Intervention de Monique Cerisier-ben Guiga

Réunion du 16 juin 2006 à 15h00
Immigration et intégration — Article 61

Photo de Monique Cerisier-ben GuigaMonique Cerisier-ben Guiga :

L'article 61 doit, lui aussi, être supprimé, car il restreint les catégories d'étrangers dispensés de condition de stage préalable à la demande de naturalisation.

D'une part, cet article porte atteinte, comme l'article 59, à l'unicité de nationalité dans la famille. D'autre part, il abroge des dispositions qui témoignent de la relation privilégiée de la France avec les pays issus de son ancien empire colonial.

Il ne pourra vraiment pas être dit que ce projet de loi manque de cohérence ! Il est parfaitement cohérent dans sa méfiance envers les familles binationales et dans le rejet des ressortissants de l'ancien empire colonial, puisque c'est parmi eux que se recrute la majorité de ceux qui font partie de cette immigration que vous avez qualifiée de « subie ».

Méfiance envers les familles binationales...Je commence à avoir l'impression de radoter !

Ces nouvelles dispositions prévoient d'abord que l'enfant mineur qui n'a pas bénéficié d'un effet collectif au moment de la naturalisation de son parent français sera soumis à un stage de cinq. Or, en général, ce cas se produit quand il y a eu une erreur de procédure et que les enfants du requérant n'ont pas tous été cités dans le décret de naturalisation du parent.

Le cas frauduleux que semblent viser ces mesures est celui d'un enfant reconnu postérieurement à l'acquisition de la nationalité par son parent. C'est vrai, il s'agit d'un cas dont on connaît beaucoup d'exemples dans les pays d'Afrique subsaharienne, aux Comores, etc.

Cependant, l'article 61 est redondant par rapport à l'article 63 ter du projet de loi, lequel prévoit une sanction de cinq ans d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende dans le cas de la reconnaissance d'un enfant en vue de lui faire acquérir la nationalité française.

On instaure donc une double précaution à l'égard des enfants qui pourraient obtenir la nationalité française par ce biais. Il nous semble qu'une mesure de précaution suffit !

Par ailleurs, nous constatons que les enfants concernés resteront étrangers pendant cinq ans de plus, auxquels s'ajouteront les trois ou quatre ans nécessaires à la naturalisation définitive.

La même disposition vaut pour le conjoint qui n'a pas acquis la nationalité française par effet collectif d'une naturalisation et pour celui qui ne peut bénéficier d'une déclaration parce qu'il n'y a pas eu continuité de vie commune ou parce que le conjoint français n'a pas été français de façon continue depuis la date du mariage.

Ces cas, j'en connais un certain nombre : ils sont souvent dus à des erreurs commises dans les consulats. Ainsi, une personne déclarée à tort comme n'étant pas française, qui a été contrainte de faire une déclaration de possession d'état, se verra ensuite opposer le fait qu'elle n'a pas eu la nationalité française de façon continue. Malheureusement, il n'y a alors pratiquement pas de remèdes, si ce n'est une longue procédure devant un tribunal administratif.

Je vois bien que l'objectif de la loi est d'aller très au-delà de la prévention des cas répertoriés d'abus, dont, je le répète, je ne nie pas l'existence : le but est de dresser le plus d'obstacles possible à l'acquisition de la nationalité française au titre des liens familiaux.

Ce gouvernement a une étrange conception de la défense de la famille ! Il s'en fait le chantre dans certains domaines, mais il semble qu'il s'agisse là d'un type de famille qui ne lui convient pas.

Il conduit un combat d'arrière-garde, car les familles dans ces situations ne vont cesser de se multiplier avec la mondialisation et le mouvement généralisé des populations.

Nous sommes aussi hostiles à cette disposition en raison de l'abrogation d'une des seules manifestations de la relation privilégiée entre le peuple de notre pays et le peuple de nos anciennes colonies.

La solidarité née des liens du passé, le tribut du sang payé par les soldats indigènes, la francophonie, tout cela est rayé d'un trait de plume. Un petit-fils de travailleur sénégalais ou un petit-fils d'instituteur d'un département d'Algérie n'aura pas plus de droits à la nationalité française que tout autre étranger.

Quand on voyage beaucoup dans ces pays, quand on y a vécu, on connaît l'intensité de la relation affective avec la France, relation qui transcende les souvenirs parfois amers laissés par la période coloniale. Quand on a écouté une classe burkinabée ou malgache réciter en coeur Le Corbeau et le Renard ou entendu une personne âgée raconter ses souvenirs de l'école française, ou même de l'armée, on ne peut pas admettre que les ressortissants des pays avec lesquels nous avons eu une si longue histoire commune soient rejetés dans une extranéité absolue.

Moi, quand je suis avec eux, j'ai l'impression d'être avec des cousins issus de germains, des cousins que l'on ne fréquente pas souvent, mais avec lesquels on a quand même quelque chose en commun et que l'on est heureux de retrouver.

Au nom du droit au respect de la vie privée et familiale, au nom du maintien de nos liens avec les pays dont nous avons, de notre propre fait, partagé l'histoire, je demande donc la suppression de l'article 61.

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