elle pas la discussion entre majorité et opposition, entre exécutif et législatif, ou même entre parlementaires, indépendamment des clivages politiques ?
Le droit d’amendement, c’est d’abord du temps pour s’exprimer, pour débattre, pour échanger et pour convaincre. C’est donc ce qu’il y a de plus précieux pour chacun d’entre nous. Nous devons pouvoir, sans contrainte, exprimer nos convictions et porter les attentes et les craintes des Français et des territoires dans cette enceinte de la démocratie.
En quoi ce droit « sacré » est-il menacé ? Pourquoi ce projet de loi organique pourrait-il être attentatoire au droit d’amendement, si cher à chacun d’entre nous ?
La réponse figure à l’article 13 de ce projet de loi organique, qui prévoit la possibilité, dans des conditions bien précises, pour les règlements des deux assemblées parlementaires, d’instaurer ce que l’on appelle le principe du « temps global » ou « crédit-temps », que d’autres, amateurs de formules imagées, ont appelé le « temps-guillotine » : autrement dit, l’arrêt immédiat de la discussion des articles et des amendements en séance publique une fois écoulé le temps imparti à chacun des groupes.
Une telle procédure peut poser problème et mettre en cause le droit d’amendement, aujourd’hui d’ailleurs plus à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.
J’en ai discuté avec mes collègues députés radicaux de gauche : je comprends leurs inquiétudes et leurs craintes.
Pourquoi, ici au Sénat, les choses se présentent-elles différemment ? Pourquoi cet article 13 ne soulève-t-il pas la même protestation qu’à l’Assemblée nationale ? Pourquoi y a-t-il peu de chances d’entendre certains d’entre nous entonner la Marseillaise au pied de la tribune ?
La réponse réside dans le rapport de notre excellent collègue Jean-Jacques Hyest, qui exclut, au nom de la commission des lois, l’application du « temps global » à la Haute Assemblée.
Il ne fait ainsi que reprendre les conclusions des travaux menés, sous la conduite active de M. le président Larcher, au sein du groupe de travail sénatorial sur la réforme du règlement du Sénat.
Dès nos premières réunions, conformément à la sacralisation du droit d’amendement rappelée par M. le président, toute application au Sénat du principe du temps global a été exclue, ce dont nous nous félicitons.
Certes, ce projet de loi organique n’en devient pas pour autant sans intérêt ni au-dessus de toutes réserves, mais la crainte de nos collègues députés, qui n’ont pas, eux, reçu les mêmes assurances sur le respect du droit d’amendement – tant s’en faut ! –, n’a pas lieu d’être pour nous, sénateurs.
Faut-il y voir seulement un privilège que s’accorderait la Haute Assemblée en récompense de sa grande sagesse et de son aversion pour ce que l’on appelle l’« obstruction » ou encore la « flibuste » ?
C’est surtout, à n’en pas douter, une marque de respect à l’égard du débat parlementaire et de la discussion, toujours de très bon niveau dans cet hémicycle, mais c’est également – je l’interprète aussi comme cela – une façon de donner toute leur place aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires.
En effet, mes chers collègues, vous n’êtes pas sans savoir que, depuis le 21 juillet 2008, la Constitution prévoit, en son article 51-1, que le règlement de chaque assemblée reconnaît des droits spécifiques aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires.
Cette mention dans la Constitution résulte – je le rappelle – d’un amendement adopté par le Sénat sur proposition de nos collègues Jean-Michel Baylet et Michel Mercier.
Le groupe du RDSE sera donc très attentif à la traduction dans la loi organique, certes, mais surtout dans notre règlement de cette prérogative constitutionnelle désormais reconnue aux groupes minoritaires, lesquels – je le rappelle – ne se reconnaissent ni comme appartenant à l’opposition ni comme appartenant à la majorité : cela fait l’essence même et la force de mon groupe.
Il est très important que la nouvelle procédure législative offre toute leur place aux groupes minoritaires et, surtout, leur garantisse des moyens pour fonctionner et bien travailler.
Par exemple, il m’apparaît indispensable, a fortiori pour un groupe aux effectifs réduits, que les collaborateurs des groupes puissent assister aux travaux des commissions, compte tenu de l’importance que ces derniers vont prendre. Il me semblerait difficilement envisageable qu’un groupe doive attendre les comptes rendus des commissions pour poursuivre une préparation efficace et sereine de la procédure législative, d’autant que, désormais, les délais seront très courts.
Nous proposerons également, lors de la réforme du règlement, qu’aucun groupe ne dispose de moins de dix minutes de temps de parole dans chacune des discussions générales.
Il s’agit là d’un exemple concret de mesure à prendre pour garantir les droits d’expression et la pluralité au sein des groupes.
M. le président du Sénat connaît ma position et je le sais à l’écoute sur ce sujet : notre règlement prévoit un minimum de quinze membres pour constituer un groupe, mais encore faut-il donner à celui-ci les moyens de fonctionner.
J’en reviens au présent projet de loi organique : si nous approuvons la rédaction de l’article 13 bis, introduit à l’Assemblée nationale, aux termes duquel est reconnu un droit d’expression, en particulier pour les groupes minoritaires, nous proposerons de le compléter en garantissant que plusieurs orateurs d’un même groupe puissent s’exprimer.
Nous sommes donc attachés aux droits non seulement des groupes minoritaires, mais aussi des membres des groupes qui sont minoritaires dans leur propre groupe. Évitons qu’il n’y ait qu’une voix officielle dans chaque groupe !
Sourires
Vous le voyez, mes chers collègues, le groupe du RDSE est soucieux du pluralisme et du droit d’expression de chacun. Nous ne concevrons jamais les groupes politiques comme des espaces de négation ou de restriction des droits individuels et constitutionnels des parlementaires ; bien au contraire, nous les considérons comme des outils garantissant l’expression de leurs droits et de leurs libertés.
C’est dans cet esprit et en étant fidèles à ces principes de respect du pluralisme et des minorités que mon groupe abordera la discussion des amendements sur ce projet de loi organique et les débats très attendus que nous devrons avoir dans cet hémicycle, le moment venu, sur la réécriture de notre règlement intérieur.
C’est un chantier déjà bien entamé, grâce aux travaux toujours sérieux et souvent consensuels qui ont été menés par le groupe ad hoc. Toutefois, des espaces de négociation existent encore pour parvenir à un texte qui nous permettra d’améliorer sensiblement l’organisation des travaux de notre assemblée, tout en respectant davantage les droits et les intérêts de chacun des groupes politiques, mais aussi de chacun des sénateurs qui font vivre cet hémicycle.
Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur celles de l ’ Union centriste.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans une assemblée parlementaire, la majorité politique au pouvoir n’a qu’un avenir, proche ou lointain : c’est de devenir, quand le peuple le décidera, l’opposition.
Même au Sénat, et en dépit de son mode d’élection, ce principe constitutif de la démocratie finira par se vérifier.
En nous opposant à ce projet de loi organique, monsieur le secrétaire d’État, nous défendons les droits de tous les parlementaires, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent dans notre assemblée, quelle que soit la famille politique à laquelle ils appartiennent.
D’une certaine façon, nous tentons de protéger de ses propres excès la majorité d’aujourd’hui, puisqu’elle est inexorablement appelée à devenir, demain, l’opposition.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
La révision constitutionnelle était censée donner des droits nouveaux au Parlement. Nous avons dénoncé cette présentation fallacieuse. Les premières lois organiques soumises au vote du Parlement confirment de manière éclatante que nos craintes étaient fondées.
Peu pressé de rendre effectives les mesures positives – exception d’inconstitutionnalité, instauration du défenseur des droits – acceptées par nous, même si elles ne concernent pas les droits du Parlement, le Gouvernement a fait le choix de nous soumettre en priorité les projets de loi organique qui lui accordent des facilités nouvelles ou permettent de réduire les droits du Parlement.
Le premier projet de loi organique présenté a été – je vous le rappelle, mes chers collègues – celui qui mettait en œuvre le retour à l’Assemblée nationale ou au Sénat des ministres anciennement parlementaires appelés à quitter le Gouvernement.
Il fallait, en effet, toutes affaires cessantes, adopter cette loi avant le 24 janvier pour permettre au nouveau secrétaire général de l’UMP de retrouver son siège de député.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. le secrétaire d’État proteste.
Il est difficile de voir dans ces petits arrangements un désir effréné de doter le Parlement de nouveaux pouvoirs !
La disposition qui offrait à un ancien ministre la faculté de renoncer à un retour au Parlement pour assurer, ipso facto, la pérennité de son suppléant, ne relevait pas davantage des droits nouveaux pour le Parlement. Elle était, comme nous l’avions indiqué à cette tribune, monsieur le vice-président de la commission des lois, inconstitutionnelle, ce que le Conseil constitutionnel a confirmé.
La première loi organique adoptée en décembre créait enfin les conditions pour opérer, par voie d’ordonnance, le nouveau découpage relatif aux élections législatives. Privilégier la voie de l’ordonnance au détriment de la loi est toujours une restriction des droits du Parlement.
Le second projet de loi organique dont nous débattons aujourd’hui s’inscrit dans cette même perspective.
Qui peut, en effet, croire de bonne foi, après son passage à l’Assemblée nationale, qu’il n’a pas pour finalité de diminuer les droits du Parlement, en particulier ceux de l’opposition, face à un exécutif qui non seulement ne supporte plus les contre-pouvoirs au sein de la vie sociale, mais, de plus, aspire à s’arroger, dans les faits, le pouvoir législatif ?
Montesquieu écrivait : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »Il exprimait ainsi la théorie de la séparation des pouvoirs, sur laquelle repose toute démocratie digne de ce nom.
Nous sommes, avec nos collègues de l’Assemblée nationale, non pas un contre-pouvoir, mais le pouvoir législatif. Nous avons été élus pour voter les lois et notre travail est de fabriquer des lois de bonne qualité. Nous ne sommes pas là pour mettre en forme dans l’urgence, et demain dans des délais de plus en plus courts, les annonces présidentielles.
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Or, même si l’existence du Parlement sauvegarde les apparences, nous vivons de plus en plus dans un régime de confusion des pouvoirs, caractéristique de cette monocratie qu’évoquait, lors de la révision constitutionnelle, notre collègue Robert Badinter.
Les exemples de cette confusion abondent. Je n’en prendrai que deux : l’annonce de la suppression de la publicité sur France Télévisions et celle, récente, de la suppression de la taxe professionnelle dès 2010.
M. Bernard Frimat. Mes chers collègues, vous n’avez certainement pas déjà oublié que nous avons récemment débattu, pour la première fois sans doute dans l’histoire du Sénat, d’un projet de loi dont la disposition emblématique était entrée en vigueur deux jours avant que ne commence son examen dans cet hémicycle !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
C’est une curieuse attitude que de prétendre revaloriser les travaux du Parlement et de réduire celui-ci, dans le même temps, au rôle de législateur a posteriori.
Jeudi dernier, nous avons appris que la taxe professionnelle sera supprimée dès 2010.
M. Bernard Frimat. Circulez, députés et sénateurs, il n’y a plus rien à voir ! Le Président de la République vient à lui tout seul de voter la loi devant les caméras de TF1, M6 et France 2. Vous pensiez avoir le pouvoir de voter la loi de finances et d’autoriser les impôts ? Abandonnez cette illusion, et laissez Jean-François Copé se gargariser du bonheur de la coproduction législative !
Sourires sur les travées du groupe socialiste.
Le Président a parlé, l’oracle est rendu ; le MEDEF en rêvait, Nicolas Sarkozy l’a fait. La loi a déjà une existence virtuelle. Place maintenant, monsieur le secrétaire d’État, aux thuriféraires « lefebvristes » de la pensée sarkozienne, …
… pour qu’ils nous expliquent, études d’impact à l’appui sans doute, que la taxe professionnelle est, en fait, une des causes essentielles de la crise mondiale.
L’omniprésence médiatique du Président de la République est une réalité quotidienne.
Pour autant, son temps de parole n’ouvre toujours pas de droit de réponse à l’opposition, en dépit de l’engagement qu’il a pris, à la veille de la révision constitutionnelle, dans un entretien au Monde. Cette promesse, comme d’autres, a été oubliée depuis !
Alors que le temps de parole du Président demeure illimité, le Gouvernement estime qu’il est néanmoins urgent de limiter le temps d’expression et de discussion du Parlement – au premier chef, celui de l’opposition – et, dans le même temps, de brider l’exercice du droit d’amendement.
Nous aurons l’occasion de préciser, lors de la discussion des articles, notre position sur les résolutions et les études d’impact. Mais l’essentiel du projet de loi organique n’est pas là ; il se situe au chapitre III, plus précisément à l’article 13.
Pour respecter la Constitution, qui prévoit qu’une loi organique définit le cadre dans lequel s’exerce le droit d’amendement, le Gouvernement aurait pu – et aurait dû ! – se contenter d’en affirmer les principes généraux, laissant le soin à chaque assemblée d’en fixer les conditions d’application dans son règlement.
En effet, aucune disposition constitutionnelle n’oblige le Gouvernement à instaurer un temps global de discussion, à créer des conditions de nature à priver un parlementaire du droit de défendre ses amendements. Il a néanmoins tenu à nous proposer un texte allant en ce sens.
Pour combattre l’obstruction parlementaire, qui n’est d’ailleurs, bien souvent, que l’ultime recours de l’opposition pour tenter de faire entendre sa voix et qui, au demeurant, nous le savons tous, n’a jamais empêché l’adoption d’une loi, le Gouvernement et sa majorité disposent pourtant déjà d’un arsenal de moyens important. Sans prétendre à l’exhaustivité, je veux vous en rappeler quelques-uns : irrecevabilité financière des amendements, au titre de l’article 40 ;…
… irrecevabilité relative au domaine de la loi, au titre de l’article 41 ; possibilité de s’opposer à tout amendement qui n’a pas été antérieurement soumis à la commission, conformément à l’article 44, alinéa 2 ; vote bloqué, prévu à l’article 44, alinéa 3 ; application du « 49-3 » pour le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, ainsi que pour un autre projet de loi par session ; possibilité de demander la priorité pour faire tomber un maximum d’amendements ; possibilité d’obtenir la clôture du débat ; sans oublier, pour finir – cerise sur le gâteau ! –, l’usage de la question préalable positive, qui permet de faire rejeter un texte sans débat.
Cet arsenal pour le moins imposant est encore insuffisant aux yeux du Gouvernement : il veut contraindre le débat parlementaire pour en accélérer le déroulement puisque vos travaux, mes chers collègues, ne sont présentés que comme un obstacle à son action.
Pourquoi débattre, échanger des arguments, chercher à convaincre, tenter d’améliorer le texte proposé puisque tout doit être réglé préalablement selon le bon vouloir de l’Élysée ?
Dans sa volonté d’annihiler le rôle du Parlement, le Gouvernement a oublié un principe constitutionnel fondamental : le droit d’amendement est un droit individuel, qui appartient à chaque parlementaire. Il est imprescriptible, consubstantiel à la fonction de parlementaire, nous dit-on. Il exprime la liberté absolue, donnée à chaque parlementaire, de tenter, conformément à ses convictions, d’améliorer le texte proposé. Il est le corollaire de la prohibition du mandat impératif. Si le rôle des groupes politiques, reconnu maintenant dans la Constitution, est primordial pour le bon fonctionnement de notre assemblée, il ne peut conduire à priver un parlementaire ni de sa liberté d’expression, ni de sa liberté d’opinion, ni de sa liberté de vote. Il n’est donc pas acceptable que le droit d’amendement soit contraint par l’instauration du temps global.
En créant, par ce projet de loi organique, la possibilité de mettre aux voix un amendement sans que son auteur puisse le défendre, vous ouvrez une boîte de Pandore et faites courir au Parlement le risque de perdre sa raison d’être.
La lecture attentive de votre rapport, monsieur Hyest, achève, s’il en était besoin, de me convaincre du caractère néfaste de ce texte. Vous évitez, avec une adresse qu’il me faut saluer, l’essentiel du problème posé.
Vous consacrez de longs développements documentés et intéressants aux questions secondaires des résolutions et des études d’impact, …
… mais vous réglez en quelques lignes le sort de l’article 13.
Votre argumentation est simple : l’instauration du temps global n’intéresse pas le Sénat, puisqu’il ne l’inscrira pas dans son règlement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.
Fort de cette affirmation, vous décidez de ne pas vous y opposer, car vous ne voyez pas pourquoi priver vos amis députés UMP de cette facilité dont ils souhaitent disposer et à laquelle leur président de groupe tient tant.
En conséquence, vous proposez au Sénat de voter conforme l’article 13 et ses annexes. Ainsi, le débat sera clos sans que la disposition phare du texte, qui a provoqué le tumulte que l’on sait, puisse être de nouveau discutée.
J’ai salué votre habileté, monsieur le rapporteur, mais permettez-moi de considérer que la ficelle est un peu grosse !
C’est une bien curieuse démarche que celle de voter conforme un article et de promettre que, à peine voté, il ne sera pas utilisé !
En effet, vous refusez pour le Sénat le temps global, et je ne mets pas en doute vos intentions, ni celles du président du Sénat, qui s’est exprimé dans le même sens. C’est, je veux le croire, parce que vous estimez qu’il ne faut pas contraindre le droit d’amendement, ni bâillonner le Parlement.
M. Bernard Frimat. Pourquoi alors acceptez-vous, par un vote conforme, de créer les conditions qui permettront d’imposer le temps global immédiatement à l’Assemblée nationale, mais aussi, demain, si l’envie en vient à une majorité de sénateurs, à la Haute Assemblée ?
M. François Rebsamen applaudit.
Dans la protection des droits du Parlement, face à un exécutif jamais rassasié de son pouvoir, vous ouvrez une brèche et vous êtes dans l’impossibilité de nous garantir que le temps de s’y engouffrer ne viendra jamais. Depuis quand est-il nécessaire d’adopter des lois pour ne pas les appliquer ?
C’est la même démarche que vous utilisez, monsieur le secrétaire d’État, à propos de la possibilité donnée au Gouvernement d’être présent en commission au moment du vote.
Vous nous assurez que le Gouvernement n’abusera pas de cette faculté et qu’il en usera même avec parcimonie. Pourquoi alors l’inscrire dans la loi ? La confiance du Président de la République à l’endroit des parlementaires de la majorité est-elle si faible qu’il faille, pour le rassurer, les mettre sous surveillance au moment du vote des amendements ?
Ce projet de loi organique est inacceptable ! L’amélioration des conditions du travail parlementaire n’est pas ce qui vous motive ; seul importe, pour vous, d’aller vite.
Comme le débat parlementaire constitue le dernier rempart face à la frénésie législative présidentielle, il vous faut lever cet obstacle.
La meilleure façon de programmer les débats est non de les limiter dans le temps, mais de les consacrer à l’essentiel, c’est-à-dire de cesser de fabriquer, dans l’urgence et en rafale, des lois bavardes, complexes et souvent inutiles, …
… dont le seul objet est de répondre à l’émotion de l’opinion publique. Notre vocation n’est pas de légiférer sur les faits divers ! Ce n’est pas parce que la loi est vite faite qu’elle est bien faite et, surtout, appliquée. La quantité des lois ne détermine pas leur qualité !
Pour que le Parlement légifère convenablement, il faut, le débat sur le projet de loi Grenelle 1 l’a montré, que les parlementaires disposent de temps et de la plénitude de leurs droits, notamment du droit d’amendement. Alors que vous proposez de réduire les droits des parlementaires, vous prétendez accroître les pouvoirs du Parlement.
Qui peut croire de telles fariboles ?
Il est encore temps de réagir, de refuser ce texte d’abaissement du Parlement. Ce serait l’honneur du Sénat de mettre un coup d’arrêt à la dérive monocratique qui gangrène nos institutions. C’est à cette tâche, mes chers collègues, que je vous invite tous !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Mme Monique Papon remplace M. Roland du Luart au fauteuil de la présidence.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la très grande majorité des sénateurs du groupe de l’Union centriste ont voté la révision de la Constitution, le 21 juillet dernier, considérant qu’il s’agissait d’une bonne réforme, dans la mesure où elle allait conduire à un rééquilibrage des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif.
Le projet de loi organique qui nous est aujourd’hui soumis a précisément pour objet d’organiser le travail du Parlement, de réactualiser les droits de ses membres et de donner corps, en quelque sorte, aux objectifs visés par cette réforme constitutionnelle.
Il est toujours difficile de parler du droit parlementaire, dans la mesure où, pour reprendre la définition du professeur Marcel Prélot, qui siégea sur ces travées, « c’est autour du droit parlementaire que gravite toute l’activité politique ».
Il est donc normal que nous ayons une discussion politique sur ce texte, qui organise le retour du politique.
Si le groupe de travail, présidé par M. Larcher et chargé d’élaborer les règles fondamentales appelées à devenir, demain, le règlement du Sénat, a plutôt donné de bons résultats, c’est justement parce qu’il a affirmé le retour du politique dans le fonctionnement du Sénat, au travers du rôle reconnu à la conférence des présidents renouvelée, représentant désormais l'ensemble des membres du Sénat.
Ce retour en force du politique marqué par le projet de réforme de notre règlement nous permet d’aborder le projet de loi organique selon une approche différente de celle des députés.
Néanmoins, ce texte pose un certain nombre de questions. Les trois articles de la Constitution visés ont trait respectivement aux résolutions, à l’organisation de la discussion législative et au droit d’amendement.
J’évoquerai tout d’abord les dispositions relatives à la discussion législative et aux études d’impact.
À cet égard, disons-le honnêtement, le texte qui nous est soumis n’est pas d’une grande clarté !
Si le Gouvernement considère que les fonctions exécutives et législatives ont été rééquilibrées, nous ne lui demandons rien d’autre que de nous communiquer les documents qui l’ont conduit à présenter un projet de loi plutôt qu’une autre mesure. Nous souhaitons qu’il nous explique pourquoi nous allons légiférer, pourquoi il est nécessaire de voter une loi, à quelle situation il s’agit de répondre et en quoi seule la loi permettra d’atteindre l’objectif visé. Ce n’est pas la longueur de l’énumération qui donnera son poids à l’étude d’impact, mais les véritables raisons qui sous-tendent les choix du Gouvernement.
J’ai bien compris, monsieur le secrétaire d’État, qu’il nous manquerait un de ces documents, que je considère pour ma part comme important, voire essentiel. Nous y reviendrons.
Foin donc d’une longue énumération si elle ne nous permet pas de comprendre ce qui a conduit le Gouvernement à présenter un projet de loi !
J’évoquerai maintenant le droit de résolution et le droit d’amendement.
Ce sont des droits individuels, attachés à chaque parlementaire, ainsi que cela ressort, pour le droit de résolution, de l’article 1er du projet de loi organique.
Avant d’entrer dans le détail du texte, je souhaite poser la question suivante : pourquoi les droits individuels des parlementaires apparaissent-ils aussi importants quand il s’agit de revaloriser le rôle du Parlement ?
Il existe sans doute plusieurs réponses, mais je n’en retiendrai qu’une seule : aujourd’hui, l’origine des lois est essentiellement gouvernementale. Certes, l’initiative des lois appartient concurremment au Gouvernement et au Parlement, mais 99 % des lois ont une origine gouvernementale.
Sourires
Les lois sont donc, pour l’essentiel, d’origine gouvernementale. La raison en est toute simple : les parlementaires ne disposent pas des moyens techniques et intellectuels de faire la loi.
Les parlementaires ne disposent, pour jouer leur rôle, que de deux droits individuels : le droit d’amendement et le droit de résolution.
À condition que le Parlement ait vraiment la possibilité de contrôler !
Les parlementaires disposent donc de deux droits individuels, le droit de résolution et le droit d’amendement.
Le droit de résolution est très ancien, mais il semble faire un peu peur. Il faut donc en revenir à sa définition classique depuis 1875, que l’on peut énoncer ainsi en conjuguant les formulations de Léon Duguit et de Marcel Prélot : la résolution est une décision qui résulte d’un vote d’une seule assemblée et qui n’est pas promulguée. Comme l’indique Léon Duguit, la résolution a valeur non pas de loi, mais de vœu adressé à l’exécutif.
Sourires
M. Michel Mercier. En tout état de cause, j’ai bien peur que nos vœux ne soient que très tardivement exaucés !
Nouveaux sourires
Les parlementaires n’ont pas d’autre moyen que la résolution pour faire connaître leur sentiment et leur point de vue au pouvoir exécutif.
En ce qui concerne le droit d’amendement, c’est un peu la même chose. Parce qu’on ne peut pas faire la loi, on dépose beaucoup d’amendements, car c’est techniquement plus facile que d’élaborer une proposition de loi lorsque les moyens d’expertise font largement défaut. Le seul recours qui reste alors est le droit d’amendement.
Dès lors, le droit d’amendement devient fondamental pour les parlementaires et l’on ne peut le limiter. En tout cas, la possibilité pour chaque parlementaire de déposer des amendements puis de les défendre doit être respectée : tel est d’ailleurs l’objet du chapitre III du projet de loi organique, sur lequel je tiens à dire maintenant quelques mots.
Je comprends parfaitement que l’on ait pu parler, à propos du temps global, d’une brimade pour le Parlement.
J’en parlerai, pour ma part, très sereinement. En effet, je n’aurais jamais approuvé l’article 13 s’il avait institué un temps global dans le règlement du Sénat.
M. Michel Mercier. Si vous n’y parvenez pas, tant pis ! Que voulez-vous que je vous dise ? Nous le lirons ensemble !
Rires
Pour ma part, je l’ai lu : l’article 13 n’instaure pas le temps global. Il faut avoir l’honnêteté intellectuelle de le reconnaître !
Il laisse au règlement de chacune des deux assemblées la possibilité de créer, ou non, ce temps global. Il appartient à l’Assemblée nationale et au Sénat d’en décider. J’ai dit quelle était ma position en la matière : je suis opposé au temps global.
Sourires
M. Michel Mercier. Quand on a écrit d’aussi belles pages que vous sur Stendhal, monsieur Mermaz, on connaît tout en matière de casuistique !
Nouveaux sourires
Il prévoit simplement que si une assemblée crée ce temps global, elle doit préciser dans quelles conditions seront examinés les amendements restant en discussion après qu’il aura été épuisé. L’article 13 ne dit rien d’autre !
Nous voulons, pour notre part, que tous les amendements soient étudiés et présentés.
Il faut, certes, organiser le débat, mais tous les amendements doivent être discutés.
Nous veillerons donc, tout au long de ce débat, à ce que les droits individuels des parlementaires, c’est-à-dire le droit de résolution et le droit d’amendement, soient préservés, maintenus et organisés.
Nous demanderons en outre que les groupes politiques soient dotés des moyens d’élaborer des textes de loi. Comme Pierre Fauchon l’a fort bien rappelé hier dans Le Figaro, le Parlement est fait pour voter la loi : nous devons aussi disposer des moyens techniques et matériels de préparer certaines des lois que nous votons, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. J’espère que nous les aurons demain, grâce à ce texte.
Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et sur certaines travées de l ’ UMP.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’indiquer que nous comprenons parfaitement l’absence de M. le Premier ministre, compte tenu des mouvements sociaux qui se multiplient dans notre pays, dans les usines, dans les universités, dans les rues de Paris, de Pointe-à-Pitre ou de Fort-de-France !
Les préoccupations de nos concitoyens sont graves et importantes. Mais sont-elles si éloignées du sujet des libertés parlementaires ? Je ne le pense pas ! J’estime, pour ma part, que nous devons défendre ces libertés.
Ce projet de loi organique a déjà suscité nombre de discours et fait couler beaucoup d’encre, essentiellement son chapitre III, relatif au droit d’amendement et à sa possible limitation. Est-ce une simple « tempête dans un verre d’eau », comme a tenté de le démontrer notre collègue Michel Mercier ? Je ne le crois pas, et les contorsions du Gouvernement et de la majorité pour accréditer cette thèse me confortent dans cette opinion.
Cette question du droit d’amendement suffit, à elle seule, à motiver notre opposition totale à ce projet de loi organique.
Ce débat prend sa source dans l’évolution ultra-présidentialiste – on peut aussi parler de monarchie présidentielle ou de présidentialisme monarchique ! – de nos institutions. Certes voulue depuis la période 1958-1962, cette évolution a été consacrée par la révision constitutionnelle votée, à une voix près, en juillet 2008 et mise en œuvre par le Président de la République, qui n’a cure du Parlement, non plus d’ailleurs que du Gouvernement. En effet, il annonce tous les jours de nouvelles dispositions législatives et les applique avant même que le Parlement en ait discuté ou somme celui-ci de les voter sans délai. La dérive s’inscrit donc à la fois dans le droit et dans la pratique.
Notre groupe a dénoncé l’imposture de cette révision constitutionnelle, présentée comme un rééquilibrage des rapports entre exécutif et législatif par un renforcement des droits du Parlement.
« Révolution », annonciez-vous en juillet, monsieur le secrétaire d’État – mot rare dans la bouche d’un membre du Gouvernement ! « Révolution du temps parlementaire », écrivait encore, fin janvier, le président de l’Assemblée nationale, M. Accoyer, au moment même où le projet de loi organique dévoilait le véritable sens de cette révolution.
Nous disions, en juillet, que l’objectif de la révision était de réduire le débat en séance publique et de remettre en cause le droit d’amendement en instaurant un véritable « 49-3 parlementaire », aux mains de la majorité présidentielle.
Le projet de loi organique confirme la volonté de réduire le débat en séance publique par l’extension du travail en commission et le recours à la procédure simplifiée. Je ne suis pas certaine que la fabrication de la loi au sein des commissions rende les rapports entre les parlementaires et les citoyens plus transparents !
J’ajoute que le vote des parlementaires en commission sous l’œil du Gouvernement, comme le prévoit le texte initial, rend la liberté de chaque parlementaire de la majorité, quelle qu’elle soit, plus que douteuse. Notre rapporteur a eu la sagesse de refuser cette aimable surveillance. Nous sommes bien entendu d’accord avec lui.
La procédure simplifiée, si elle est créée, sera appliquée de manière extensive, du moins peut-on le craindre en observant la multiplication, à tort et à travers, des déclarations d’urgence.
Mais ce qui aggrave nos préoccupations, c’est que la loi organique va plus loin que l’article 44 de la Constitution, en rendant possible une limitation de la durée du débat parlementaire en séance publique, qui aurait pour conséquence de priver les parlementaires du droit de s’exprimer à un moment ou à un autre.
Comment ne pas comprendre cette « rationalisation » du pouvoir législatif, dans un système institutionnel où prédominent l’élection présidentielle et le fait majoritaire, comme une atteinte aux libertés du Parlement dans un contexte de reprise en main affirmée du pouvoir judiciaire et des médias, notamment ?
Quand Mme Dati se croit autorisée à dire devant les élèves de l’École nationale de la magistrature que l’indépendance des magistrats se mérite, nous pouvons légitimement nous demander, mes chers collègues, si nos libertés ne vont pas, elles aussi, devoir se mériter et si l’article 44 de la Constitution n’est pas, comme l’article 64, modulable selon les cas !
Le président de notre assemblée se plaît à dire que le droit d’amendement du parlementaire est « imprescriptible », « inaliénable » ou encore « consubstantiel » des libertés parlementaires. C’était effectivement la position du Conseil constitutionnel en 1990, quand il précisait que les règlements des assemblées ne pouvaient interdire aux parlementaires de défendre leurs amendements en séance publique.
La révision constitutionnelle de 2008, conjuguée à la loi organique, va-t-elle permettre de revenir sur ce droit, d’une façon ou d’une autre ? En effet, le dispositif de l’article 13, s’il est appliqué, offrira cette faculté par la mise en œuvre du crédit-temps, qui pourra priver un ou des parlementaires du droit de défendre leurs amendements.
Ce serait là un recul des droits du Parlement, et l’histoire nous rappelle qu’un tel recul a toujours été « consubstantiel » de reculs démocratiques.
Faut-il rappeler les débuts de la République ? C’était une autre époque, direz-vous, mais quand même ! Les restrictions du droit d’amendement furent toujours le fait de régimes autoritaires.
Jusqu’à la Constitution de l’An VIII, le droit d’amendement s’exerce librement dans les assemblées. Avec le Consulat, à l’inverse, « le Corps législatif fait la loi sans aucune discussion de la part de ses membres ». Sous la Restauration, « aucun amendement ne peut être fait à une loi s’il n’a été proposé ou consenti par le roi et s’il n’a été renvoyé par les bureaux ». Si 1848 amène le retour du droit d’amendement, la proclamation impériale du 14 janvier 1852 décide, en revanche, que le Corps législatif « n’introduit pas à l’improviste de ces amendements qui dérangent souvent toute l’économie d’un système et l’ensemble d’un projet primitif ». Ce droit d’amendement, il fallut bien se résoudre à le réintroduire en 1866, tant le mécontentement était grand !
Certes, vous évoquez le fait que, entre 1935 et 1969, le règlement de l’Assemblée nationale prévoyait la possibilité de limiter au préalable la durée des débats – le fameux « crédit-temps ». Toutefois, c’était une autre époque, celle de la République parlementaire – comme l’a rappelé plaisamment M. Collin – et cette disposition n’était pas contenue dans une loi organique !
Vous oubliez, ou feignez d’oublier, que la Constitution de 1958 – la révision de juillet 2008 n’a rien changé en la matière – donne à l’exécutif d’importants moyens de limiter le débat parlementaire : urgence, procédure accélérée rebaptisée « simplifiée » et étendue, ordonnances, article 49-3, article 40, procédures « exceptionnelles » pour la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale ! Vous oubliez les prérogatives du Président de la République ! Vous oubliez le fait majoritaire !
En outre, le Gouvernement pourra bien entendu défendre tous ses amendements, quel que soit le moment. Aussi la comparaison avec le parlementarisme organisé de nombreux pays européens n’est-elle pas probante.
Qui plus est, même si on semble l’oublier, les règlements actuels des assemblées encadrent le débat parlementaire, notamment par la limitation du temps de parole et la possibilité de demander la clôture de la discussion.
À l’évidence, l’image négative renvoyée par ce projet de loi organique ne vous a pas échappé. Il s’ensuit une confusion croissante dans le débat : tandis qu’à l’Assemblée nationale on a ajouté, après l’article 13 du texte initial, des articles 13 dont les dispositions tendent à le contredire, le Sénat, avant même le vote de la loi organique, élabore un nouveau règlement ne prévoyant pas, semble-t-il, l’instauration du crédit-temps permise par l’article 13 du présent texte.
Mes chers collègues, la question est simple : le droit de défendre un amendement est-il, oui ou non, « imprescriptible » ou « inaliénable », voire sacré, encore que ce terme ne fasse pas partie du vocabulaire parlementaire ?
Si oui, l’article 13 du texte qui nous est soumis n’a pas lieu d’être !
En effet, la nouvelle rédaction de l’article 44 de la Constitution vise, sans aucun doute, à contourner la décision du Conseil constitutionnel du 7 novembre 1990, puisqu’elle prévoit que le droit d’amendement s’exerce en séance plénière ou en commission. Toutefois, l’article 44 ne remet pas en cause le droit de chaque parlementaire de présenter un amendement et de le défendre, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1990.
Aussi, Gouvernement et majorité, qui ne cessent de répéter la main sur le cœur, depuis des mois, qu’il ne saurait être question de toucher au droit d’amendement, devraient-ils entériner la seule conclusion possible : supprimer l’article 13 du projet de loi !
Mes chers collègues, ne cédez pas à la pression en votant la restriction de vos propres libertés !
L’obstruction parlementaire a bon dos ! Il est, en revanche, évident que la frénésie législative du Gouvernement, auteur de quantité de textes d’affichage, entraîne une forte détérioration de la qualité de la loi, de son application, et engendre une lassitude à l’égard du débat parlementaire. Ma collègue Éliane Assassi y reviendra tout à l’heure en défendant une motion tendant à opposer la question préalable.
Le droit d’expression des parlementaires leur permet de remplir leur rôle : être les porte-parole des citoyens qui les ont élus et relayer en permanence ce qui se passe dans le pays. Il est le garant d’un vrai débat démocratique, qui ne saurait se réduire à un vote tous les cinq ans, suivi de l’application mécanique du programme du Président de la République. La période actuelle, comme d’autres qui l’ont précédée, en fait foi.
Le propre de la démocratie représentative, c’est le débat parlementaire public entre groupes et parlementaires de sensibilités différentes, qui permet de dégager des majorités, voire d’aboutir à des compromis.
Si l’essentiel de la tâche des parlementaires était de voter les projets du Gouvernement – devrais-je dire du Président ? –, ils pourraient le faire de chez eux, par le vote électronique. Pourquoi s’embarrasser d’un Parlement ? Les techniques actuelles permettent au Président de la République de consulter directement les citoyens-téléspectateurs.
D’ailleurs, quand la durée du débat en séance publique enfle, ce n’est pas sur des questions techniques « ennuyeuses », mais sur de profonds enjeux de société, en lien direct avec les préoccupations de la population, qu’il est du devoir des parlementaires de relayer dans les assemblées.
Les autres dispositions du projet de loi organique méritent aussi de faire l’objet d’un débat. Puisque nous y reviendrons lors de la discussion des articles, je n’en dirai que quelques mots.
L’article 34 nouveau de la Constitution, qui instaure le droit de résolution, délimite déjà strictement ce dernier.
Les résolutions ne sont pas normatives, puisqu’elles ne sont pas de nature législative, mais il est précisé qu’elles ne peuvent ni mettre en cause le Gouvernement ni contenir des injonctions à son égard.
Je voudrais faire observer, à ce propos, que, contrairement aux députés, les sénateurs ne peuvent pas déposer de motion de censure. Par conséquent, la question de l’application de cet article ne se pose pas pour notre assemblée.
Le projet de loi organique tend à restreindre encore l’utilisation de ce droit de résolution, par le veto a priori du Premier ministre, l’interdiction d’amender et les délais impartis, qui feront obstacle à la rapidité et à la réactivité que devraient permettre les propositions de résolution, dont le formalisme est bien moindre que celui des projets de loi.
Le Premier ministre ne devrait pas pouvoir s’opposer à une proposition de résolution, dont la logique du débat parlementaire voudrait qu’elle puisse être amendée. Je crains fort que ces propositions de résolution ne se réduisent à des vœux, comme l’a dit lui-même M. Gélard, sans portée effective.
En ce qui concerne l’évaluation préalable au dépôt des projets de loi prévue à l’article 39 nouveau de la loi constitutionnelle, nous ne contestons nullement l’intérêt d’une telle disposition. D’ailleurs, l’évaluation de la législation existante et du bien-fondé de nouvelles dispositions législatives est réclamée depuis longtemps par nombre de parlementaires, toutes sensibilités confondues. Elle aurait, à nos yeux, deux avantages : améliorer la transparence, peut-être, et limiter la frénésie législative des gouvernements, sans aucun doute.
Les dispositions de la loi organique suscitent un certain nombre d’autres remarques.
Tout d’abord, une série de projets de loi échappent à l’obligation d’évaluation préalable ou sont soumis à des obligations de présentation spécifiques : je veux parler des projets de révision constitutionnelle, des projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, des projets de loi de programmation, des projets de loi portant ratification d’ordonnance ou des projets de loi relatifs aux états de crise. De surcroît, il était prévu que l’évaluation soit modulée, notamment en fonction de l’urgence.
Si l’Assemblée nationale a quelque peu tempéré ces restrictions, ce que propose aussi notre rapporteur, le caractère limitatif de la disposition prévue demeure.
Qui plus est, la description détaillée des éléments devant figurer dans l’étude d’impact risque de rendre ces dispositions difficilement applicables. Comme le souligne le rapporteur, la circulaire du Premier ministre de 1995 qui prévoyait une étude d’impact n’a pas été suivie d’effet.
De plus, les délais d’examen des projets de loi rendent impossible l’expertise contradictoire du Parlement, notamment de l’opposition.
Nous souhaitons donc que tout projet de loi fasse l’objet d’une évaluation réaliste et efficace par le Parlement, tant a priori qu’a posteriori.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons contre ce projet de loi organique.
Le Gouvernement et la majorité ne ménagent pas leur peine pour nous convaincre que dans la mesure où la loi organique se bornera à ouvrir la possibilité de limiter le droit d’amendement, il appartiendra aux règlements des assemblées de « mettre en musique » le dispositif : cela laissera l’Assemblée nationale et le Sénat libres de décider d’appliquer ou non celui-ci. Autrement dit, les règlements des deux chambres pourraient différer en la matière, comme semble en témoigner le projet de règlement du Sénat en son état actuel.
Or, mes chers collègues, s’il existe une certaine autonomie des deux assemblées, dont les compétences ne sont pas identiques, il ne me paraît pas sérieux de prétendre qu’une différence pourra exister en matière de droit d’amendement. Ce point de vue est d’ailleurs soutenu par des constitutionnalistes, notamment le professeur Gicquel, que nous avons entendu.
La sagesse, s’il est encore permis de l’invoquer, devrait donc l’emporter, et l’article 13 devrait être purement et simplement supprimé. Sinon, nous voterons contre ce projet de loi organique.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.
Madame la présidente, vous venez d’annoncer la constitution d’une commission mixte paritaire.
Nous demandons que les commissions mixtes paritaires représentent le Sénat dans sa composition actuelle. Il me semble de bon sens de ne pas en rester aux pondérations passées, mais de tenir compte de la configuration présente de notre assemblée.
La prise en compte de cette demande élémentaire ne devrait pas poser de problème, mais si tel devait être le cas, le débat ne pourrait se dérouler dans le climat serein que nous appelons tous de nos vœux.
Ce n’est nullement exiger un privilège que de demander l’application de la règle de la représentation proportionnelle au plus fort reste pour la désignation des membres d’une commission mixte paritaire, qui comprendrait ainsi trois membres du groupe de l’UMP, le plus nombreux de notre assemblée, …
Nous sommes tous minoritaires, mon cher collègue, mais certains le sont plus que d’autres !
… deux membres du groupe socialiste, un membre du groupe de l’Union centriste et un membre du groupe CRC-SPG. Une telle composition reflèterait fidèlement celle du Sénat aujourd’hui.
Puisque notre débat porte sur l’organisation des travaux parlementaires, voici l’occasion de passer à la pratique ; cela ne dépend que de nous !
Je vous remercie, madame la présidente, de bien vouloir transmettre mes propos à M. le président du Sénat.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur Frimat, cette demande de constitution d’une commission mixte paritaire émane du Premier ministre. Je vous propose de débattre de ce sujet demain en conférence des présidents.
Vous avez la parole, mon cher collègue.
La demande émane du Premier ministre, car c’est à lui qu’il appartient de convoquer les commissions mixtes paritaires.
Je suis tout à fait d’accord pour que nous discutions demain de ce sujet, à condition que le processus de désignation ne soit pas engagé avant la conférence des présidents. Dans le cas contraire, en revanche, votre proposition ne serait plus recevable.
C’est entendu, monsieur Frimat : nous en discuterons demain au cours de la conférence des présidents.
Acte vous est donné de ce rappel au règlement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Guy Fischer.