Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission de la culture, madame le rapporteur, mes chers collègues, je me félicite, très sincèrement et avec enthousiasme, que le texte élaboré par la commission mixte paritaire ait été adopté à l’unanimité. Le texte issu de travaux du Sénat avait déjà fait l’objet d’un consensus. Mes chers collègues, vous le voyez, quand le Sénat est uni, il est en mesure de peser sur la commission mixte paritaire !
Nous avons finalement réussi à convaincre ceux de nos collègues députés qu’il restait encore à convaincre que les questions abordées dans ce texte étaient fondamentales et qu’il était important de faire une loi qui ne soit pas simplement déclamatoire, mais une loi qui résiste à l’épreuve du réel dès sa promulgation.
La loi que nous allons voter en adoptant les conclusions de la commission mixte paritaire est importante pour le livre numérique. Il était urgent de légiférer pour accompagner et encadrer l’évolution dans ce secteur, car nous savons d’expérience que, lorsque le législateur ne réagit pas à temps face à des mutations dans l’économie de la culture, c’est dos au mur qu’il est ensuite contraint d’intervenir, souvent dans la division et de manière inefficace.
La loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, dite « loi Lang », qui a permis de préserver le livre en France, mais aussi de lui donner une vitalité surprenante selon certains observateurs, est encore saluée aujourd'hui par tous les acteurs du secteur, comme on l’a vu récemment à l’occasion du Salon du livre.
Certes, le livre numérique ne représente en France que 1 % du marché, contre 10 % aux États-Unis, mais les ventes connaissent une expansion considérable en Grande-Bretagne, par exemple. Néanmoins, il était important de légiférer dès à présent, même si nous avons beaucoup de travail sur d’autres sujets. Il n’y a en effet aucune raison, si les acteurs se concertent et si nous continuons dans cet état d’esprit, sans remettre en cause le livre papier, que le secteur du livre numérique ne se développe pas de façon très importante dans notre pays comme cela se passe à l’étranger.
Il nous fallait donc absolument adapter la loi Lang, dont nous allons fêter le trentième anniversaire, afin qu’elle trouve son prolongement dans la modernité contemporaine.
En agissant ainsi, nous évitons de répéter les erreurs commises face à la révolution numérique dans les domaines de la musique et du cinéma avec les lois DADVSI et HADOPI, respectivement la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information et la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet.
En intervenant trop tard, le législateur a en effet été contraint d’opter essentiellement pour la répression – l’opposition était contre – face à une déferlante de pratiques qui auraient pu être endiguées s’il avait réagi plus tôt et si les entreprises du secteur avaient proposé des offres commerciales adaptées. Alors que la gratuité était devenue un réflexe quotidien pour les jeunes, le Parlement a voté des textes dont nous avions dit, notamment lors des débats sur les lois dites HADOPI 1 et 2, qu’ils ne pourraient pas être appliqués.
Aujourd’hui, je suis très content que le Président de la République fasse à peu près le même constat que nous et annonce une « HADOPI 3 ». J’espère qu’en nous penchant de nouveau sur ces questions nous pourrons être réellement efficaces et justes.
Par ailleurs, si je me réjouis de l’évolution du Président de la République, je m’insurge contre la forme, la composition et la finalité du Conseil national du numérique, qui n’est effectivement rien d’autre qu’un club de chefs d’entreprise. J’adhère totalement aux propos de Mme Catherine Morin-Desailly sur ce point.
Et pourtant, la commission de la culture avait multiplié les mises en garde contre la tentation de toujours sacrifier les contenus : il n’y a pas que les tuyaux qui comptent, il y a aussi les contenus ; il faut bien que les tuyaux aient quelque chose à transporter !
J’avais moi-même rédigé un rapport, qui a fait l’unanimité de la commission, traitant des effets de la révolution numérique sur les jeunes et sur leurs pratiques. À cette occasion, j’avais essayé de comprendre le point de vue des consommateurs, que nous avons absolument besoin de connaître si nous voulons que l’économie numérique se développe tout en préservant les libertés individuelles. Une régulation est nécessaire, on le voit tous les jours sur les réseaux sociaux.
Mais quel dépit aujourd’hui ! Je pense qu’il s’agit là d’un recul. J’espère que le Gouvernement s’en rendra très vite compte et prendra des initiatives. Vous avez là une mission importante, monsieur le ministre, car, ne nous y trompons pas, il s’agit aussi de la culture et de la défense de cette culture.
Telles sont les généralités dont je souhaitais vous faire part avant d’aborder le fond du texte.
Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a déjà été dit en première et en deuxième lecture sur ce texte spécifique. Je rappellerai simplement que le Sénat et l’Assemblée nationale s’opposaient sur deux points.
Le premier point portait sur l’extraterritorialité. Nous avons finalement réussi à convaincre nos collègues députés de la majorité – l’opposition partageait notre position – qu’il n’était pas possible d’adopter une loi qui, dès sa promulgation, aurait été battue en brèche par des entreprises étrangères non soumises sur le territoire national aux mêmes lois que les éditeurs français.
Une telle loi, au lieu d’être une arme pour l’édition et pour le livre en France, aurait été un véritable cheval de Troie. Alors que les éditeurs français auraient été soumis à un prix unique, les grandes plateformes étrangères, acteurs essentiels sur le marché international, auraient pu faire ce qu’elles voulaient…
Nous sommes donc parvenus à un compromis : dès lors que l’article 3 de la proposition de loi était adopté dans la rédaction proposée par le Sénat, nous pouvions concéder l’article 2.
Le second point de divergence portait sur la rémunération juste et équitable des auteurs, sujet qui me tient particulièrement à cœur. Je suis content que nous ayons convaincu nos collègues de l’Assemblée nationale sur ce sujet.
C’est une tautologie, mais il n’y a pas de lecteurs, pas d’éditeurs sans créateurs, en l’occurrence sans auteurs. Mais la révolution numérique place les auteurs en général dans une situation difficile, alors qu’il était légitime d’attendre du livre numérique, et des économies de coûts qu’il permet, une amélioration.
Les auteurs ont pu considérer qu’ils allaient gagner davantage et que leurs œuvres allaient être mieux considérées. Or, au contraire, ils se sont sentis en difficulté parce que la révolution numérique pouvait entraîner une remise en cause des droits qu’ils avaient acquis dans les négociations et les conventions avec les éditeurs.
Nous avons, là encore, réussi à convaincre nos collègues députés de souscrire à notre point de vue sur cette question, malgré les déclarations aventureuses d’Hervé Gaymard – « la proposition de loi porte sur la fixation du prix du livre numérique et n’emporte pas réforme de la loi de 1957 sur le droit d’auteur. Elle n’a pas vocation à légiférer sur les relations contractuelles entre les éditeurs et les auteurs ». Hervé Gaymard dit aujourd’hui l’inverse et considère désormais qu’il est bon de légiférer. Je suis plutôt heureux qu’il ait pu être convaincu.
Cependant, nous avons dû préciser ce qui ne figurait pas dans la version de l’Assemblée nationale, à savoir que les dispositions relatives à la rémunération juste et équitable seraient intégrées dans le code de la propriété intellectuelle. J’y ai particulièrement tenu et nos collègues de l’Assemblée nationale y ont consenti sans problème.
Je ne peux, encore une fois, que me réjouir de ce consensus politique, car, et ce sera ma conclusion, la révolution numérique va continuer, et elle va continuer à tout chambouler. Nous légiférons aujourd’hui, mais nous devrons probablement encore accompagner le mouvement.
La situation actuelle est telle que nous ne faisons pas la loi pour de nombreuses années. Nous le savons très bien, il est des évolutions que l’on peut prévoir sans pouvoir encore légiférer, et d’autres que l’on ne peut pas encore prévoir mais qui vont avoir lieu et sur lesquelles il faudra légiférer.
Dans ce chamboulement que j’évoquais, il y aura certes des occasions à saisir, une créativité nouvelle, toujours possible quand les choses changent, mais il y aura aussi bien des dangers à affronter.
Il était donc important que cette loi s’appuie sur un consensus pour avoir assez de force dans cette économie mouvante, mais aussi pour nous permettre de mener à bien les négociations à engager dès demain à Bruxelles afin d’être confortés dans nos intentions, cette fois au niveau européen.
C’est donc avec plaisir que le groupe socialiste s’apprête à voter en faveur de ce compromis, auquel il a œuvré de façon active, de même que Mme Colette Mélot, dont je tiens à saluer le travail.
Je salue aussi, en la personne du président de la commission de la culture, l’auteur de cette proposition de loi, parce qu’il a voulu construire pas à pas – cela ne s’improvise pas ! – ce consensus politique qui, je l’espère, se retrouvera sur d’autres textes.