Je suis surtout de ceux qui croient que la paix et la sécurité - aussi banal que cela paraisse, il faut sans cesse le rappeler - sont les premières raisons d'être de la société et donc son premier devoir, que nous ne devons pas oublier que la criminalité fait des victimes, et pas seulement des « faits divers », et que la souffrance des victimes vaut bien la souffrance des coupables, à tout le moins !
Il est assez significatif, à cet égard, que certains articles publiés sous des signatures qui font autorité - non sans raison - n'accordent aucune attention aux victimes et que ce terme même n'y figure même pas, ce qui montre assez le caractère unilatéral de ces plaidoyers, qui contiennent par ailleurs bien des observations justifiées ; j'en ai enregistré un certain nombre tout à l'heure, en les approuvant.
Nous voterons donc ce projet de loi auquel de récents et terribles drames ont conféré les caractères d'actualité et de nécessité que nous savons ; je refuse de qualifier ces drames de « faits divers » !
À titre personnel, je confirme cependant mon regret de voir ce texte non pas complété, mais alourdi, encombré par l'alinéa 4 de l'article 1er et l'ensemble de l'article 12, qui en est la conséquence.
Dan cet alinéa litigieux, après avoir clairement posé le principe de la rétention de sureté, on croit devoir ajouter que « la rétention de sûreté ne peut toutefois être prononcée qui si la cour d'assises a expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourra » - dans le texte originel, ce verbe était au conditionnel ; on a cru plus sage de passer au futur de l'indicatif, mais que signifie ce changement ? Il ne nous avance pas plus ! - « faire l'objet à la fin de sa peine d'un réexamen de sa situation en vue d'une éventuelle rétention de sûreté. »
Sans revenir sur une démonstration détaillée - elle risquerait de fatiguer mon auditoire - rappelons que c'est cette exigence qui semble encourager certains à considérer que ce texte n'est pas à l'abri d'une critique de rétroactivité ; Mme Nicole Borvo Cohen-Seat l'a encore rappelé à l'instant.
Je continue à penser que cette critique est totalement infondée et je maintiens - cela figurera dans le compte rendu de nos débats - que la cause de la décision de rétention réside dans le fait que les personnes concernées présentent un état de particulière dangerosité, constatée hic et nunc par une commission pluridisciplinaire. Cette commission se réunit non pas pour se prononcer sur des faits antérieurs, mais pour apprécier la situation présente de ces personnes. Ce n'est pas un fait, mais un état qui justifie la mise en rétention !
Encore une fois, la cause de la rétention est la constatation de cet état dangereux même si, bien sûr, s'y ajoute l'exigence d'une condamnation initiale prévoyant un tel examen. Mais il s'agit d'une condition préalable et non pas de la cause de la mise en rétention. La décision de mise en rétention résultant de l'appréciation portée par la commission, cette décision sera nécessairement postérieure au vote de la loi.
D'ailleurs, tout ceux qui ont évoqué la rétroactivité ont agité un épouvantail, mais sans démontrer qu'elle était clairement établie. On se contente de laisser planer la menace !
Les choses iraient encore mieux si l'on supprimait cet alinéa 4 et, par voie de conséquence, l'article 12 qui s'efforce laborieusement - mais avec un talent remarquable - de surmonter la difficulté au prix d'une rédaction dont le byzantinisme - Byzance n'est pas sans charme ! - l'emporte à l'évidence sur la clarté et la sobriété latines auxquelles j'ai la faiblesse de rester attaché. Sans doute suis-je de la vieille école !
On a bien voulu m'indiquer que la présence de cet alinéa s'expliquait par le souci de tenir compte des dispositions de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui stipule : « nul ne peut être privé de sa liberté », sauf dans un certain nombre de cas énumérés par ce texte, le premier correspondant à l'hypothèse de « la condamnation par un tribunal compétent ».
Puis-je faire observer que la rédaction même de cet alinéa la prive de toute portée et donc de véritable signification, puisque le fait de prévoir - même expressément - qu'un événement « pourra » se produire - si vous sortez dans la rue, vous « pourrez être écrasé », mais vous ne le serez peut-être pas ! - est totalement inopérant et relève de l'ornement mais non de la norme. Autant je suis amateur du baroque dans les beaux-arts, autant j'estime qu'il vaut mieux l'éviter en matière de législation !
Dès lors, une telle disposition ne saurait jouer un rôle dans l'appréciation de la rétroactivité. En outre, une lecture plus attentive du texte de la convention permet de soulever deux objections.
Premièrement, la « condamnation » mentionnée par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme pourrait aussi bien être la décision de la « juridiction » - car, grâce à notre rapporteur, la décision de mise en rétention est bien une décision juridictionnelle et, donc, une « condamnation ».
Sans doute, cette décision ne sera-t-elle pas une condamnation au sens pénal le plus courant du terme, auquel nous sommes habitués, mais il suffit de se référer à un dictionnaire pour constater que le terme de « condamnation » peut avoir une signification beaucoup plus générale. Toute décision imposant le respect d'une obligation peut constituer une condamnation, même si elle n'intervient pas en matière pénale. Vous trouverez cette acception dans divers dictionnaires, y compris ceux qui sont spécialisés en droit !
Deuxièmement et, me semble-t-il, plus justement encore, l'une des justifications de la privation de liberté prévue expressément par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, cette fois sans aucun préalable de condamnation, est le cas d'aliénation. L'aliénation est un terme qui ne recouvre pas un état très précisément et scientifiquement défini même si, dans le langage courant, un aliéné est un fou, au sens sommaire - celui du xixe siècle - du terme. La psychiatrie a fait des progrès depuis cette époque ! La Cour européenne des droits de l'homme a déjà eu l'occasion de relever, dans sa jurisprudence, que le sens du terme « aliéné » ne cessait d'évoluer avec les progrès de la recherche psychiatrique. Or, la convention, dans l'hypothèse de l'aliénation, n'exige pas de condamnation préalable.
Ces considérations me renforcent dans la conviction que cet alinéa 4 de l'article 1er, comme l'ensemble de l'article 12, dont j'ai déjà fait l'éloge tout à l'heure, sont une surcharge fâcheuse dans ce texte. La poursuite du débat aurait pu nous permettre d'en faire l'économie, évitant ainsi de prêter le flanc à la critique de rétroactivité, si mal justifiée soit-elle.
Cela dit, j'espère me tromper, madame la ministre, mais je n'en suis pas sûr... Quoi qu'il en soit, je m'en tiendrai à l'absence de signification de cet alinéa 4, qui ne pourra donc servir de support à aucun recours sérieux.
Ces réserves que j'ai cru devoir formuler à nouveau ne m'empêcheront pas, non plus que la plupart de mes amis excellemment représentés ici, de voter un projet de loi dont nous croyons, pour l'essentiel, qu'il est suffisamment justifié par des réalités que nul ne peut ignorer et qui ne se résument pas à de simples « faits divers » !