Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, afin de contrecarrer les conséquences de la révolution numérique sur le secteur du livre papier, la représentation nationale se devait d’agir au plus vite pour fixer un cadre légal à ce nouveau mode de diffusion de la culture et, ainsi, adapter notre législation aux nouveaux outils numériques.
L’objectif de la loi est de ne pas pénaliser les principaux acteurs, à savoir les auteurs, les éditeurs ou encore les libraires, tout en bénéficiant à l’ensemble des lecteurs : usagers des bibliothèques publiques ou universitaires, institutions culturelles et enseignement.
Car le livre numérique n’est pas seulement un outil, il est bel et bien une création littéraire à part entière.
Je tiens à féliciter chaleureusement le président de la commission de la culture, M. Jacques Legendre, ainsi que notre collègue Catherine Dumas d’avoir pris l’initiative de cette proposition de loi. Je tiens aussi à remercier notre rapporteur, Mme Colette Mélot, pour le travail qu’elle a accompli sur cette proposition de loi.
Vous nous avez donné, chers collègues, l’occasion de légiférer en amont, alors que le numérique ne concerne encore qu’un très faible pourcentage du marché du livre. On ne pourra pas nous accuser de ne pas avoir anticipé les effets de ce bouleversement technologique majeur !
Face à la montée en puissance du livre numérique, il fallait réagir vite si nous voulions préserver un équilibre déjà fragile en ce domaine.
Le texte que nous allons adopter est le fruit attendu de longues réflexions et concertations.
L’arrivée du numérique bouscule l’économie du livre. Le marché doit s’adapter à de nouvelles contraintes. La numérisation massive pose non seulement la question de la protection des droits d’auteur, mais aussi celle de la protection de l’ensemble des acteurs traditionnels de la filière du livre, comme, par exemple, l’imprimerie mais aussi le papier.
C’est toute la chaîne de production qui est déstabilisée, voire en grand danger.
Notre combat est avant tout celui de l’exception culturelle, de la culture, partie intégrante de l’identité française, ici et dans le monde entier. La protection de cette identité est entre nos mains. Il nous appartient de la défendre, notamment à Bruxelles. J’y vois un impératif d’intérêt général.
J’espère à cet effet que les engagements pris tout au long de nos débats seront tenus et que nous réussirons à plaider auprès de l’Europe l’alignement du taux de la TVA du livre numérique sur celui du livre papier.
Nous savons combien la loi Lang, votée il y a trente ans, en fixant le prix unique du livre a favorisé et préservé la diversité culturelle et la créativité éditoriale. Cette loi a joué en son temps un rôle fondamental pour la protection de l’ensemble de la chaîne du livre, notamment en faveur des librairies indépendantes.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui dans sa version finale s’inspire largement du modèle de cette fameuse loi Lang.
Le texte repose sur une définition du livre numérique circonscrite au livre imprimé ou imprimable. Sont ainsi exclus les produits multimédias hybrides, qui à ce jour sont encore moins développés.
L’éditeur conservera la maîtrise du prix de vente des livres numériques, tout comme il la détient sur le livre papier. Ce prix imposé aux revendeurs empêchera toute politique de dumping qui exclurait du marché les acteurs les plus faibles. Il permettra par ailleurs aux auteurs de mieux contrôler la perception de leurs droits et ainsi de maintenir la richesse et la diversité des publications.
Le champ d’application de cette loi reste cependant limité à la version homothétique du livre numérique.
Cependant, l’offre numérique étant appelée à se diversifier rapidement, comme c’est déjà le cas à l’étranger, une définition trop restreinte excluant pour l’instant les produits multimédias, par exemple, devra nécessairement faire l’objet d’ajustements dans un futur proche.
Les évolutions technologiques sont telles qu’il faudra suivre, semaine après semaine, l’applicabilité de la loi. Nous devrons rester réactifs et très vite apporter les précisions qui s’imposeront.
À cet effet, l’article 7, fixant une clause de rendez-vous législatif annuel, nous permettra d’observer l’évolution des pratiques du marché et d’étudier leur impact sur l’ensemble de la filière.
Le comité de suivi, composé de parlementaires, aura un rôle majeur à jouer.
Cette loi spécifique propre au livre numérique a été l’occasion de prendre en compte de nombreuses problématiques dont deux, particulièrement importantes, ont fait l’objet de discussions nourries entre les deux assemblées. Je pense, évidemment, à l’extraterritorialité et à la reconnaissance d’une rémunération équitable pour les auteurs.
Ces deux points sont fondamentaux et ont été particulièrement discutés. Le désaccord entre les deux assemblées a permis, au fur et à mesure de la navette parlementaire, d’améliorer la rédaction du texte et la commission mixte paritaire a finalement réussi à trouver un point d’accord qui me semble satisfaisant.
Tout d’abord, concernant l’extraterritorialité, je tiens à rappeler que, face à l’effacement virtuel des frontières, une loi qui ne toucherait que la France mettrait en danger nos chaînes de distribution et nos maisons d’édition.
Il serait donc impensable que nous imposions des contraintes particulières aux entreprises françaises sans y soumettre les géants étrangers du secteur.
L’objectif de promotion de la diversité culturelle et linguistique est prévu par le droit communautaire. C’est pourquoi il nous semblait essentiel d’étendre l’application de cette proposition de loi aux éditeurs et distributeurs établis hors de France.
Nous ne pouvons donc que regretter la suppression de la clause d’extraterritorialité à l’article 2, pourtant réintroduite par le Sénat en deuxième lecture.
Néanmoins, grâce à la ténacité du Sénat, les dispositions de l’article 3 de la proposition de loi restent étendues à toutes les personnes, y compris celles qui sont établies hors de France, exerçant une activité de commercialisation de livres numériques à destination d’acheteurs situés sur le territoire national. C’est une victoire qu’il faut saluer.
Par ailleurs, concernant la rémunération des auteurs, nous resterons particulièrement attentifs.
Nous nous réjouissons que la notion de rémunération « juste et équitable » ait été inscrite dans le code de la propriété intellectuelle au travers de l’article 5 bis.
Dans le cadre du suivi de l’application de la future loi, le rapport annuel présenté par le Gouvernement à la représentation nationale permettra de vérifier que l’application du prix unique favorise bien cette bonne rémunération.
Pourtant, il faudra rapidement réfléchir à l’avenir du système français des droits d’auteur à l’ère numérique. Les auteurs doivent évidemment pouvoir bénéficier des retombées économiques de la croissance du secteur du livre numérique.
Je veux profiter de ce débat pour rappeler tout l’intérêt qui s’attache à élaborer la loi au gré d’une navette « classique », et non pas au titre d’une procédure accélérée.
Le texte issu des travaux de la CMP montre l’utilité de ne pas s’enfermer dans des procédures trop rapides et de laisser la place au dialogue parlementaire.
Nous avons finalement réussi à concilier la position de la Haute Assemblée avec celle de l’Assemblée nationale et à réaffirmer le poids de nos convictions.
Par ailleurs, force est de constater qu’il est possible d’adopter une loi complète et complexe en à peine quelques mois, dans le cadre d’une navette classique, quand la volonté politique est là !
De surcroît, la France devient ainsi le premier pays au monde à légiférer sur le prix unique du livre numérique. J’espère que notre exemple sera suivi, non seulement au niveau européen mais aussi dans le monde entier. Car, je le répète, ce sujet n’a pas de frontières.
Dans cette attente, avec l’ensemble des membres du groupe du RDSE, je voterai pour l’adoption de cette proposition de loi.