J’ai été extrêmement sensible à ce qu’a dit Mme Dini, qui a été applaudie sur toutes les travées, si je ne me trompe. En effet, il ne faut pas confondre inégalités et discriminations, comme certains organismes nous poussent parfois à le faire.
Les inégalités existent dans une société, mais elles ne sont pas toutes des discriminations. Ces dernières sont réprimées par la loi. Mme Khiari a, du reste, rappelé que le code pénal comptait vingt-trois incriminations visant divers types de discriminations. Ce sont celles-là qui posent un problème réel dans notre société.
Permettez-moi de faire à mon tour, comme Mme Dini, un peu de philosophie. Si nous considérions les membres de la société non pas comme de simples individus, mais comme des personnes ayant toutes droit au respect, particulièrement quand elles sont en difficulté – je pense notamment aux handicapés –, nous nous engagerions dans une voie différente, où il s’agirait non plus de revendiquer des droits, mais d’affirmer que la société entière se doit de respecter chaque personne.
Ce sont bien là les valeurs sur lesquelles se fondent la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et, on l’oublie, l’article 1er de la Constitution de 1958. Aux termes de celui-ci, je le rappelle, la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». En fait, il faut dépasser le terme de « citoyens » pour étendre la garantie de l’égalité devant la loi à tous ceux qui résident dans notre pays.
C’est la raison pour laquelle, lors de la dernière révision constitutionnelle, le Sénat a pris l’initiative de réécrire l’article 71-1 de la Constitution pour changer le titre du « Défenseur des droits des citoyens » en « Défenseur des droits ». Il a également été précisé que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ».
À en croire certains, rien n’aurait été fait pour lutter contre les discriminations. Ce n’est pas vrai !
Pas sérieux, les internats d’excellence ? Eh bien si, ça marche ! Les écoles de la deuxième chance, ça marche ! De même qu’un certain nombre d’autres dispositions prises pour permettre à des jeunes lâchés sur le bord de la route de trouver un avenir !
Vous avez évoqué, madame Khiari, la discrimination qui frappe les titulaires de diplôme s’entendant dire qu’il n’y a pas d’emploi pour eux quand d’autres, titulaires du même diplôme, se voient, eux, offrir l’emploi considéré. J’ai connu un jeune, titulaire d’un diplôme de troisième cycle d’urbanisme, qui était dans ce cas : il ne trouvait pas de travail dans des cabinets privés. Je l’ai incité à passer un concours et il a fait une très belle carrière dans l’administration. S’il est une méthode de recrutement à maintenir, c’est bien celle du concours, absolument ouvert à tous, quelle que soit leur origine !
On a beaucoup parlé des emplois dans la haute fonction publique. Eh bien, j’ai l’impression que, bizarrement, la suppression du rang de classement à la sortie de l’ENA aggravera demain la cooptation. Je souhaite d’ailleurs que nous ayons prochainement une réflexion sur le sujet.
Je pense que tout ce qui a été fait pour ouvrir aux boursiers l’accès aux grandes écoles et à Sciences Po est une réussite. Ce sont, à mon sens, des éléments efficaces, et susceptibles d’avoir un effet d’entraînement, pour lutter contre la discrimination.
La lutte contre les discriminations est, selon moi, un combat permanent. Certains idéalisent le passé, paraissant considérer que la France a été jadis plus « ouverte ». Mais les amateurs d’histoire, notamment d’histoire ouvrière, savent bien quel accueil, à une certaine époque, a été réservé aux Polonais ou à d’autres étrangers venus travailler, par exemple, dans nos bassins miniers…
Si la situation s’est à certains égards aggravée, c’est sans doute en partie du fait de l’urbanisation.
À ce propos, il ne faut pas méconnaître non plus les discriminations géographiques et, en particulier, les difficultés auxquelles se heurte le monde rural. §Il est plus difficile pour un enfant qui vit dans un canton reculé, même en Île-de-France, de suivre de hautes études que pour certains banlieusards qui, grâce au RER, ont un accès rapide à des établissements de qualité ou à l’Université. Cela fait partie aussi des inégalités territoriales, il ne faudrait pas l’oublier.
Je voudrais évoquer brièvement la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité.
J’ai lu attentivement les rapports qu’elle a publiés depuis cinq ans. Ils contiennent des choses extrêmement intéressantes, au demeurant confirmées par les études de l’INSEE et de l’INED issues de l’enquête « trajectoires et origines ».
On s’aperçoit que les discriminations sont beaucoup plus diverses qu’on ne le pense. Par exemple, la HALDE a découvert que les femmes enceintes, pourtant protégées par les règles du code du travail, étaient spécifiquement victimes d’inégalités.
Je pense aussi que la justice doit prendre ses responsabilités. Il ne revient pas à une autorité indépendante de régler tous les problèmes. Que les justiciables n’hésitent pas à saisir les tribunaux !
Je voudrais rétablir une vérité : si 10 000 dossiers sont déposés chaque année devant la HALDE, elle n’en traite que 1 000, car les autres ne relèvent pas de sa responsabilité. Et sur les affaires qui lui restent, certaines sont importantes, d’autres secondaires. Je regrette au passage qu’elle n’en ait transmis que douze au parquet, car cela traduit une volonté de régler les problèmes à son niveau, sans faire appel à la justice. Or c’est à celle-ci qu’il revient de faire appliquer la loi quand elle n’est pas appliquée, dans ce domaine comme dans d’autres. C’est pourquoi j’étais assez hostile à la création de cette panoplie de médiations.
Je me garderai d’ouvrir un débat préparatoire à l’examen du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits, qui nous sera prochainement soumis. Je dirai seulement qu’aux termes de l’article 71-1 de la Constitution le Défenseur des droits aura des pouvoirs beaucoup plus importants qu’un « super-médiateur ».
Au-delà de la discussion sur le périmètre de ses compétences, je pose une question : a-t-on intérêt à continuer de multiplier les autorités administratives indépendantes ? Vous savez que tel n’est pas le sentiment de la commission des lois, et cela ne date pas d’hier !
Il faut progressivement agréger un certain nombre de ces autorités, à l’instar de ce qui se passe dans de nombreuses démocraties, notamment en Espagne, et dans d’autres pays où l’ombudsman dispose de pouvoirs aussi importants que notre nouveau Défenseur des droits. Il défend tous les droits, notamment ce droit fondamental qu’est le droit à l’égalité !