Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 28 octobre 2010 à 15h00
Indépendance du président de la république et des membres du gouvernement vis-à-vis du pouvoir économique — Rejet d'une proposition de loi constitutionnelle

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la proposition de loi :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai l’honneur de vous présenter une proposition de loi constitutionnelle visant à mieux garantir l’indépendance du Président de la République et des membres du Gouvernement vis-à-vis du pouvoir économique.

Comme le souligne M. Gélard dans son rapport, « la volonté de mettre les dirigeants politiques et les responsables publics au-dessus de tout soupçon et de garantir aux citoyens que l’exercice de mandats électoraux ou de fonctions électives ne soit pas, pour ceux qui les détiennent, l’occasion d’un enrichissement personnel, a été une préoccupation constante tout au long de l’histoire de notre pays : dès 1795, des obligations de déclaration de patrimoine sont imposées aux élus par la Convention, qui entendait ainsi assurer la confiance des mandés en leurs mandants ».

M. le rapporteur évoque ensuite la loi organique du 11 mars 1988, qui est relativement récente et donc tardive dans la France postrévolutionnaire.

Certes, la République s’est dotée d’un cadre juridique destiné à éviter la confusion d’intérêts – ou conflit d’intérêt – entre les missions publiques et les intérêts privés ou particuliers de ceux qui les exercent.

L’indépendance des acteurs publics, la morale publique peuvent, en principe, faire partie de notre consensus républicain.

Force est de constater toutefois qu’en matière de transparence financière notre législation est récente et bien modeste.

En effet, les différentes situations sur lesquelles le législateur a éprouvé la nécessité de prévenir ou de sanctionner d’éventuels manquements aux vertus républicaines concernant les élus et les fonctionnaires ont donné lieu à des règles d’inéligibilité, d’incompatibilités entre fonctions électives et professions ou fonctions.

Les obligations de transparence concernent principalement le financement des partis politiques – on en voit les insuffisances –, les campagnes électorales et le patrimoine des élus.

Hélas ! on peut constater tous les jours que ce cadre juridique, s’il est utile, n’est pas suffisant, voire se révèle dépassé, tant s’est établie une proximité, une « porosité » pourrait-on même dire, entre les pouvoirs publics et l’argent.

Bien évidemment, cette proximité est d’autant plus grande dans le monde et en France, et la frontière entre intérêt général et intérêts particuliers est d’autant plus fragile que l’idéologie libérale, voire ultralibérale que vous défendez prône la primauté des intérêts privés sur l’intérêt général, la primauté de l’économie sur le politique, et que sont imbriqués les pouvoirs économiques et politiques dans les classes dirigeantes.

Ajoutons que notre pays est le champion de l’extrême concentration des pouvoirs, tant économiques que politiques. Le débat sur le cumul du mandat de parlementaire avec l’exercice d’une fonction exécutive locale qui s’est déroulé ce matin et celui sur les mandats dans les conseils d’administration et de surveillance des grandes entreprises hier après-midi en ont été l’illustration.

Ajoutons aussi que l’évolution récente, avec la privatisation des grandes entreprises publiques et des banques, le recours aux partenariats public-privé, la délégation croissante de services publics au privé, est telle que se multiplient les possibilités de créer des liens étroits entre pouvoirs politiques et pouvoirs économiques ainsi que les passerelles entre fonctions publiques et fonctions économiques.

Ajoutons, enfin, que cette réalité est encore plus manifeste depuis l’arrivée au pouvoir de l’actuel Président de la République : il affiche lui-même sa proximité avec le monde des affaires, il en a fait un symbole en fêtant son élection au Fouquet’s avec ses amis de la finance, puis sur le yacht de Vincent Bolloré !

Depuis, les exemples de proximité se sont multipliés, tant par les nominations de conseillers du Gouvernement à la tête d’entreprises en voie de privatisation que par les rapports étroits de membres du Gouvernement ou de parlementaires avec le monde des affaires.

Je n’ai pas l’intention de faire ici la chronique des gazettes.

En revanche, ce que tout le monde peut constater, ce sont les nombreuses dérives, qu’elles puissent ou non faire l’objet d’une sanction au vu de notre législation actuelle. C’est le lot d’une société hyper-médiatisée. C’est une forme de transparence, mais une transparence extrêmement dangereuse.

Les dérives que s’autorisent certains rejaillissent sur tous les autres. Elles nourrissent chez nos concitoyens le rejet des politiques, des institutions et nuisent gravement à la santé de la démocratie !

Il est navrant de constater que, au pays de Saint-Just, de Jaurès et de Zola, 60 % à 70 % de nos concitoyens pensent que leurs élus sont corrompus ou sensibles à la corruption.

On est loin, bien loin, de la République « irréprochable » dont parlait le candidat Nicolas Sarkozy. Paroles, paroles !

Tout cela est tel, d’ailleurs, qu’à la rentrée de septembre – après un été édifiant sur la question – la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique est devenue un sujet d’actualité et qu’une commission d’« experts » a été chargée par décret du 10 septembre 2010 d’y réfléchir et de formuler des propositions. Nous verrons ce qu’il en ressortira !

La proposition de loi constitutionnelle que je présente aujourd’hui n’est donc pas hors sujet. Elle est antérieure à l’institution de la commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, même si elle est discutée aujourd'hui dans le cadre de la semaine d’initiative sénatoriale. Elle est modeste et s’attache à une question qui n’est pas forcément directement liée aux conflits d’intérêts. Cependant, elle traite de situations bien réelles pouvant concerner non seulement les membres du Gouvernement, mais aussi le Président de la République lui-même.

Je constate d’ailleurs que M. le rapporteur signale, pour mieux le repousser, que ce texte « soulève des questions cruciales ». Il a d’abord tenté de s’y opposer sur la forme, en déposant une motion d’irrecevabilité. Nous savons que la majorité use de procédures sur la plupart des propositions de loi de l’opposition pour éviter les débats de fond. En la matière, les exemples sont nombreux et répétés. Nous avons donc rectifié ce texte hier en le transformant en proposition de loi constitutionnelle. Il n’en reste pas moins que M. le rapporteur invoque diverses raisons pour en demander le rejet, raisons qui me paraissent peu convaincantes.

Ce texte a pour objet d’étendre au Président de la République et aux membres du Gouvernement l’interdiction de recevoir tout don ou avantage de personnes morales, sous quelque forme que ce soit, et de créer une obligation de déclaration des dons provenant de personnes physiques lorsque ceux-ci excèdent un montant annuel fixé par la loi ordinaire. Vous remarquerez, mes chers collègues, que le montant ne figure plus dans cette proposition de loi constitutionnelle : nous renvoyons à une loi ordinaire le soin de le fixer, ce qui est juridiquement normal.

Les dons concernés sont soit directs, soit indirects. Tout don ou avantage en nature effectué par une tierce personne, mais dont les personnes visées par ce texte bénéficient également, est pris en compte dans le calcul des sommes déclarées. Ces nouvelles dispositions seront applicables au Président de la République et aux membres du Gouvernement.

Si la loi de 1995 exclut partiellement les personnes morales du financement des campagnes électorales et des partis politiques, rien n’est prévu pour le Président de la République, les membres du Gouvernement et les élus.

Par ailleurs, en vertu de la loi de 1988, la Commission pour la transparence financière de la vie politique, la CTVP, « contrôle » certes les patrimoines des élus et des membres du Gouvernement en début et fin de mandat, mais elle ne contrôle ni les revenus ni les cadeaux et donations qui ne sont pas des biens patrimoniaux. Rien n’empêche donc une personne physique ou une personne morale d’octroyer certains avantages financiers ou en nature, de façon directe ou indirecte, aux élus, aux membres du Gouvernement ou au Président de la République.

Monsieur le rapporteur, vous essayez de décrédibiliser cette proposition de loi constitutionnelle en affirmant que notre texte pourrait priver les ministres ou le Président de la République des moyens d’exercer leur mandat. Pourtant, vous ne pouvez pas confondre la notion de dons effectués par des personnes morales avec celle de moyens matériels dévolus à l’exercice d’une fonction !

Par ailleurs, vous nous reprochez de ne pas avoir fixé de sanctions afférentes à l’interdiction des dons, dont le plafond pourrait être limité à 4 600 euros, à l’instar de ce qui est prévu dans le cadre des campagnes électorales ou du financement des partis politiques. Vous auriez pu amender notre texte en ce sens ! En revanche, vous êtes resté bien discret sur notre souhait d’améliorer la transparence en exigeant une déclaration publique de ces dons.

Transparence rime avec indépendance. La sanction politique évoquée par M. le rapporteur comme la seule sanction possible, notamment contre le Président de la République, celle des urnes, ne pourra intervenir que si la publicité des liens financiers existe. Ce n’est que si les citoyens sont informés en dehors du jeu médiatique qu’ils pourront former leur jugement !

M. le rapporteur considère également que cette proposition de loi constitutionnelle aurait pour effet de réglementer la vie quotidienne de ceux qui exercent des responsabilités et de mettre en quelque sorte leur vie privée sous les yeux des citoyens. Passez-moi l’expression, mais c’est un peu fort !

Nombre de responsables politiques, à commencer par le Président de la République lui-même, étalent leur vie privée, ce que, pour notre part, nous réprouvons. Mais la transparence de leur situation financière, c’est tout autre chose !

Aujourd’hui, les médias s’emparent de dérives inacceptables. C’est à la loi d’organiser la transparence, le contrôle et la sanction s’il y a lieu. Nul n’est obligé d’être élu, membre d’un Gouvernement ou Président de la République ! La contrepartie est d’accepter que sa situation financière soit publique et irréprochable.

Mes chers collègues, nous défendons l’honneur des élus qui, dans leur grande majorité, n’ont rien à se reprocher…

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