Intervention de Alain Marleix

Réunion du 28 octobre 2010 à 15h00
Indépendance du président de la république et des membres du gouvernement vis-à-vis du pouvoir économique — Rejet d'une proposition de loi constitutionnelle

Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes saisis d’une proposition de loi constitutionnelle présentée par le groupe CRC-SPG visant à garantir l’indépendance du Président de la République et des membres du Gouvernement vis-à-vis du pouvoir économique.

Ce texte prévoit d’interdire au Président de la République et aux membres du Gouvernement de recevoir des dons en espèces ou en nature de la part de personnes morales. Par ailleurs, lorsque ces dons émanent d’une personne physique, ils doivent faire l’objet d’une déclaration publique annuelle auprès de la Commission pour la transparence financière de la vie politique, s’ils excèdent un montant global fixé par la loi.

À l’origine, il s’agissait, comme l’a rappelé M. le rapporteur, d’une proposition de loi ordinaire. Le contenu des dispositions proposées relevant clairement, selon les constitutionnalistes auditionnés par la commission des lois, d’une norme supérieure, M. le rapporteur avait proposé à la commission, qui l’a suivi, de la déclarer irrecevable. Il aurait alors soutenu en séance publique une motion d’irrecevabilité, que le Gouvernement vous aurait demandé, mesdames, messieurs les sénateurs, de bien vouloir voter.

Cependant, face à cette difficulté juridique, les auteurs de cette proposition de loi ordinaire ont transformé celle-ci en une proposition de loi constitutionnelle, qui prévoit d’inscrire dans la Constitution les dispositions qui figuraient dans le texte originel.

Compte tenu de cette modification intervenue hier, c’est sur le fond que le Gouvernement se placera pour vous exposer ses arguments en vue de vous demander, mesdames, messieurs les sénateurs, de bien vouloir rejeter cette proposition de loi constitutionnelle.

Ce texte ainsi que la proposition de loi organique visant à interdire le cumul du mandat de parlementaire avec l’exercice d’une fonction exécutive locale, que vous avez renvoyée ce matin en commission, doivent être rapprochés des quatre propositions de loi présentées par le parti socialiste et repoussées, conformément au souhait du Gouvernement, par l'Assemblée nationale voilà une dizaine de jours.

Ces quatre propositions de loi portaient, d’une part, sur l’interdiction du cumul du mandat de parlementaire avec l’exercice d’une fonction exécutive locale et, d’autre part, sur la réglementation des financements privés des partis politiques et la prévention des conflits d’intérêts concernant les membres du Gouvernement.

Permettez-moi de vous faire part des critiques émises par le Gouvernement à l’encontre de ces textes.

Premièrement, il s’agissait de textes dont la motivation était à l’évidence politicienne ; ceux qui les proposaient n’avaient aucune envie de les voir mettre en pratique.

Deuxièmement, cette motivation avait conduit à une précipitation dans leur élaboration. En conséquence, ces textes présentaient des défauts que l’on pourrait qualifier, pour rester aimable, de « techniques ». Le Gouvernement a clairement indiqué à l’Assemblée nationale, par la voix de votre ancien collègue Henri de Raincourt, que la défense de la moralité publique n’est le monopole d’aucun parti, comme aurait pu le laisser supposer l’intitulé la proposition de loi constitutionnelle et de la proposition de loi organique : « pour une République décente ».

Le Gouvernement avait également mis en garde les signataires de ces textes contre les risques de démagogie. Enfin, il avait indiqué – Michel Mercier l’a confirmé ce matin devant vous – qu’il n’était pas hostile à ce que certaines questions évoquées fassent l’objet d’un examen moins précipité et plus approfondi permettant de parvenir à des réponses consensuelles.

Le Gouvernement peut reprendre ces critiques et les formuler à l’encontre de la proposition de loi constitutionnelle déposée par les sénateurs du groupe CRC-SPG que nous examinons aujourd’hui.

Ce débat est l’occasion pour le Gouvernement de rappeler que notre République s’est dotée d’un ensemble solide de dispositions juridiques en matière de transparence financière de la vie politique.

Je ferai d’ailleurs observer que les principales lois de ce dispositif ont été votées alors que l’actuelle majorité parlementaire était aux responsabilités. Ainsi, ce sont la loi organique du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, votée sous le gouvernement de Jacques Chirac, et la loi du 8 février 1995 relative à la déclaration du patrimoine des membres du Gouvernement et des titulaires de certaines fonctions, votée sous le gouvernement d’Édouard Balladur, qui ont, d’une part, réglementé le financement des campagnes électorales, d’autre part, organisé le financement des partis politiques, qu’il soit privé ou public.

L’ensemble de cette réglementation est appliqué sous le contrôle de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements publics à qui l’ordonnance du 8 décembre 2003, prise sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, a conféré le statut d’autorité administrative indépendante.

Ce dispositif ne concerne pas seulement le financement des partis politiques et des campagnes électorales : il s’intéresse également au patrimoine des membres du Gouvernement et à celui de nombreux élus.

Ainsi est-il imposé aux membres du Gouvernement d’établir notamment une déclaration de leur patrimoine à la Commission pour la transparence financière de la vie politique dans les deux mois qui suivent leur nomination et dans les deux mois qui suivent leur cessation de fonctions. À cela s’ajoute l’obligation qui leur est imposée de faire état de toutes les modifications substantielles de leur patrimoine intervenues au cours de leur présence au Gouvernement.

En outre, il revient à la Commission pour la transparence financière de la vie politique, qui est également considérée comme une autorité administrative indépendante, d’apprécier le caractère normal ou non de l’évolution des patrimoines des uns et des autres.

Cette instance peut mettre en demeure les intéressés de fournir des explications sur certaines évolutions patrimoniales. Et, si celles-ci lui paraissent insuffisantes, elle peut saisir le Premier ministre et le parquet.

S’agissant du financement des élections présidentielles, la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel s’inspire largement des dispositions des lois organiques du 11 mars 1988 et du 19 janvier 1995.

Enfin, en ce qui concerne le contrôle du patrimoine du Président de la République, le système précisé par la loi du 6 novembre 1962 prévoit que les candidats à l’élection présidentielle doivent remettre au Conseil constitutionnel, sous peine de nullité de leur candidature, une déclaration relative à leur situation patrimoniale. Celle-ci est complétée par un engagement de déposer une nouvelle déclaration à l’issue du mandat. Ces déclarations sont publiées au Journal officiel. Ainsi tout citoyen peut-il être juge de l’évolution du patrimoine du Président de la République pendant la durée son mandat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a beaucoup de mal à considérer que la réglementation actuelle relative au financement des campagnes électorales présidentielles et au contrôle de l’évolution du patrimoine du Président de la République et des membres du Gouvernement constitue un ensemble de dispositions anodines. Il le considère avec d’autant plus de difficultés que, s’agissant de la transparence financière de l’exécutif, depuis le début de l’actuel quinquennat, le budget de l’Élysée est contrôlé chaque année par la Cour des comptes, dont le rapport est rendu public.

Contrairement à ce que soutiennent les auteurs de ce texte dans l’exposé des motifs, on ne peut raisonnablement déplorer l’existence d’un « vide juridique » concernant le contrôle des relations entre l’exécutif et le monde économique et, plus généralement, l’absence de dispositif relatif à la transparence financière de l’exécutif. Nous disposons en cette matière d’un ensemble solide de mesures qui peuvent, à elles seules, motiver un rejet au fond de cette proposition de loi constitutionnelle.

Cet argument de fond peut être corroboré par deux éléments complémentaires qui témoignent de la précipitation dans laquelle ce texte a été élaboré.

D’une part, telle qu’elle est rédigée, cette proposition de loi constitutionnelle autorise des interprétations extensives qui conduiraient à des interdictions peu compréhensibles. Le rapport de la commission des lois en cite quelques-uns, qu’il s’agisse des moyens matériels mis à la disposition du Président de la République ou des membres du Gouvernement pour assumer leurs fonctions ou de présents qu’ils recevraient dans le cadre de leurs fonctions de représentation, y compris diplomatiques.

D’autre part, l’application des dispositions de ce texte aurait pour conséquence un contrôle largement excessif de la vie quotidienne du chef de l’État et des membres du Gouvernement.

Enfin, je rappelle que le Président de la République et le Gouvernement ne sont pas fermés à toute prise en considération de la notion de conflit d’intérêt dans la vie politique.

J’en veux pour preuve le décret du 10 septembre 2010, pris à la demande du Président de la République, qui a instauré une commission de réflexion sur cette question, s’agissant notamment des membres du Gouvernement. Cette instance, qui a déjà commencé à travailler, doit remettre son rapport avant la fin de cette année. Au vu de ses conclusions, nous apprécierons s’il convient de compléter les textes actuels que j’ai précédemment évoqués.

Le projet de loi organique relatif à l’élection des députés et la proposition de loi portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la transparence financière de la vie politique, déposée par les députés Jean-Luc Warsmann et Charles de La Verpillière, pourraient constituer des vecteurs législatifs susceptibles d’accueillir d’éventuelles dispositions portant sur les conflits d’intérêts entre l’exécutif et le monde économique.

Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est conduit à vous demander de rejeter cette proposition de loi.

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