Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sous des dehors assez nettement techniques, le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui recèle quelques enjeux plus importants qu'il n'y paraît au premier abord.
Ce texte consacre en effet l'achèvement du processus d'ouverture du marché de l'assurance en Europe, comme la primauté du code des assurances sur tout autre corpus législatif en la matière, ce qui a une certaine importance dans notre pays, marqué par la présence d'un fort secteur mutualiste, et vise donc à proposer un cadre juridique pour une activité appelée à se développer dans les années à venir.
L'article 1er du projet de loi a pour objet de transposer, sous certaines conditions, les principes qui président, dans le champ de la législation européenne, à la mise en oeuvre de la concurrence libre et non faussée en matière d'intermédiation en assurances. Cet article tend ainsi à instaurer des règles propres à l'autorisation de toute personne à s'établir comme intermédiaire en assurance.
On relèvera que cette homologation se déterminera sur les règles établies par chacun des pays d'origine des intermédiaires, ce qui risque fort de poser en pratique quelques difficultés, eu égard à la grande diversité des situations dans les vingt-cinq pays de l'Union européenne.
Même si ce n'est sans doute pas demain que les assurés français feront appel aux services d'intermédiaires non nationaux pour souscrire des contrats, il est cependant probable que la situation connaîtra dans les années à venir de sensibles évolutions, puisque la concurrence exacerbée entre entreprises d'assurance à vocation européenne se conjuguera probablement avec l'émergence d'une nouvelle génération d'intermédiaires appointés...
A la vérité, les conditions sont ouvertes pour une guerre sans merci entre les grands groupes assurantiels européens, qu'il s'agisse de nos sociétés à base française, comme les AGF, le GAN ou Axa, ou de celles qui sont venues de pays étrangers, comme Generali ou Allianz, pour ne citer que quelques exemples.
On notera d'ailleurs que la mise en place et le développement du marché européen de l'assurance vont de pair avec une course à la taille critique menée par chacun de ces groupes, au travers, notamment, de coûteuses opérations de contrôle de concurrents directs.
Il faut dire qu'avec les perspectives offertes non seulement par la persistance d'un haut niveau d'endettement des Etats membres de l'Union, et donc la production d'un fort volume de titres obligataires, mais aussi par la spéculation immobilière, et donc la valorisation rapide du patrimoine, les sociétés d'assurance jouissent d'une forte rentabilité de leurs placements.
Trois enjeux fondamentaux sont cependant au coeur du développement du secteur de l'assurance dans les prochaines années.
Le premier enjeu est celui de la retraite. En effet, la logique qui alimente depuis maintenant plus de dix ans les critères de convergence européens encourage, dans tous les pays de l'Union sans la moindre exception, l'émergence d'un volume d'épargne par capitalisation destiné à compenser, pour les salariés concernés, la déperdition progressive et continue de la qualité de la couverture assurée par le régime solidaire de retraite.
Notre pays n'a pas échappé à ce phénomène, particulièrement depuis l'adoption, en 1993, de la réforme Balladur en matière de retraites, que la réforme Fillon, en 2003, n'a fait que renforcer.
Devant la dégradation de la retraite par répartition, on a ouvert le champ d'une couverture complémentaire par capitalisation, qui est par nature inégalitaire et présente nombre d'avantages pour les compagnies d'assurance.
En effet, l'épargne retraite s'avère être une épargne captive de longue durée qui offre bien des opportunités de placement et de spéculation pour les gestionnaires des contrats.
Les mesures préconisées dans le texte, même si elles peuvent apparaître comme l'expression d'un souci de transparence, ne changent rien au fond du problème posé par cette forme de confiscation de l'épargne des salariés.
Le deuxième champ investi par les compagnies d'assurance est celui de la couverture santé.
Là encore, devant la dégradation continue de la qualité des prestations prises en charge par le système solidaire, les portes sont largement ouvertes pour un investissement du secteur par les compagnies d'assurance. Ce domaine leur échappe encore en grande partie, d'autant que c'est le secteur mutualiste qui assume l'essentiel de la couverture complémentaire des salariés dans notre pays.
Enfin, reste le champ de l'assurance vie, relativement proche de celui de l'épargne retraite, mais avec des caractères spécifiques.
On le sait, l'encours de l'assurance vie dans notre pays demeure particulièrement élevé - plus ou moins 850 milliards d'euros -, malgré une évolution moins favorable de la fiscalité ces dernières années.
Le marché de l'assurance vie se nourrit de l'émission de titres de dettes publiques, les compagnies d'assurance étant les premiers investisseurs institutionnels souscripteurs.
De fait, tout laisse penser que, en cette matière, les années qui viennent de s'écouler comme les prochaines ne vont guère modifier les données du problème.
D'une certaine manière, d'ailleurs, lorsque les épargnants cotisent pour leur assurance vie, les revenus qu'ils capitalisent sont autant de baisses d'impôts qui n'ont pas lieu d'être et autant de dépenses publiques qui sont réduites, puisqu'il faut bien rémunérer les titres obligataires émis au fur et à mesure des besoins.
C'est donc en fonction de ces perspectives que nous nous devons de placer le débat qui nous occupe aujourd'hui bien au-delà des considérations techniques ou comptables qui pourraient nous intéresser à l'examen des articles.
Quant au contenu du texte, nous ne pourrons évidemment l'approuver, les précautions prises pour créer les conditions d'une concurrence transparente entre intermédiaires en assurance et compagnies d'assurance ne constituant que la dernière étape d'un processus accentué de financiarisation de l'économie que nous combattons par ailleurs.
Tels sont, madame la ministre, mes chers collègues, les points que nous souhaitions relever à l'occasion de ce débat.