Intervention de Monique Cerisier-ben Guiga

Réunion du 16 juin 2006 à 15h00
Immigration et intégration — Article 59

Photo de Monique Cerisier-ben GuigaMonique Cerisier-ben Guiga :

Dans le meilleur des mondes possibles, un monde sans discrimination, sans xénophobie, un monde où des familles n'auraient pas à craindre d'être séparées par des frontières, dans des pays où les étrangers établis durablement bénéficieraient d'un droit au séjour et à l'emploi, d'un droit de circuler semblable à celui des nationaux, l'unicité de nationalité d'une famille binationale ou plurinationale ne serait pas nécessaire.

On peut très bien vivre en couple et en famille en ayant des nationalités différentes. Après tout, le mariage est si instable de nos jours qu'il n'est pas un fondement plus solide à l'acquisition de la nationalité française que d'autres éléments de l'état des personnes.

Mais nous ne vivons pas du tout dans le meilleur des mondes possibles et plus le monde se ferme et se durcit, plus les familles plurinationales ou binationales cherchent à se protéger.

Les époux de Français n'ont réellement utilisé la possibilité de souscrire une déclaration de nationalité pour ceux qui vivaient à l'étranger qu'après la généralisation des visas de court séjour en France, en 1986, et à cause des contraintes accrues qui en découlaient pour les familles binationales.

Je peux vous dire qu'à Tunis des pères ne pouvaient pas aller s'occuper d'un enfant étudiant en difficulté, laissant cette charge à la mère française, parce qu'ils n'avaient évidemment pas le visa le jour J ; d'autres ne pouvaient pas assister à l'enterrement de leur belle-mère, faute d'avoir le visa le jour J ; d'autres encore ne pouvaient pas assister à la soutenance de thèse d'un enfant français parce que l'on ne délivrait qu'un visa de trois jours...

Dans ces conditions, on finit par se dire que l'on n'a plus qu'une chose à faire : demander la nationalité française !

Ce sont les tracasseries et la xénophobie administratives qui sont à l'origine de l'augmentation des demandes de nationalité française. Sans cela, elle ne serait pas sollicitée : je puis témoigner que bien des familles de mon entourage, à commencer par la mienne, ne l'ont pas demandée, n'ayant jamais été intéressées. Aujourd'hui, les choses ont changé !

Je tiens à vous raconter une histoire qui me hante encore. En 1995, à Cotonou, une femme m'a exposé le déni d'humanité dont elle venait d'être l'objet.

De son mari, un Français, elle avait trois enfants âgés de quinze à huit ans. Le couple vivait à Cotonou. Son époux, atteint d'un cancer, avait dû se rendre plusieurs fois en France pour se faire soigner. Elle avait obtenu de temps en temps un visa pour l'accompagner. Mais, quand il est mort, le consulat a jugé qu'elle avait déjà obtenu assez de visas et ne lui en a pas accordé pour qu'elle se rende à l'enterrement. Elle a envoyé les enfants seuls aux obsèques de leur père.

Après avoir entendu plusieurs récits de ce genre, on change d'avis sur l'acquisition de la nationalité par le mariage.

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