Intervention de Jean-Pierre Michel

Réunion du 10 février 2009 à 21h30
Application des articles 34-1 39 et 44 de la constitution — Exception d'irrecevabilité

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel :

Cerise sur le gâteau, on nie le droit pour chaque parlementaire d’exprimer sa position personnelle à travers la défense d’amendements. Je n’aurais jamais imaginé, après presque trente ans de vie parlementaire, que l’on serait revenu sur ce droit essentiel ! Jean-Louis Debré en avait eu la tentation en 2006, mais il avait dû renoncer sous la pression des présidents de groupes, notamment de celui de l’UMP, l’actuel président de l’Assemblée nationale, qui se renie aujourd'hui, mais une fois n’est pas coutume…

Pour avoir été à deux reprises vice-président de l’Assemblée nationale, je sais ce qu’est l’obstruction parlementaire, je sais ce que sont les amendements en cascade, mais je sais aussi ce qu’est la richesse d’un débat et d’une confrontation.

Oui, cet article 13 est inconstitutionnel, mes chers collègues. En effet, il est contraire à l’article 44 de la Constitution selon lequel le droit d’amendement des membres du Parlement est individuel, comme est personnel leur droit de vote aux termes de l’article 27 de la Constitution, principe qui est d’ailleurs confirmé par l’article 1er du présent projet de loi.

Ce « crédit temps » que l’on veut nous imposer, outre qu’il est contraire à la règle constitutionnelle, poserait des problèmes pratiques, quasi insolubles pour son application.

Il suffit, pour le comprendre, de se poser quelques questions.

Comment comptabiliser les suspensions de séance ? Comment comptabiliser les rappels au règlement ? Comment les services de la séance et les groupes pourront-ils mesurer le temps qui reste au fur et à mesure de l’avancement des travaux ? Faudra-t-il que notre hémicycle soit pourvu de cadrans électroniques géants qui permettront à chaque parlementaire de décompter le temps passé ?

Comment, par ailleurs, anticiper sur le déroulement de la séance, par définition soumis à l’imprévisibilité du débat ? Nous savons tous très bien d’expérience qu’un amendement, un article, peut prendre soudainement plus d’importance qu’un autre et nécessiter que l’on y consacre un certain temps. D’ailleurs, je remarque que les présidents de séance, ici, au Sénat, respectent ce temps du débat parlementaire, qui est fait d’accélérations mais aussi de ralentissements, et qui permet le cas échéant d’approfondir telle ou telle disposition jugée importante.

Comment également traitera-t-on le problème des non-inscrits ou celui des parlementaires qui désirent déposer des amendements en dehors de leur groupe, comme ils en ont le droit ? En effet, le droit d’amendement est personnel et il n’est pas l’expression d’un groupe politique aux termes de la Constitution, même si, dans la pratique, il tend à le devenir et qu’il le deviendrait totalement si ce projet de loi organique était malheureusement adopté.

Le système qui nous serait alors imposé aboutirait à ce que le droit d’amendement ne puisse finalement s’exprimer qu’à travers les amendements des groupes politiques constitués, ce qui est totalement contraire à l’esprit de la Constitution.

Au surplus, on peut noter que le droit d’amendement du Gouvernement n’est, lui, pas encadré et qu’il existe donc, une nouvelle fois, une dissymétrie dans les droits respectifs dont jouissent au sein du Parlement le Gouvernement et les parlementaires eux-mêmes.

On en voit bien d’ailleurs la raison ; en fait, la liberté de discussion parlementaire est incompatible avec le concept de « forfait temps ». Cette procédure va assécher le débat, transformer les assemblées en théâtre d’ombres, en simples greffes, car tout enjeu aura disparu, le débat étant verrouillé à l’avance.

Lorsqu’un groupe aura épuisé son temps de parole, il ne pourra plus défendre un amendement ; or, on le sait bien, un amendement appelé mais non défendu n’a aucune chance d’être adopté, surtout s’il émane de l’opposition.

L’exercice du droit d’amendement est essentiel au débat démocratique, car il permet notamment à l’opposition de présenter des contre-propositions.

Mais, j’entends déjà vos réponses, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur : tout cela est optionnel

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