Monsieur le président, mes chers collègues, nous arrivons à la fin d’une navette législative qui a permis à nos deux assemblées, dans d’assez brefs délais, d’approfondir et d’enrichir ce texte très attendu par l’ensemble des professionnels de la filière du livre.
Je tiens tout d’abord à vous rappeler les principaux objectifs de cette proposition de loi, dont nos collègues Catherine Dumas et Jacques Legendre sont les auteurs pour le Sénat.
Il s’agit d’accompagner les mutations en cours du marché du livre – caractérisé par l’émergence du livre numérique –, au moins pour ce que l’on appelle les livres homothétiques, et non pas de freiner ces évolutions, mais de les réguler.
Donner valeur législative au rôle central des éditeurs dans la détermination des prix des livres numériques diffusés auprès des lecteurs français doit nous aider à satisfaire nos trois objectifs, que je rappelle.
Le premier objectif est la promotion de la diversité culturelle, qui recouvre à la fois la diversité de la production, de la diffusion et de la « consommation » de livres.
Le deuxième objectif est le respect de la propriété intellectuelle.
Enfin, le troisième objectif est le maintien du maillage culturel sur notre territoire, auquel contribuent les libraires. Cela suppose que les libraires puissent, eux aussi, s’adapter à l’ère numérique dans des conditions économiquement viables.
À cet égard, il est important d’insister, notamment auprès de la Commission européenne, sur le fait que le marché du livre physique et celui du livre numérique ne sont pas déconnectés, mais qu’ils sont bien complémentaires, ce qui contribue à justifier la nécessité et la proportionnalité du texte adopté par la commission mixte paritaire qui s’est réunie le mardi 3 mai dernier.
En effet, il serait très théorique, et donc illusoire, de penser que le lecteur bénéficie nécessairement de la diversité éditoriale, au motif que les livres seraient stockés sur une plateforme numérique. Une telle démarche me semblerait même très élitiste, car elle présuppose que le lecteur connaît en réalité déjà ce qu’il cherche. Or bien des clients des libraires ne connaissent par avance ni l’auteur, ni le titre du livre qui fera pourtant leur bonheur et leur permettra, grâce aux conseils du libraire ou après avoir feuilleté des ouvrages que ce dernier aura décidé de mettre en exergue, de découvrir la richesse du patrimoine écrit et de la création éditoriale, et non de se contenter des best-sellers.
Par ailleurs, n’oublions pas qu’une partie importante de la population ne peut pas accéder à Internet, soit en raison de la fracture numérique, soit pour des motifs d’ordre culturel, économique ou liés à l’âge.
Les élus que nous sommes doivent donc veiller à ce que ceux qui souhaitent fréquenter des librairies, par nécessité ou par plaisir, en aient la possibilité. Or leur rentabilité étant faible, les librairies doivent pouvoir développer leurs activités sur les deux marchés complémentaires.
Sur les dix articles de la proposition de loi, seuls quatre restaient en discussion. Je me réjouis que députés et sénateurs aient pu trouver un accord consensuel, le texte qui vous est proposé aujourd’hui ayant été adopté à l’unanimité par la commission mixte paritaire.
L’article 2, relatif au principe de fixation du prix de vente par l’éditeur, a été adopté dans la rédaction de l’Assemblée nationale, la disposition régissant le commerce transfrontière concernant les éditeurs ne s’imposant pas en définitive. Nous tenons ainsi compte des avis circonstanciés de la Commission européenne et répondons aux impératifs de nécessité et de proportionnalité des mesures retenues afin d’atteindre nos objectifs.
En revanche, l’article 3, qui impose au libraire de respecter le prix de vente fixé par l’éditeur, a été adopté dans la rédaction du Sénat, c’est-à-dire qu’il s’imposera à l’ensemble des libraires exerçant leur activité sur le territoire national. Je vous rappelle que, sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Leleux, nous avions estimé qu’une disposition de cette nature était indispensable à la pleine efficacité du dispositif.
Nous nous sommes ralliés à la rédaction consensuelle à laquelle étaient parvenus nos collègues députés à l’article 5 bis, en vue de garantir aux auteurs une rémunération juste et équitable en cas d’exploitation numérique de leur œuvre, à une importante réserve près : sur la proposition que nous avons tous soutenue de notre collègue David Assouline, cette disposition sera codifiée. L’article L. 132-5 du code de la propriété intellectuelle a été complété en ce sens.
Enfin, s’agissant du rapport annuel que le Gouvernement devra présenter au Parlement, l’article 7 a été adopté dans la rédaction de l’Assemblée nationale. Son dernier alinéa comporte des précisions très utiles faisant référence au développement de l’offre légale, à la rémunération des auteurs et soulignant son objectif premier de diversité culturelle.
La présente proposition de loi me paraît donc très équilibrée.
Le caractère de « loi de police », dont on peut la qualifier en application du règlement européen dit « Rome I » du 22 décembre 2000, devrait permettre son application à tous. Je vous rappelle qu’aux termes de son article 9.1, une loi de police est « une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement. ».
Cette qualification, qui, certes, ressortit à la compétence du juge au regard des travaux préparatoires du Parlement, nous semble clairement résulter des engagements internationaux de la France, et de l’Union européenne, au titre de la convention de 2005 de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
À ce titre, la proposition de loi apparaît impérative pour la sauvegarde de cette diversité culturelle, qui représente un intérêt public majeur. Il me semblait important de souligner ce point.
Au terme de cette navette législative très constructive, la France fait, comme souvent dans le domaine de la culture, figure de pionnière.
La force de l’unanimité montre notre conviction partagée de la nécessité de poursuivre ensemble notre combat politique, et de convaincre de son bien-fondé la Commission européenne ainsi que les États membres de l’Union européenne. Car, outre les enjeux économiques et liés à l’emploi, il s’agit bien d’un combat culturel et de société que nous menons. La question est e savoir quelle société nous voulons construire pour demain, au bénéfice des citoyens européens.
Certes, la rapidité des évolutions nous conduira sans doute à remettre l’ouvrage sur le métier. Le comité de suivi prévu à l’article 7 de la loi aura un rôle crucial à jouer à cet égard.
Au moins avons-nous la satisfaction de tenter de réguler au mieux la transition entre deux mondes, qui doivent non pas s’exclure mais se compléter et se stimuler mutuellement le plus harmonieusement possible.
Mes chers collègues, je vous invite donc à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire.