Intervention de Monique Cerisier-ben Guiga

Réunion du 16 juin 2006 à 15h00
Immigration et intégration — Article 59

Photo de Monique Cerisier-ben GuigaMonique Cerisier-ben Guiga :

Nous proposons la suppression de l'article 59, car il va à contre-courant de l'ouverture internationale de la France.

Cumulée à tous les autres obstacles dressés dans ce texte et dans le projet de loi relatif au contrôle de la validité des mariages, adopté en première lecture à l'Assemblée nationale, la disposition prévue dans cet article 59 va en effet porter atteinte aux 90 000 familles binationales qui se constituent chaque année.

Je le rappelle, la loi du 29 novembre 2003 avait déjà introduit une première discrimination, en portant la durée probatoire de vie commune avant la déclaration de nationalité du conjoint étranger à deux ans pour les couples résidant en France et à trois ans pour les couples résidant à l'étranger. Avec ce texte, la durée de vie commune passerait à quatre ans pour les premiers et à cinq ans pour les seconds.

Depuis 2003, il n'est plus tenu compte de la présence d'enfants communs pour vérifier que le mariage a bien été contracté à des fins matrimoniales, alors qu'elle constitue en principe une preuve importante.

Si nous ajoutons à ces nouvelles durées de quatre et cinq ans l'allongement à deux ans du délai d'opposition ouvert au Gouvernement, qui est prévu par l'article 60, nous aboutissons, au minimum, à six ou sept années de privation d'unicité de nationalité pour une famille. J'insiste sur cette notion, car, en général, elle n'est pas comprise par les couples qui en bénéficient d'une façon naturelle. L'unicité de nationalité, c'est-à-dire le fait que parents et enfants ont tous une nationalité commune, est un élément essentiel de stabilisation et de consolidation pour une famille binationale.

En définitive, monsieur le ministre, les acquisitions de nationalité française par les conjoints étrangers vous font peur. Or, en 2005, sur 90 000 mariages binationaux célébrés, il y a eu 33 000 acquisitions par déclaration, soit à peine un tiers des conjoints étrangers qui auraient pu y prétendre. Il n'y a donc pas un déferlement de demandes de nationalité française ! Cela étant, la moitié des conjoints étrangers sont maghrébins : est-ce cela qui gène ? Les acquisitions de nationalité par le mariage ont concerné 2 900 Américains et 3 500 Asiatiques l'année dernière. Celles-ci sont-elles un danger pour la France ?

Par ailleurs, près de 80 % des « acquérants » ont moins de quarante ans, avec à peu près autant d'hommes que de femmes : est-il suspect de demander la nationalité à quarante ans, lorsque l'âge moyen des mariés est d'environ trente ans ? Je n'en ai pas l'impression ! Est-ce la répartition à peu près égale entre hommes et femmes qui pose problème ? N'est-ce pas, au contraire, une chance pour la France, dont les enquêtes nationales et internationales montrent le vieillissement, de voir ainsi sa population se rajeunir et se renouveler par l'arrivée de jeunes adultes ?

Par cette discrimination envers les familles qui résident à l'étranger, nous assistons à un véritable déni de la dignité de ces Français de plus en plus mobiles, qui participent grandement à accroître le rayonnement culturel de la France et à développer ses échanges économiques.

Une telle disposition est d'autant plus offensante envers les Français de l'étranger et leurs conjoints que l'acquisition de la nationalité par le mariage concerne un nombre infime de personnes : il y a eu, l'année dernière, 4 % seulement de déclarants, soit moins de 1 300 personnes. Objectivement, où est le danger ? S'il y a un fantasme, il n'y a en tout cas aucun danger !

Telles sont les raisons pour lesquelles nous rejetons ce report excessif du droit à souscrire une déclaration de nationalité française après le mariage. Nous rejetons cette discrimination renforcée contre les Français établis à l'étranger et l'atteinte plus générale portée à la sécurité juridique - j'insiste sur ces termes - des familles binationales dans leurs relations avec l'État français.

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