Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 7 février 2008 à 9h30
Rétention de sûreté — Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, M. Badinter ayant tout dit, je vais peut-être reprendre, avec moins de talent, certains de ses propos.

De toute façon, il est toujours utile de dire ce que nous pensons, car, hélas, nous n'en avons pas fini avec les débats sur la dérive de notre système pénal.

La commission mixte paritaire a entériné le projet de loi. Notre rapporteur avait fait beaucoup d'efforts, ayant écouté, et entendu, de nombreuses personnes. Néanmoins, comme nous l'avons constaté en travaillant sur ce texte, la majorité des sénateurs de la majorité n'entend pas ou ne veut pas entendre, ou est sur une autre planète.

Ainsi, le texte - à quelques modifications près, essentiellement formelles - reste ce qu'il était ; pour la première fois, le Parlement s'apprête à voter une loi qui prévoit qu'une personne qui a été condamnée, qui a purgé sa peine, sera placée de nouveau en détention et pour une durée indéfiniment renouvelable.

Ce projet de loi est intervenu à la suite d'un fait divers, comme d'ailleurs les précédents, notamment ceux qui, justement destinés à lutter contre la récidive, ont été votés en 2005 et tout récemment en juillet 2007 sur les peines plancher.

Cette logique est sans fin. De fait divers en fait divers, évidemment, nous pouvons aller très loin. Est-ce une façon d'exorciser les démons de notre société ? Peut-être...Je ne sais pas.

Qui plus est, il est toujours des plus zélés que nous, ou que d'autres. Le champ du projet de loi a été considérablement élargi par rapport au texte initial, ce qui n'a fait l'objet d'aucune contestation de notre commission des lois. Donc les plus zélés sont écoutés.

La prochaine étape sera-t-elle de mettre en rétention de sûreté des personnes condamnées pour participation à des faits de terrorisme ou des criminels en bande organisée ? Ou bien encore consistera-t-elle, à la suite d'un fait divers n'entrant pas dans le champ d'application de la loi, comme l'a dit M. Badinter, à abaisser le seuil de la peine parce que la société, évidemment, craindra toujours que, quelle que soit la durée de la peine initiale, les personnes récidivent ? Si l'on considère que cette crainte n'est pas supportable, il faudra effectivement mettre en relégation de plus en plus de gens.

La France est, parmi les pays européens, celui qui a déjà les peines les plus longues en matière d'infractions sexuelles. Il faudrait donc s'interroger sur le rapport entre notre façon de traiter les crimes et les infractions de ce type et la récidive. Malgré cela, notre échelle des peines est constamment durcie.

Les lois s'empilent sans former de cadre cohérent. Pourtant, des outils législatifs destinés à lutter contre la récidive existent, nous l'avons dit, mais il faut y insister. Compte tenu de leur adoption récente pour certains, nous comprenons qu'il soit difficile de faire un bilan, une évaluation, mais le problème est que le Gouvernement - sans s'embarrasser de bilan ou d'évaluation - nous demande de légiférer de nouveau.

Comment, au regard des mesures qui ont été prises depuis quelques années, et même précédemment, ne pas opposer le fait que, par exemple, le suivi socio-judiciaire n'a pas les moyens d'être appliqué, que les aménagements de peines sont de plus en plus limités ? Or, dans la faible proportion où ces dispositifs sont utilisés, ils ont prouvé leur efficacité en matière de prévention de la récidive. Il y a donc une absurdité dans cette logique, qui est évidemment très regrettable, du point de vue, en tout cas, du législateur.

Avec la rétention de sûreté, il est question non plus de responsabilité pénale et de punition pour une infraction commise mais de dangerosité et de relégation, c'est très clair. Comme l'a dit, à titre personnel, le président du Comité consultatif national d'éthique, c'est un substitut à la peine de mort, que, dans notre pays, nous ne pouvons plus rétablir, malgré les demandes répétées d'un certain nombre de parlementaires depuis qu'elle a été abolie. Finalement, une minorité de parlementaires va devenir majorité pour substituer à la peine de mort la relégation à vie.

Ce texte est donc véritablement inquiétant parce qu'il rompt le lien fondamental entre le fait punissable et la peine qui sanctionne son auteur et prévoit l'exclusion définitive de la société d'une personne sur la seule base d'expertises.

La justice est confiée non plus aux tribunaux mais à des experts, desquels dépendra l'enfermement en centre de rétention de sûreté d'une personne considérée comme dangereuse.

On demande à des psychiatres de prédire si une personne commettra de nouveau un crime. L'énoncé de cette hypothèse devrait suffire à en illustrer le non-sens. On confond diagnostic et pronostic, alors que chacun sait que les psychiatres ont du mal à expertiser les troubles de la personnalité.

Même la notion de dangerosité ne fait pas l'objet d'une définition communément admise. Pourtant, toute l'architecture de ce texte repose sur les notions de dangerosité et de probabilité. La conséquence sera sans doute qu'aucun expert ne prendra la responsabilité de déclarer qu'une personne n'est pas dangereuse.

Le projet de loi est révélateur de l'incapacité dans laquelle se trouve le Gouvernement quand il est question de prise en charge des détenus.

Le Gouvernement propose le placement en rétention de sûreté après la peine. Mais attendre quinze ou vingt ans avant de prendre en charge une personne de surcroît considérée comme dangereuse est une absurdité.

D'une part, c'est reconnaître que la détention est inadaptée, et cela nous renvoie à la loi pénitentiaire qui aurait dû précéder, comme cela a été dit et répété, toute nouvelle loi pénale. Il est donc très regrettable qu'une réflexion ne soit pas envisagée sur les finalités de l'emprisonnement et sur les dispositifs d'insertion et de probation, dans le cadre d'une nouvelle loi pénitentiaire.

D'autre part, si les centres de rétention de sûreté sont, d'après vous, tout à fait appropriés pour les personnes présentant des troubles profonds de la personnalité - j'ai bien entendu M. Hugues Portelli nous vanter les mérites de ces futurs centres qui vont prendre en charge médicalement, psychiatriquement, socialement, les personnes en question - pourquoi ne pas prévoir le placement dans ces centres des personnes immédiatement après leur condamnation et pour la durée de leur peine ? Il y a là un hiatus qui n'est absolument pas compréhensible. J'ai déjà posé cette question, mais, dans la mesure où aucune réponse n'y est apportée, il faut bien la répéter ; ce sera pour des débats futurs.

Si, par la suite, dans le cas où elle aurait été immédiatement placée dans un centre de ce type, la personne condamnée s'avérait toujours potentiellement dangereuse et incapable de contrôler ses pulsions, il faudrait prononcer une mesure d'hospitalisation d'office en psychiatrie.

Le placement d'office permet de rester dans le cadre d'une mesure exceptionnelle et administrative, que la société peut toujours prendre. La rétention de sûreté, quoique vous en disiez les uns et les autres, n'est déjà plus une mesure exceptionnelle tant le nombre de personnes auxquelles elle est susceptible de s'appliquer s'est élargi depuis le moment où le Parlement a commencé à débattre de ce projet de loi.

Dans ce contexte, la proposition du rapporteur prévoyant une évaluation d'une durée de six semaines de la personne, dans l'année qui suit sa condamnation définitive, est une mesure positive, mais incohérente avec la philosophie de ce projet de loi.

Pourquoi les pays qui ont mis en place une rétention de sûreté, dans des conditions totalement différentes de la nôtre, parviennent-ils à des résultats positifs ?

D'abord, parce que celle-ci intervient le plus souvent en substitution de la peine. Parfois, c'est même une peine avec sursis qui est prononcée, comme en Belgique, par exemple.

Ensuite, parce que les évaluations interviennent très tôt dans la procédure pénale mise en oeuvre, pendant l'instruction puis après la condamnation, afin que le parcours d'exécution de la peine soit le plus individualisé possible pour obtenir les meilleurs résultats.

Enfin - et cette question est inhérente aux deux constats que je viens de faire -, parce que ces pays ont dégagé des moyens considérables en faveur de la prise en charge de ces personnes dites dangereuses. Aux Pays-Bas, l'observation prévue d'une personne dans le centre Pieter Baan coûte mille euros pas jour ! Ces pays n'ont pas hésité à mettre en oeuvre toute une série de mesures psychiatriques, psychologiques, sociales, éducatives. Ils ont donné le temps - les évaluations durent plusieurs semaines - à tous ces professionnels de travailler dans la sérénité.

Telle n'est pas l'optique adoptée par ce projet de loi ! La réflexion qui l'inspire s'inscrit dans le court terme : elle fait le choix de la facilité et de l'affichage. Malheureusement, sur le long terme, nous pouvons constater à quel point l'emprisonnement de longue durée conduit à la dégradation des conditions de détention et à l'apparition, chez certains détenus, de troubles psychiques ! Cette logique est donc totalement contreproductive.

Ce constat s'applique aussi aux personnes déclarées irresponsables pénalement. Le nombre d'accusés jugés « irresponsables au moment des faits » a considérablement diminué par rapport aux années quatre-vingt. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant de constater que, dans nos prisons, 30 % environ des détenus souffriraient de troubles mentaux.

Ce qui pose problème, ce n'est donc pas tant l'application de l'article 122-1 du code pénal que la médiatisation des faits divers dans lesquels sont impliquées des personnes irresponsables pénalement. Vous instrumentalisez la souffrance des victimes afin de revenir sur le principe de la responsabilité pénale, en ne dispensant plus les malades mentaux d'un jugement devant une juridiction pénale.

De plus, il me semble difficile d'imaginer qu'une personne, dont on a reconnu qu'elle souffrait de troubles mentaux, sera en état psychique de respecter les obligations ordonnées par le juge. Par ailleurs, comment lui appliquer des sanctions pénales en cas de non-respect de ses obligations alors qu'elle a été déclarée irresponsable pénalement ? Nous vous avons déjà dit tout cela, mais vous ne voulez pas l'entendre !

Je terminerai mon intervention en évoquant la rétroactivité de l'article 1er du projet de loi, que le Gouvernement et la majorité souhaitent imposer coûte que coûte. Quels que soient les arguments utilisés, vous n'arrivez pas à nous convaincre et j'espère que vous n'arriverez pas à convaincre le Conseil constitutionnel. Celui-ci ne s'honorerait pas en acceptant que le principe de non-rétroactivité de la loi pénale soit bafoué, par exemple sous le motif fallacieux que la rétention de sûreté ne serait pas une peine, ce qui paraît impensable ! Si l'on écarte aujourd'hui le principe de non-rétroactivité, notre démocratie s'effacera devant le fait du prince, je suis désolé de vous le dire, madame la ministre.

Dans ces conditions, vous comprendrez que nous voterons résolument contre ce projet de loi qui, malheureusement, nous a été infligé selon la procédure d'urgence, comme les précédents !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion