Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme de la discussion de ce projet de loi. Je tiens à nouveau à saluer les efforts constructifs de notre excellent rapporteur pour tenter d'apporter quelque tempérament à un texte que je considère toujours comme désastreux.
Désastreux d'abord par la voie - c'est à mon sens l'essentiel - sur laquelle il engage notre justice.
Désastreux ensuite, parce qu'il apporte de mauvaises réponses à un problème réel, celui des criminels atteints de graves troubles de la personnalité de nature à provoquer la récidive.
Vous avez dit, madame la garde des sceaux, que ce projet de loi comblait une faille dans notre dispositif législatif. Pour ma part, il ouvre une brèche dans notre justice pénale qui ne peut que s'élargir dans la législation de fait divers qui prévaut aujourd'hui.
Il ouvre une brèche, parce que, jusqu'à présent, nous avons toujours connu une justice pénale qui sanctionnait la commission des infractions criminelles, parfois excessivement. À cet égard, je pense bien sûr à la peine de mort, aujourd'hui heureusement abolie non seulement en France, mais également dans toute l'Europe et la majorité des États des autres continents, ainsi qu'à la relégation des condamnés instaurée en 1885, qui a été exécutée en Guyane jusqu'en 1939 et qui a été supprimée en 1970, tout comme à son succédané très faible, mais lourd de dommages humains, la tutelle pénale, qui a été supprimée en 1981 par Alain Peyrefitte.
Sous réserve de la décision du Conseil constitutionnel que je me garderai bien d'anticiper, ne serait-ce que par déférence, vous allez introduire dans notre droit pénal la rétention de sûreté. Quoi qu'il en soit, après avoir présenté notre motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, je ne pense pas que ce soit le moment de revenir sur ces questions à ce stade de la discussion.
Les mots « rétention de sûreté », je l'ai dit, ne signifient rien d'autre qu'un enfermement décidé pour un an et reconductible indéfiniment. La rétention de sûreté peut donc être perpétuelle. Elle s'exécutera dans des établissements fermés, gardés par les personnels pénitentiaires - qui appartiennent à une administration à laquelle je tiens toujours à rendre hommage, car je sais ô combien sa mission difficile ! -, d'où le retenu ne pourra sortir que sous escorte policière.
Quelles que soient les modalités de cet établissement fermé et sa finalité proclamée de traitement psychologique, éducatif et social, il ne s'agira en fait pour le détenu, ou plutôt pour le retenu, que de la continuation de sa détention dans une autre prison, quelle qu'en soit la dénomination ou le régime proclamé.
Je rappelle qu'il ne s'agit pas là de malades mentaux souffrant de troubles de dangerosité psychiatriques. Il s'agit de condamnés qui n'ont pas été déclarés irresponsables par la justice et dont les expertises ultérieures viendraient déceler un état de dangerosité criminologique, dont, reconnaissons-le, les contours et le diagnostic demeurent incertains.
Dès lors, on demandera à des magistrats, gardiens constitutionnels de la liberté individuelle, de retenir en détention des personnes après qu'elles auront purgé leur peine, non plus pour les infractions qu'elles ont commises ou qu'elles sont suspectées avoir commises, mais au regard de crimes virtuels qu'elles seraient réputées susceptibles de commettre !
À la justice pénale fondée sur la preuve de la culpabilité, établie selon les règles du droit et en respectant la présomption d'innocence, fondement de toute justice pénale, au moins dans une démocratie, va succéder une justice de dangerosité, fondée sur des présomptions criminologiques établies par des experts, notamment des psychiatres, et pouvant prononcer, par décisions successives, une véritable détention à durée illimitée, en dehors de toute infraction constatée.
À la justice de liberté fondée sur la responsabilité prouvée de l'auteur d'une infraction va succéder une justice de sûreté - c'est un ordre nouveau de juridiction qui se sera amené à se prononcer -, fondée sur la dangerosité diagnostiquée de l'auteur potentiel d'un crime virtuel.
C'est là une véritable révolution pour notre justice pénale !
Cette brèche dans les principes de notre justice ne peut que s'élargir sous la force des émotions suscitées par les crimes les plus graves dans l'opinion publique.
Vous avez à l'origine présenté un projet né de la réaction bien naturelle à l'affaire Évrard. Je rappelle que, à notre connaissance, il s'agissait d'un cas unique depuis trente ans. J'avais dit que la préférence aurait dû être donnée à une commission d'enquête afin de savoir exactement ce qui s'était passé et d'en tirer les conclusions.
Il ne s'agissait, dans ce projet d'origine, cela a souvent été rappelé, que de mettre hors la cité des pédophiles prédateurs qui s'en prennent aux enfants de moins de quinze ans. Mais puisqu'il s'agit de la dangerosité de l'auteur de crimes les plus graves - tel est maintenant l'axe de cette justice que vous nous proposez - et qu'il ne peut s'agir, évidemment, de déterminer cette dangerosité au regard de la fragilité des victimes, toutes dignes d'intérêt et de compassion, nous avons vu s'élargir votre projet au cours du trajet législatif, sur l'initiative de l'Assemblée nationale, presque par la force des choses, à tous les auteurs des crimes les plus graves commis contre la personne physique.
J'affirme que l'on ne s'en tiendra pas là. L'extension de cette justice nouvelle, fondée sur la dangerosité, est inévitable. La dangerosité s'apprécie au regard non pas de la victime, mais de la personnalité de l'auteur. L'émotion du public est toujours liée à la nature du second crime, pas du premier.