Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat examine aujourd’hui une proposition de loi visant à supprimer les conditions de nationalité concernant l’accès à l’exercice de certaines professions libérales.
Comme l’indique le rapport de M. Charles Gautier, les auteurs de cette proposition de loi ont le grand mérite de provoquer une réflexion générale sur la pertinence du maintien dans notre droit positif de règles qui imposent d’être ressortissant communautaire pour accéder à certaines professions libérales.
Le débat qu’introduit cette très intéressante proposition de loi est donc légitime.
Comme l’a rappelé M. le rapporteur, pour les professions concernées, le droit actuel repose sur une double condition, de qualification et de nationalité.
Permettez-moi en premier lieu de revenir sur le droit actuellement applicable aux professions libérales concernées par cette proposition de loi.
De manière générale, l’exercice de ces professions libérales est soumis à deux conditions, auxquelles on peut ajouter, s’agissant des professions libérales ordinales, l’inscription à un ordre professionnel. Ces deux conditions concernent la nationalité, d’une part, la qualification, c’est-à-dire les diplômes et la formation, d’autre part.
L’exercice de ces professions est tout d’abord soumis à la détention d’un titre ou diplôme approprié.
À la suite, notamment, de l’adoption de la directive du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, la plupart des diplômes délivrés par les États de l’Union européenne pour l’exercice de professions comparables permettent de satisfaire à la condition de diplôme en France.
À l’extérieur de l’Union européenne, l’exigence d’un diplôme français ou communautaire peut, dans certains cas, être atténuée par des procédures de vérification des connaissances acquises. Le passage devant une commission ad hoc chargée d’examiner chaque demande individuelle est alors la procédure habituelle.
Le critère de nationalité ne s’applique pas aux ressortissants de l’Union européenne, conformément au droit communautaire, et ne contraint donc pas l’accès aux professions concernées.
La présente proposition de loi maintient les conditions d’accès aux professions concernées tenant à la qualification, mais vise à supprimer la condition de nationalité.
Elle concerne huit professions, cinq relevant du secteur médical ou paramédical – médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens et vétérinaires –, les trois autres étant les géomètres-experts, les architectes et les experts-comptables.
De toute évidence, la proposition de loi soulève la question de notre politique d’immigration professionnelle.
Pour être comprise et acceptée par nos concitoyens, et aussi être conforme à l’intérêt général, la politique d’immigration de la nation doit être équilibrée. C’est tout le sens de la notion d’« immigration choisie » que le Gouvernement met en œuvre, sous l’impulsion du Président de la République.
Au regard de la situation de l’emploi, cette politique doit tenir compte de l’intérêt de la France, certes, mais aussi de celui des pays d’origine. Cette politique doit être en rapport étroit avec les besoins et les capacités d’accueil de notre pays. C’est la condition d’une bonne intégration et d’une bonne insertion dans l’emploi.
Ces conditions doivent être respectées, faute de quoi nous serions exposés à différents risques. Nous pourrions par exemple gêner le développement des pays d’origine en favorisant ce que l’on appelle la « fuite des cerveaux » ou déclencher des flux d’immigrants trop importants au regard de nos capacités d’accueil et d’intégration, y compris sur le marché de l’emploi.
Ces conditions étant respectées, il va de soi que le Gouvernement est sensible, comme les auteurs de la proposition de loi, à la nécessité de promouvoir dans toute la mesure du possible l’intégration des immigrés par le travail, lequel constitue, nous le savons, le vecteur le plus puissant d’insertion dans la société.
C’est pour cette raison que nous cherchons à favoriser l’immigration professionnelle et que nous développons l’intégration par l’emploi. Le taux de chômage des étrangers non communautaires est, nous le savons, trois fois supérieur à celui des Français. Il atteignait 24% en moyenne en 2008.
Face à une telle situation, il paraît légitime de s’interroger sur la suppression des conditions de nationalité qui subsistent encore dans certains domaines de notre droit et restreignent l’accès des travailleurs étrangers à l’exercice de certaines professions libérales, en particulier lorsque les travailleurs concernés ont fait leurs études en France, comme Mme Khiari l’a souligné à juste titre.
Toutefois, cette proposition de loi aurait dû s’accompagner d’études d’impact plus détaillées, permettant d’en mieux mesurer la portée. De fait, le Gouvernement comprend et partage l’intention générale des auteurs de cette proposition de loi. Il n’oppose donc pas d’objections de principe, mais il soulève des interrogations pratiques sur les modalités de mise en œuvre de ce texte au regard des conditions nécessaires à la réussite d’une politique d’immigration équilibrée.
Tout d’abord, il serait préférable de procéder à une évaluation prospective préalable de nos besoins dans les différents secteurs d’activité concernés. Le Conseil d’analyse stratégique anime ainsi un groupe, Prospective des métiers et des qualifications à l’horizon 2020, lancé le 16 janvier 2009 sur l’initiative de M. Éric Besson, alors en charge de la prospective, et qui serait sans aucun doute en mesure d’apporter une analyse approfondie sur cette question. Une telle évaluation est bien entendu particulièrement nécessaire pour !es professions soumises à un numerus clausus, les professions médicales et vétérinaires notamment.
J’ai bien conscience, avec un tel discours, de brider l’enthousiasme libéral des auteurs de cette proposition de loi, mais je me dois d’attirer l’attention du Sénat sur le fait qu’en l’absence d’études prospectives, nous pourrions déclencher un appel d’air d’étrangers venant faire des études en France uniquement pour s’y installer. Cela doit être mis en regard de la situation de notre marché de l’emploi et, peut-être plus encore, des besoins des pays d’origine.
Nous devons en effet veiller aussi aux intérêts des pays d’émigration, conformément au principe fondamental de notre politique qui veut que l’immigration professionnelle n’organise pas, comme on le dit parfois, le pillage des élites ou la fuite des cerveaux des pays en développement.
Ainsi que l’a souligné le Président de la République dans la lettre de mission qu’il avait adressée au ministre chargé de l’immigration, M. Brice Hortefeux, le 9 juillet 2007, « la politique d’immigration choisie, c’est une politique qui tient compte des intérêts des pays d’origine autant que des pays d’accueil ».
Nous manquerions à ce principe, madame Khiari, si nous établissions que posséder un diplôme français donne automatiquement le droit de travailler en France.
Comme l’a rappelé M. Charles Gautier, les titulaires de diplômes français doivent, comme les autres ressortissants extracommunautaires, respecter les règles en matière d’entrée et du séjour des étrangers.