Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au moment de nous prononcer sur le projet de loi tel qu'il ressort des travaux de la commission mixte paritaire, je veux m'élever contre la méthode, pratiquée depuis le sommet de l'État jusqu'au Gouvernement, consistant à faire voter, une fois de plus, un texte dans la précipitation, en s'appuyant sur l'émotion légitime de l'opinion, lorsqu'un drame est survenu.
En abusant de la douleur des victimes, douleur qui est partagée sur toutes les travées de cet hémicycle, les promoteurs de ce projet de loi, loin de leur rendre justice et de leur apporter réparation, provoqueront une extrême confusion. Ce texte va, ô paradoxe ! détourner l'attention de la nécessaire punition du criminel.
On tente ainsi de cacher l'insuffisance des moyens pour assurer l'exécution de la peine, l'insuffisance des moyens pour apporter au délinquant, pendant la durée de sa détention et dès le début de celle-ci, un traitement médical et psychiatrique approprié chaque fois que cela s'avère nécessaire, l'insuffisance des moyens pour préparer le condamné à la réinsertion une fois la peine accomplie, sans oublier, à la sortie, de le suivre sur les plans médical et social.
Mais comment expliquer que, dans leur immense majorité, les acteurs du monde judiciaire soient violemment hostiles à ce projet de loi, y compris ceux d'entre eux qui se sont toujours montrés le plus sévères dans la répression des crimes sexuels ?
En effet, malgré toutes les circonlocutions dont on veut l'entourer et l'insertion de quelques dispositions retenues par la commission mixte paritaire sur l'initiative du Sénat, comme l'a exposé M. le rapporteur, ce texte instaure, dans des conditions aléatoires, la peine après la peine.
Il ouvre ainsi, comme en a fait la démonstration notre collègue Robert Badinter, une brèche dangereuse dans le droit pénal français, puisqu'il entraîne, avec la rétention de sûreté, la sanction de faits n'ayant pas été commis, cela au nom de la « dangerosité » du condamné, c'est-à-dire d'un profil psycho-criminologique toujours évalué par des experts, même si l'on veut ici mettre l'accent sur un encadrement juridictionnel.
Comme si ce manquement grave aux principes posés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne suffisait pas, ce texte instaure en outre, qu'on le veuille ou non, la peine rétroactive. Quelques subterfuges de procédure visant uniquement à offrir une justification éventuelle au Conseil constitutionnel pour refuser de le censurer ne changent rien au fait que la rétroactivité de la peine est instituée, ce qui va à l'encontre de toute la tradition juridique de notre pays.
Ainsi, le présent projet de loi, né de l'émotion de l'opinion, renvoie en fait à la décision d'experts qui seront à leur tour soumis au même processus émotionnel, aux mêmes peurs que le public, alors que le diagnostic et le traitement des criminels réclament que l'on agisse avec maîtrise, discernement et, bien sûr, sévérité, en se donnant, encore une fois, des moyens efficaces de prévenir la récidive.
Nous voterons donc contre un texte néfaste. Voilà quelques années, le rapport issu des travaux de la commission d'enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France avait été intitulé : « Une humiliation pour la République ». La situation dans nos prisons s'est, depuis, lourdement aggravée, avec l'empilement de lois de plus en plus répressives, sans que l'on s'attaque aux vraies causes de la délinquance. Il aurait mieux valu éviter d'infliger, avec ce projet de loi, une nouvelle humiliation à la République, dans une période où le pouvoir se comporte avec de plus en plus d'incohérence et de fébrilité, et où ses insuffisances commencent à se révéler aux yeux des Français.