Intervention de Robert Badinter

Réunion du 7 février 2008 à 9h30
Rétention de sûreté — Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Chaque fois que survient un crime provoquant l'indignation du public - ces crimes sont malheureusement inévitables - le pire, c'est d'entretenir le public dans l'illusion de la récidive zéro.

Il y aura toujours des récidives, il y aura toujours des crimes atroces, sauf si l'homme change de nature, ce qui est impossible. Caïn fait partie de l'espèce humaine ! Chaque fois, vous serez amenés, pour prévenir le second crime par la détention de sûreté de l'auteur du premier crime, à étendre le champ de la mesure.

Prenons le cas le plus simple. Une personne est condamnée à une peine de cinq années de réclusion criminelle pour un premier crime. À sa sortie de prison, elle commet un crime terrible. L'opinion publique indignée se demandera pourquoi la rétention de sûreté n'a pas été appliquée. On lui répondra que la mesure ne s'applique qu'aux condamnés à quinze ans d'emprisonnement. Des amendements seront déposés, afin que la rétention de sûreté vise les condamnés à cinq ans d'emprisonnement.

De la même manière, prenons le cas d'un délinquant récidiviste, voire multirécidiviste, condamné à une peine d'emprisonnement de quatre ou de cinq ans pour violence sur les personnes, qui commettra à sa sortie de prison un acte plus grave, de nature criminelle. L'opinion publique se demandera pourquoi ce délinquant n'a pas subi une période de rétention de sûreté. On vous demandera, une fois de plus, d'étendre le dispositif de rétention de sûreté.

Ainsi, de fait divers en fait divers, d'émotion en émotion, d'amendement en amendement, vous ne pourrez vous opposer à cette demande, et nous aurons ainsi créé une nouvelle justice qui aura changé de fondement !

Après des siècles, nous voyons aujourd'hui l'avènement de la justice de mesures préventives contre l'homme dangereux.

Derrière toutes les précautions que vous prenez, au-delà de toutes les discussions juridiques, c'est le triomphe d'une école de pensée visant à l'élimination sociale des individus considérés comme dangereux.

C'est contraire au fondement de nos sociétés de liberté, car la responsabilité et la liberté ne peuvent être dissociées dans le domaine pénal.

Il faut penser à la condition de ceux qui sont retenus et dont on pense qu'ils vont récidiver. Vous connaissez comme moi les chiffres, madame la ministre. Le taux de récidive en matière de crimes sexuels est le plus bas de notre justice pénale, 1, 6 % contre 2, 2 % pour les homicides selon les dernières données.

Vous voulez, madame la garde des sceaux, prévenir la réitération. Mais au nom de quoi maintenez-vous tous ceux qui n'auraient pas réitéré en détention pour une durée illimitée ? Des magistrats se prononceront-ils au nom d'un diagnostic? Dans un tel système, que restera-t-il de la présomption d'innocence ?

Mais alors, me direz-vous, que proposez-vous ?

Il est évident que les quelques pas en avant, que nous avons salués et soutenus, proposés par M. le rapporteur vont dans le bon sens.

Cependant, la vérité est que tout le système doit être repensé.

Les dispositions du nouveau code pénal, auxquelles le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, a largement contribué en qualité de co-auteur, ne sont pas satisfaisantes.

Comme vous, monsieur le rapporteur, je pense que nous avons beaucoup d'enseignements à tirer des exemples hollandais et belges, ...

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