Le présent projet de loi est l’aboutissement d’une logique défendue depuis maintenant près de quinze ans.
Au pouvoir, la gauche comme la droite ont demandé des reports pour l’ouverture à la concurrence du secteur postal, mais chacune pour des raisons différentes.
Depuis la négociation de la première directive postale, les socialistes ont toujours défendu un report au nom de la défense du service public et du renforcement du service universel postal, dont le rôle en matière de cohésion économique, sociale et territoriale a toujours été très particulier.
Mais à droite, qu’il s’agisse du Sénat ou du Gouvernement, la stratégie du report n’a toujours eu qu’une seule fin : préparer La Poste à être une entreprise comme les autres, quitte à réduire le service universel comme une peau de chagrin.
Pour preuve, dans une proposition de résolution du 1er décembre 2000, déposée en application de l’article 88-4 de la Constitution sur la deuxième directive postale, M. Gérard Larcher reprochait au gouvernement socialiste de n’avoir « pas mis à profit le délai obtenu au Conseil européen de Dublin pour mener les réformes de structure indispensables afin de rendre La Poste compétitive dans ce nouveau contexte européen : adaptation de son statut, […] identification et financement des missions d’intérêt général étrangères aux métiers postaux proprement dits... »
Ainsi, le changement de statut était déjà accepté et programmé !
Aujourd’hui, selon le rapport de M. Pierre Hérisson, La Poste doit se préparer à affronter « la menace représentée par les grands opérateurs historiques nationaux » désormais privatisés d’autres États membres, comme Deutsche Post et le néerlandais TNT, et à relever de nouveaux défis, comme le développement du courrier à l’international.
Effectivement, si le secteur réservé n’existe plus et si le service universel est réduit aux zones rentables, il y a de quoi se faire du souci !
Une telle stratégie ferait le jeu des objectifs ultralibéraux qui figurent dans le rapport de la Commission européenne du 22 décembre 2008 sur l’application de la directive postale. Ce document fait bien ressortir que le secteur réservé gêne les opérateurs privés dans leur démarche d’expansion. Il y est notamment écrit : « Le développement généralement lent de la concurrence peut être imputé aux obstacles juridiques, c’est-à-dire au fait que dans la plupart des États membres les secteurs réservés représentent encore la plus grande partie des volumes postaux. Vu que les économies d’échelle jouent un rôle important dans les activités postales, la réservation des services aux opérateurs postaux historiques fait qu’il est difficile pour les nouveaux entrants d’atteindre des volumes suffisants pour profiter aussi des économies d’échelle et d’être compétitifs sur le marché postal. »
Pour la Commission européenne, le secteur réservé constitue bien un obstacle à une « concurrence libre et non faussée » et est source de distorsion du marché lorsqu’il fonctionne bien, comme c’est le cas en France.
Faut-il donc lui offrir La Poste sur un plateau ? Souhaitez-vous vraiment jeter cet établissement dans la gueule des loups et fragiliser le secteur public, comme c’est le cas au Royaume-Uni, face à des opérateurs redoutables, mais dont les conditions de service sont discutables ?
C’est l’une des raisons pour lesquelles nous demandons la suppression du quatrième alinéa de l’article 1er de ce projet de loi.