Rappelons d’ailleurs que le Conseil constitutionnel avait censuré une mesure semblable en 1990…
La responsabilité de l’embouteillage parlementaire, vous le savez très bien, incombe d’abord à l’exécutif, du fait même du nombre et de l’ampleur des projets de loi soumis au Parlement.
Mais c’est bien l’article 13 de ce projet de loi organique qui est au cœur des débats. Je reprendrai donc l’excellente argumentation de notre collègue Bernard Frimat.
La majorité nous dit que le temps global ne sera pas appliqué au Sénat. Très bien ! Mais la meilleure garantie à cet égard reste encore de ne pas voter l’article 13. Si vous le votez, chers collègues, c’est uniquement pour permettre son application à l’Assemblée nationale aujourd’hui et, demain ou après-demain, au Sénat...
Possédé par un désir quasi frénétique de tout changer, le Président de la République s’attaque maintenant à nos institutions. Nous devons nous rendre à l’évidence et nous résoudre à la triste vérité qui s’offre à nos yeux : le Président de la République peut être au centre de tout, avoir le pouvoir de se montrer partout, être contre tout, car il est « césariste » dans l’âme, ou plus exactement en diable ! Mais le pouvoir parlementaire, lui, ne se négocie pas et la vraie réforme du Parlement doit se faire sur un autre terrain. Nous ne pouvons accepter, mes chers collègues, le dessein inavoué et dissimulé de démanteler le droit à l’expression de ceux qui osent commettre le crime de lèse-majesté de garder tout simplement une certaine liberté de penser !
À propos des fondements constitutionnels des droits de l’opposition, je n’aurai pas la cruauté de rappeler trop longuement les promesses du candidat Sarkozy, qui se déclarait favorable à un véritable statut des groupes minoritaires au Parlement, au renforcement du financement des partis politiques ou à l’élargissement des pouvoirs des commissions d’enquête parlementaires. Que reste-t-il de toutes ces promesses de campagne ? Rien !
On l’aura bien compris : le dérèglement de notre système constitutionnel est en vue. Il faut s’y opposer, au nom de la démocratie et de la liberté.
Il va falloir se battre, parce que la République ne se réduit pas à des institutions ni à des procédures, elle consiste aussi en un ensemble de valeurs partagées. C’est notre devoir de citoyens, d’élus et de parlementaires de défendre cette conception !
Même le président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré, l’a rappelé, s’offusquant à demi-mot, et nous, sénateurs, pouvons comprendre qu’il insiste sur l’importance de l’Assemblée nationale au regard de l’expression des idées, notamment de l’opposition, et qu’il souligne que, pour la pérennité de la République, « chacun doit pouvoir estimer être entendu », c'est-à-dire suffisamment entendu. Il ajoute : « C’est là où doit s’exprimer chaque individu qui a quelque chose à dire. Il est donc important de laisser s’exprimer notamment l’opposition, quelle que soit cette opposition, de droite ou de gauche. »
Le Sénat a déjà démontré sa capacité de résistance à des mesures qui vont à l’encontre des droits fondamentaux, de notre démocratie et de notre République.
On ne saurait laisser balayer d’un revers de la main les droits des parlementaires, comme on balaie un préfet qui ne marche pas au pas. On ne saurait mettre au pas le Parlement pour mieux continuer au pas de course d’appliquer réformes sur réformes, sans la moindre concertation.
Mes chers collègues, l’article 13 a tout simplement pour objet et pour objectif de scléroser la parole de l’opposition dans le débat parlementaire. La démocratie est un bien précieux : puisque la possibilité de penser différemment la fait vivre, continuons ensemble à faire vivre ce principe !
Pour conclure sur l’enjeu qui est ici celui des acquis démocratiques, vous me permettrez une citation dont vous retrouverez sûrement l’origine : « Les conquêtes sont aisées à faire, parce qu’on les fait avec toutes ses forces ; elles sont difficiles à conserver, parce qu’on ne les défend qu’avec une partie de ses forces. »