Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers mais peu nombreux collègues, le pouvoir et l’argent ne font pas bon ménage, mais les conflits d’intérêts semblent avoir de beaux jours devant eux si nous ne nous décidons pas à endiguer ces abus.
La démocratie est en grand danger lorsque des proximités se développent entre les pouvoirs publics et l’argent, en témoignent les nombreuses dérives auxquelles nous avons récemment assisté.
Les frontières entre ces deux sphères sont terriblement poreuses, à tel point que l’on en vient à décorer les heureux contributeurs de la campagne présidentielle de 2007 de la Légion d’honneur, transformant ainsi la médaille napoléonienne en hochet pour riches.
Je ne vais pas citer toutes les affaires ici, mais leur grand nombre fait prendre aujourd’hui à la France des allures de République bananière. Elles sont très éloignées de l’exigence démocratique de transparence que beaucoup semblent appeler de leurs vœux. Il est visiblement difficile de passer des paroles aux actes…
De même que la privatisation des moyens de renseignement, les généreux cadeaux fiscaux, le cumul des fonctions et le lobbying installé au cœur du pouvoir témoignent d’une mise sous tutelle inacceptable de l’État par des personnes morales.
Nous avons rectifié notre proposition de loi afin de répondre à l’argument d’inconstitutionnalité qui allait nous être opposé, la commission estimant que les dispositions proposées devaient relever à tout le moins d’un texte de valeur organique.
Mais, au regard de tous les scandales politico-financiers, on pourrait considérer que la politique de M. Sarkozy est, dans son ensemble, inconstitutionnelle, dès lors que l’article 4 de notre loi fondamentale dispose que « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. »
Nous sommes aujourd’hui très loin du compte. Nos concitoyens nous ont mandatés pour les représenter, les écouter et les relayer. Nos mandats politiques ne doivent théoriquement pas nous permettre d’agir avec cupidité.
Car un État est démocratique dans le sens où chacun concède son pouvoir décisionnel, non à un autre individu ou à un groupe déterminé, mais à la société dont il constitue une composante.
Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui le pouvoir est invariablement détenu et transmis au sein d’un groupe particulier. La grande majorité de la population se trouve exclue de l’élaboration de nos politiques publiques, ce qui est, vous en conviendrez, fortement dommageable pour ce qui reste de notre État de droit et de notre République. Nous regrettons d’ailleurs que notre pays ne se soit pas acheminé vers l’établissement d’une véritable démocratie participative.
Le 12 juillet dernier, à l’occasion de son intervention sur France 2 destinée à désamorcer la bombe « Woerth-Bettencourt », le Président de la République déclarait qu’il demanderait « à une commission représentant toutes les familles politiques de réfléchir à la façon dont on doit ou non compléter ou modifier la loi pour éviter dans l’avenir toute forme qui pourrait intervenir de conflit d’intérêts », admettant, de fait, qu’il y avait un problème.
À la suite de la publication du livre de M. Hirsch faisant état de situations quelque peu gênantes, trois personnalités – un magistrat, un conseiller d’État et un président de la Cour des comptes – ont été récemment chargées par Nicolas Sarkozy de réfléchir aux « situations de conflit d’intérêts dans lesquelles peuvent se trouver les membres du Gouvernement, les responsables des établissements publics et entreprises publiques, ainsi que, le cas échéant, les autres agents publics dont la nature particulière des missions le justifierait ».
En tant que parlementaires, au titre du mandat qui nous a été confié, nous devions prendre la responsabilité d’agir. Face à la multiplication des dérives, confortées par une législation lacunaire en la matière, nous avons donc été incités à développer notre réflexion sur l’indépendance du pouvoir exécutif et à vouloir aller plus loin dans notre détermination à combattre ces abus.
La législation actuelle présente des insuffisances, beaucoup s’accordent à le reconnaître, tant dans son champ d’application, qui est aujourd’hui limité aux seuls partis et candidats, que dans l’effectivité de son application.
L’interdiction faite aux personnes morales de participer à la vie politique du pays ne concerne que les périodes de campagne électorale et le financement des partis politiques, alors qu’elle devrait concerner l’ensemble de la vie politique.
Afin de remédier à cette contradiction, nos propositions ont pour objet d’étendre l’interdiction de recevoir tout don ou avantage, sous quelque forme que ce soit, de personnes morales et de créer une obligation de déclaration des dons provenant de personnes physiques, lorsque ceux-ci excèdent un montant annuel fixé par la loi ordinaire. Ce dernier pourrait être établi à 4 600 euros, à l’instar de la législation actuelle en matière de financement de la campagne des candidats à une élection.
Comme l’a rappelé Nicole Borvo Cohen-Seat, les dons concernés sont directs ou indirects. Tout don ou avantage en nature effectué par une tierce personne dont bénéficient également les personnes visées par notre texte sont pris en compte dans le calcul des sommes déclarées. Cette nouvelle législation serait applicable non seulement au Président de la République, mais aussi aux membres du Gouvernement.
Les sanctions envisagées sont celles prévues par la Constitution pour le Président de la République et par la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique pour les membres du Gouvernement.
Cette proposition de loi constitutionnelle n’a d’autre objet que de renforcer la transparence de la vie politique, en accord avec la loi suprême de notre république, à savoir le respect de la souveraineté nationale.
La démocratie ne peut trouver son accomplissement que dans une société où les hommes, librement associés, exercent activement leur souveraineté, sans s’en faire dépouiller par d’insidieux dispositifs politiques ou autres copinages de circonstance.
Pour réaliser la démocratie, il ne faut pas seulement que les décisions soient prises en accord avec la majorité, il faut aussi qu’elles soient prises pour la majorité ! C’est tout le sens de nos propositions.