Intervention de Monique Cerisier-ben Guiga

Réunion du 16 juin 2006 à 15h00
Immigration et intégration — Article 59

Photo de Monique Cerisier-ben GuigaMonique Cerisier-ben Guiga :

Il est étonnant, et même choquant, de devoir aujourd'hui débattre des modalités qui régissent l'acquisition de notre nationalité dans le cadre d'un texte qui est fondamentalement une loi de police. En effet, nous sommes nombreux à penser que le droit de la nationalité relève d'un ordre beaucoup plus élevé que la simple police.

Toutefois, il faut reconnaître que l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger d'un Français fluctue au gré de l'état moral de notre pays, de ses besoins démographiques et des conceptions relatives à la place des femmes et des hommes dans la société.

Je ferai un bref rappel historique, qui permettra de mettre en perspective notre débat d'aujourd'hui.

Aux termes de la loi des 30 avril et 2 mai 1790, la France optimiste des débuts de la Révolution fait de l'étranger de sexe masculin marié à une Française un « citoyen actif », doté à ce titre du droit de vote, après cinq ans de séjour continu en France. Cette disposition est reprise par les constitutions révolutionnaires successives.

Avec le code civil, le ton change. C'est désormais l'étrangère qui devient française automatiquement quand elle épouse un Français, qu'elle le veuille ou non, car le mariage dans le cadre du code civil l'assujettit totalement à son mari, pour la nationalité comme pour les autres aspects de sa vie. Ce principe de l'unicité de la nationalité dans le mariage prévaut de 1803 à 1927.

En 1927, une nouvelle loi est adoptée. Si le mariage ne modifie en rien la nationalité de l'époux étranger, en revanche l'épouse d'un Français doit demander la nationalité lors de la célébration de cette union.

L'interprétation de ce texte n'est pas facile, il faut le souligner. La faculté offerte à la femme de demander la nationalité française est-elle une première reconnaissance de l'autonomie civile des femmes, ou s'agit-il d'un aspect de cette méfiance envers les étrangers qui monte à la veille de la sombre décennie 1930-1940 ? La question reste posée.

En 1945, changement de cap ! Le temps est à l'assimilation : rien ne change pour l'époux étranger, mais l'épouse étrangère devient automatiquement française à la date de son mariage, même si on lui permet tout de même de refuser cette nationalité.

En 1973, la montée de l'exigence de l'égalité entre hommes et femmes permet de mettre en place les fondements du droit aujourd'hui en vigueur en matière d'acquisition de la nationalité française par les époux.

Après un an de mariage, l'époux ou l'épouse étranger bénéficie d'une procédure de naturalisation simplifiée, la déclaration, dont les modalités ont varié, puisqu'elles ont été modifiées en 1984, en 1993, en 1998 et en 2003. Et voilà que nous les modifions de nouveau en 2006 ! On ne peut pas dire que la loi soit particulièrement stable en ce domaine.

Quelle est la motivation affichée du législateur de 2006 ? Il s'agit bien entendu de lutter contre le détournement du mariage aux fins d'acquisition frauduleuse de la nationalité française, plus particulièrement par les couples qui résident à l'étranger.

Mes chers collègues, ce n'est pas moi qui affirmerai que ce phénomène n'existe pas. Les mariages détournés de leurs fins matrimoniales sont une réalité, nous le savons. Nous ne sommes pas aveugles et ne voulons pas jouer les autruches. Les mariages forcés existent également aussi dans certains pays.

Toutefois, rapporté au total des unions binationales célébrées en France et à l'étranger, le nombre des mariages blancs est faible.

Je viens de demander les chiffres du consulat de Tunis, qui est soumis à une forte pression migratoire, comme on dit. Je vous les livre : sur 3 000 mariages transcrits en 2005, seuls 205 ont été jugés suspects par le consulat, et moins de cent ont fait l'objet d'une réquisition en annulation par le parquet de Nantes.

Au total, au service central d'état civil de Nantes, dont j'ai également réclamé les chiffres, sur 1 500 signalements réalisés par les consulats, moins de la moitié ont donné lieu à des réquisitions.

En outre, le parquet estime que, parmi ces réquisitions, soit moins de 750 affaires, la moitié seulement donneront lieu à un refus de transcription des actes de mariage. En effet, ces dossiers contiennent beaucoup trop d'éléments subjectifs pour que les magistrats statuent contre la transcription.

Par conséquent, l'allongement à quatre ans de la période probatoire de vie commune et à cinq ans si le conjoint réside à l'étranger - nous aurons l'occasion de revenir sur ce point précis - est une mesure qui n'aura réellement aucune incidence sur les quelques acquisitions frauduleuses de nationalité française que nous pouvons déplorer. En effet, si feindre la vie commune pendant deux ans est déjà difficile, comment y parvenir pendant quatre ou cinq ans ? Il faudrait être particulièrement retors, menteur, tricheur et capable de fabriquer en permanence des faux papiers ! Je suis peut-être naïve, mais cela me paraît assez inimaginable.

En fin de compte, l'adoption d'une telle mesure reviendra à priver pour longtemps les 90 000 familles binationales qui se forment chaque année de l'unicité de nationalité, laquelle est de plus en plus nécessaire à leur sécurité juridique. Je reviendrai d'ailleurs également sur ce point.

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