Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat est donc appelé à se prononcer sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés.
Cette ordonnance, élaborée par le Gouvernement en application de l’habilitation qui figure à l’article 2 de la loi du 13 janvier 2009, a été ratifiée par l’Assemblée nationale le 20 octobre dernier.
En introduction à nos débats, il me semble important de rappeler que cette redéfinition de la carte législative est doublement nécessaire. En effet, il s’agit à la fois d’un impératif démocratique, puisqu’il est essentiel que tous les électeurs bénéficient d’une représentation juste et équilibrée, et d’une nécessité juridique, rendue incontournable par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
En premier lieu, la carte législative n’a pas été modifiée depuis 1986 : cet espace de plus de vingt ans entre deux actualisations est totalement inédit, et constitue même un record sous la Ve République.
Ainsi, le découpage actuellement en vigueur est fondé sur les chiffres issus du recensement général de la population de 1982, donc sur des statistiques vieilles de près de trente ans. Et l’on connaît l’évolution démographique de notre pays durant cette période !
Or, comme l’ont montré les résultats des recensements intervenus en 1990 et en 1999, ce tracé des circonscriptions est devenu obsolète et ne permet plus d’assurer l’égale représentation des citoyens, dont le vote a une valeur très différente selon la circonscription dans laquelle ils résident.
Comme l’a rappelé M. le secrétaire d’État, la deuxième circonscription de la Lozère, qui compte 36 000 habitants, est six fois moins peuplée que la sixième circonscription du Var, qui en compte 216 000.
Cet écart très substantiel, qui crée des disparités fortes entre les électeurs, n’est pas acceptable et viole les règles démocratiques élémentaires, notamment celle qui est inscrite à l’article 3 de notre Constitution, selon laquelle le suffrage est toujours égal.
Ce constat a d’ailleurs été rappelé, de manière ferme et constante, par le Conseil constitutionnel, dont les observations incitent depuis plus de dix ans le législateur à revoir la carte des circonscriptions législatives. Je rappelle à cet égard que le Sénat a récemment procédé, motu proprio, à cette révision.
En second lieu, comme je l’ai indiqué, la refonte des circonscriptions a été rendue absolument nécessaire par la révision constitutionnelle de 2008.
Le constituant a, en effet, prévu non seulement que les Français établis hors de France devraient désormais être représentés à l’Assemblée nationale, mais aussi que le nombre de députés serait, dans le même temps, plafonné à 577.
J’avais trouvé cette initiative intéressante mais un peu dangereuse ; cependant, à partir du moment où l’Assemblée nationale y tenait, nous devions nous conformer à la position de cette dernière pour ne pas déséquilibrer la Constitution.
Il était donc indispensable de repenser la composition de l’Assemblée afin qu’elle puisse intégrer les sièges dévolus à la représentation de nos compatriotes résidant hors de France, tout en conservant un nombre de membres inchangé.
La définition des circonscriptions, qui est une opération délicate et toujours controversée, est également un exercice « sous contrainte ». Encadré par le législateur, le redécoupage est également contrôlé étroitement par le Conseil constitutionnel et, depuis la révision constitutionnelle de 2008, surveillé par la commission prévue à l’article 25 de la Constitution, sans compter le Conseil d’État.
La première de ces contraintes est, naturellement, la loi d’habilitation, qui a fixé des critères précis pour guider le travail du Gouvernement, critères que celui-ci doit impérativement respecter, sous peine de s’exposer à la censure du Conseil constitutionnel.
Ces critères, dont nous devrons contrôler la bonne application avant de ratifier la présente ordonnance, reprennent largement ceux qui avaient été fixés en 1986.
Les circonscriptions doivent être constituées par un territoire continu, notamment dans le cas des villes de plus de 5 000 habitants et des cantons de plus de 40 000 habitants, qui ne sauraient en aucun cas être divisés.
Les écarts de population entre les circonscriptions ne peuvent être supérieurs à 20 % de la population départementale moyenne, et ils doivent être motivés par la seule volonté de prendre en compte un impératif d’intérêt général.
La deuxième contrainte est celle du juge constitutionnel, qui garantit la transparence et l’impartialité des opérations de redécoupage, et assure leur conformité aux principes contenus dans notre Constitution.
Dès 1986, le Conseil constitutionnel a ainsi affirmé que l’Assemblée nationale devait être élue « sur des bases essentiellement démographiques » et que, en conséquence, la délimitation des circonscriptions « ne [devait] procéder d’aucun arbitraire ». Dès lors, s’il est possible de déroger aux principes fixés par la jurisprudence constitutionnelle afin de tenir compte de réalités naturelles ou de contraintes géographiques, ces dérogations doivent être exceptionnelles et « s’appuyer, au cas par cas, sur des impératifs d’intérêt général ».
Déjà stricte, la jurisprudence du Conseil est devenue encore plus exigeante avec sa décision sur la loi d’habilitation du 13 janvier 2009.
Il a, en effet, censuré des dispositions qu’il avait auparavant déclarées conformes à la Constitution : il a jugé que le législateur ne pouvait pas, sans contrevenir au principe d’égalité devant le suffrage, attribuer un minimum de deux députés à chaque département, comme c’était la tradition depuis très longtemps, et que, pour cette même raison, il ne pouvait pas, par principe, octroyer au moins un siège à toutes les collectivités d’outre-mer, alors que nous avions appliqué ce principe aux nouvelles collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.
À ces contraintes de fond, s’est ajoutée une contrainte procédurale, celle qu’a créée la réécriture de l’article 25 de la Constitution en instituant une commission spécialement dédiée au contrôle des opérations de redécoupage.
Au vu de ce rôle majeur pour la démocratie, il était essentiel que l’indépendance de cette commission soit totale et effective. En conséquence, le Parlement a prévu que les membres de la commission, soumis à un régime d’incompatibilité particulièrement strict, pourraient voir leur mandat suspendu s’ils manquaient à leurs obligations.
Les assemblées se sont également réservé le pouvoir de contrôler la liste des personnalités appelées à siéger au sein de la commission, notamment par le biais du droit de veto sur les nominations présidentielles que leur donne l’article 13 de la Constitution. La commission des lois a ainsi eu l’occasion de se prononcer sur la désignation de son président et de l’un de ses membres. Je rappelle que siègent également au sein de la commission un membre du Conseil d’État, un membre de la Cour des comptes et un membre de la Cour de cassation, qui sont désignés par les assemblées de ces hautes juridictions.
Parallèlement, deux garde-fous ont été mis en place pour éviter que cette institution ne dépende, de quelque manière que ce soit, du pouvoir politique. Elle dispose d’une pleine autonomie financière, et le mandat de ses membres, d’une durée de six ans, n’est pas renouvelable.
Ces éléments mettent la commission à l’abri de toutes les pressions et de toutes les perturbations qui auraient pu nuire à la qualité et à la sérénité de son travail.