Intervention de Bariza Khiari

Réunion du 11 février 2009 à 15h00
Suppression des conditions de nationalité pour certaines professions — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari, auteur de la proposition de loi :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que je vous présente aujourd’hui traite d’une problématique souvent méconnue mais qui n’a rien d’anecdotique. Elle s’inscrit dans la droite ligne de la loi du 30 janvier 2004 portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE. À l’époque, cette loi avait bénéficié de l’unanimité dans les rangs sénatoriaux, ce qui prouve l’importance de ces questions et le consensus qu’elles suscitent.

De fait, on a généralement connaissance des restrictions à l’emploi fondées sur des questions de validité du diplôme présenté, mais on ignore fréquemment qu’il en existe d’autres, liées à la seule nationalité de l’intéressé, dans la mesure où il doit être Français pour pouvoir prétendre travailler.

On peut comprendre les premières restrictions : elles visent à protéger les citoyens en ouvrant certaines professions aux seules personnes qui ont suivi une formation conforme à celle que suivent nos propres étudiants se destinant à l’exercice des métiers considérés. La deuxième catégorie de restrictions laisse en revanche plus circonspect, tant leur justification paraît davantage sujette à caution.

Certes, il semble légitime de réserver aux nationaux les emplois touchant à la sécurité du pays ou à l’exercice des prérogatives de la puissance régalienne. Mais, dans la pratique, bien d’autres professions sont concernées par ce principe qui, en l’occurrence, paraît peu compréhensible.

Ce texte vise donc à mettre un terme à une situation ubuesque dans laquelle les conditions de nationalité ne sont pas l’apanage des professions publiques ou en lien avec l’exercice de la puissance publique, mais concernent des secteurs variés qui n’appellent nullement une telle restriction.

Il ne s’agit donc en aucun cas de porter atteinte à la condition de diplôme, mais de limiter celle de nationalité aux cas où elle semble appropriée. En d’autres termes, il s’agit de légiférer dans un souci de meilleure intégration des populations étrangères qualifiées vivant sur notre territoire.

On ne saurait en effet nier le caractère daté de cette législation restrictive, qui rappelle des heures malheureuses de xénophobie et d’intolérance, et à laquelle la République se doit donc de mettre un terme. Les fondements de ces restrictions sont historiquement connotés, économiquement obsolètes et moralement condamnables. La plupart des textes régissant ces limitations furent en effet adoptés dans la période de l’entre-deux guerres, lorsque montaient les tensions entre différents pays. Aujourd’hui, plus rien ne sous-tend désormais ces lois désuètes qui font honte à nos principes républicains.

Plusieurs principes fondent en effet cette proposition de loi. Elle s’inscrit, tout d’abord, dans la continuité de la lutte contre les discriminations et la promotion de la diversité. Elle vise, ensuite, à restaurer la valeur du diplôme, fondement même de notre régime méritocratique. Elle s’attache, enfin, à simplifier le droit en réduisant les procédures administratives, de manière à faciliter les relations entre l’administration et les usagers, objectif à valeur constitutionnelle.

Je reviens sur chacun de ces points.

La République ne récuse pas la différence. Bien au contraire, dès la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, texte sacré s’il en est, est affirmé le droit de chacun de penser comme il l’entend et de sortir du lot. Au fondement de nos institutions se trouve l’idée que, si chacun est différent, nous partageons tous un fond commun qui soutient le vivre-ensemble sur lequel notre régime s’appuie et qu’il tente de préserver chaque jour à travers le pacte républicain. La lutte contre les discriminations se situe dans cette perspective ; elle en constitue même la clé de voûte.

De fait, toute discrimination, parce qu’elle fait primer la différence, mine le vivre-ensemble en renvoyant chacun à sa particularité. Quand on incite à opérer une distinction entre nationaux et étrangers, on renvoie ces derniers à leur condition première, faisant par là même obstacle à leur intégration dans la société. Ils ont ainsi l’impression que la France ne veut pas d’eux, qu’elle cherche à leur fermer de multiples portes et de rendre plus difficile leur existence sur le territoire.

Alors que les étrangers sont, de manière générale, déjà en partie marginalisés du fait de l’absence de connaissances, d’amis, de famille et de réseau sur notre territoire, ils voient leur situation s’aggraver par une relégation supplémentaire du fait de la loi. Nous savons tous que la République vit à l’ombre de ses réseaux. Doit-on pénaliser davantage ceux qui n’en disposent pas ? Quand la société devrait faciliter leur intégration, elle semble au contraire multiplier les freins à cette dernière.

Si la loi invite à opérer une distinction entre discriminations et restrictions du fait de la nationalité, constatons que, dans la réalité, les secondes ne sont pas sans effet sur les premières, qu’elles tendent à les légitimer par effet de système. De fait, les restrictions légales influent sur les discriminations, paraissant les encourager.

Ainsi, les dispositions que nous tenons, par la présente proposition de loi, à abroger ont un double effet négatif : elles minent le lien social qui devrait être créé entre les populations étrangères et la communauté française tout en incitant indirectement à la perpétuation de discriminations illégales.

Par leur suppression, nous rappellerons l’exigence républicaine de lutte contre les discriminations, de promotion de la diversité, qui fait la richesse de notre territoire, de notre culture et de notre société. Il s’agit d’un engagement solennel pour mettre au premier plan les valeurs essentielles qui fondent notre pays.

Le texte que nous vous proposons aujourd’hui tend à défendre aussi la valeur du diplôme.

Notre République s’est bâtie, depuis sa création, sur l’idée de méritocratie. Tout homme doit pouvoir, par son mérite personnel, s’élever au-dessus de la condition de ses parents et atteindre un statut social enviable. S’il apprend, s’il travaille avec ardeur, nos universités lui délivrent un diplôme, synonyme de prestige social, pourvu d’une valeur intrinsèque et respecté en tant que tel. Non seulement les universités, mais aussi les grandes écoles reposent sur cette notion même de méritocratie, de valeur du titre délivré.

Or l’existence de restrictions liées à la nationalité du détenteur du diplôme met gravement à mal la valeur de ce titre, qui semble perdre son caractère absolu et incontestable au profit d’une nature subjective.

Notre système repose sur le fait que le diplôme confère une qualité à celui qui le détient et qu’il suffit en lui-même pour établir l’aptitude de son titulaire à occuper une fonction. Comment justifier, dès lors, qu’un même diplôme n’octroie pas les mêmes droits suivant que l’on est français ou non ? Cela reviendrait à dire que la valeur du diplôme varie avec la qualité juridique de son détenteur. Il s’agit là d’un grave contresens sur nos principes.

Certes, des procédures dérogatoires existent pour permettre aux personnes étrangères titulaires d’un diplôme français d’exercer dans notre pays. Toutefois, il s’agit d’une décision discrétionnaire du ministre concerné. Or, à bien y réfléchir, cette procédure lourde et longue est loin de constituer une solution de repli, tant elle prend un caractère humiliant pour celui qui s’y engage. Alors que le diplôme devrait en lui-même garantir la qualité professionnelle de la personne qui le détient, celle-ci voit la possibilité d’exercer l’emploi auquel elle se prépare soumise à la décision d’une personne tierce n’ayant aucun lien avec le monde universitaire.

Il s’agit là d’une nouvelle entorse au statut du diplôme, qui est d’autant moins acceptable qu’elle contient une part d’arbitraire en raison de son caractère discrétionnaire. J’ajoute que la plupart des décisions ministérielles sont positives ; aussi cette procédure fastidieuse revient-elle de plus en plus fréquemment à perpétuer un droit superfétatoire.

Je vous propose donc de mettre un terme à cette dérogation en replaçant le diplôme au cœur du processus d’exercice d’un emploi, place qu’il n’aurait jamais dû quitter.

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