Intervention de Monique Cerisier-ben Guiga

Réunion du 14 juin 2006 à 21h30
Immigration et intégration — Article 26

Photo de Monique Cerisier-ben GuigaMonique Cerisier-ben Guiga :

Le fait d'épouser des étrangers est prévu depuis bien longtemps dans notre droit de la nationalité, dans notre code civil. La loi de 1927 en est un exemple ! Mais nous en reparlerons au moment de l'examen des articles sur la nationalité.

Que se passe-t-il ? Pourquoi cet acharnement soudain ? Les articles 26, 27 et 28, ajoutés aux dispositions portant sur le visa de long séjour et l'acquisition de la nationalité, ont pour finalité évidente de précariser la situation des conjoints étrangers de Français sur le territoire national.

Ce gouvernement fait peser une suspicion sur les 90 000 mariages binationaux célébrés chaque année ; celle-ci se décline en mesures tracassières et répressives, d'autant plus pénibles qu'elles se cumulent. Ce n'est pas tant chaque disposition - souvent odieuse, au demeurant - que l'accumulation de celles-ci qui devient terrifiante.

Je rappelle qu'un visa de long séjour est maintenant exigé préalablement à l'entrée en France du conjoint étranger, ce qui signifie en pratique que le séjour du conjoint n'est plus de plein droit : il est soumis aux mêmes conditions administratives que n'importe quel étranger. La vie familiale n'entraîne aucun droit au séjour en France ; c'est clair !

L'acharnement contre le conjoint étranger, et donc contre la famille binationale, continue à l'article 28, puisque l'on y abroge la délivrance de plein droit d'une carte de résident au bout de deux ans de vie commune. Le conjoint étranger devra donc faire une demande, soumise à la condition d'intégration dans la société française.

Cette condition ne devrait pas poser trop de difficultés, dans la mesure où l'étranger qui vit dans le pays de son conjoint a souvent très envie de s'intégrer, en particulier les premières années.

Néanmoins, je voudrais que vous m'expliquiez selon quels critères vous allez mesurer l'intégration. La manière de s'habiller, de se nourrir, de parler à ses enfants ? A-t-on encore le droit d'employer sa langue maternelle avec ses enfants ou bien faut-il à tout prix leur parler uniquement français pour être bien intégré ? Convient-il d'appartenir à des associations, à un parti politique, que sais-je encore ? Qui va mesurer l'intégration, et comment ? Par ailleurs, si l'intégration est jugée insuffisante, quelle carte de séjour délivrera-t-on au conjoint ?

Ces questions ne sont pas purement rhétoriques, monsieur le ministre, et je souhaite obtenir des réponses.

En outre, au durcissement des conditions administratives s'ajoute la prolongation des délais. Aux termes de l'article 27, trois ans de vie commune sont dorénavant nécessaires à l'obtention de la carte de résident. Enfin, une mesure punitive couronne le dispositif, l'État disposant d'un délai de quatre ans après la célébration du mariage pour retirer la carte de séjour en cas de rupture de la vie commune.

Incidemment, vous remarquerez que les couples binationaux ne doivent surtout pas se séparer provisoirement. Ce genre de fantaisie conjugale, pourtant relativement fréquent, leur est interdit. Pour les couples binationaux, c'est l'union ou l'expulsion !

Pour terminer, l'aumône d'une indulgence sera accordée aux couples qui auront enfanté : ils ne peuvent être soupçonnés de mariage blanc ! Mais, pour en bénéficier, le conjoint étranger devra prouver qu'il a effectivement subvenu aux besoins de ses enfants depuis leur naissance. Il faudra donc conseiller aux mères étrangères qui allaitent de se faire délivrer en temps utile un certificat par la PMI, et aux pères étrangers de conserver un livre de comptes bien tenu, avec les pièces justificatives relatives à toutes les dépenses effectuées au profit de leurs enfants : achats de couches, de vêtements, etc.

Il reste enfin le cas de grande bienveillance envers la femme étrangère battue, qui sera protégée de l'expulsion, même si elle quitte son conjoint violent. Effectivement, il valait mieux l'inscrire dans la loi, car, dans l'état d'esprit où nous sommes, une telle disposition n'allait pas de soi !

Je vous le dis franchement, le jour où les Norvégiens, les Américains, les Sénégalais ou les Brésiliens exigeront les mêmes conditions administratives et d'intégration au séjour des conjoints français mariés à leurs ressortissants, il faudra mettre en place des procédures énergiques de rapatriement.

Combien de Français mariés à des Norvégiens parlent couramment la langue après deux ans de séjour et commencent à rire des mêmes plaisanteries ? Combien de Français au Sénégal se sont donnés la peine d'apprendre le wolof et connaissent le rôle des Mourides dans la vie économique et politique de ce pays ? J'en connais peu ! Je dois reconnaître que les femmes de ma génération ayant vécu en Tunisie étaient très peu nombreuses à parler l'arabe convenablement au bout de quelques années.

Si les conditions que nous imposons aux étrangers nous étaient appliquées à l'étranger, nous trouverions cela insupportable et vous multiplieriez les protestations diplomatiques !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion