Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la non-discrimination entre travailleurs en raison de la nationalité, de la race, du sexe, de l’appartenance religieuse ou syndicale est un principe à valeur constitutionnelle.
Le préambule de la Constitution de 1946 l’affirme très clairement : y sont gravés dans le marbre le principe de non-discrimination entre individus ainsi que le droit de chacun à obtenir un emploi.
Par ailleurs, nombre d’engagements internationaux pris par la France imposent aussi un strict respect de ces principes. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950 ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté en 1966 sous l’égide de l’ONU et en vigueur en France depuis 1981, obligent notamment les États signataires à reconnaître les droits et libertés qu’ils consacrent à tout individu et ce, sans discrimination entre nationaux et étrangers, européens ou non.
Dès lors, il est bien évidemment légitime de s’interroger sur les fondements des restrictions législatives et réglementaires que l’on constate en France concernant l’accès des étrangers, notamment les non-communautaires, à nombre d’emplois publics ou privés.
En 1999, le rapport intitulé « Les emplois du secteur privé fermés aux étrangers » a recensé l’ensemble des professions dont l’accès est limité pour les étrangers par une condition de nationalité ou une condition de diplôme, ainsi que les motifs de ces restrictions. Ce sont près d’une cinquantaine de professions qui font l’objet de restrictions liées à la nationalité et près d’une trentaine qui requièrent la possession d’un diplôme français comme condition. Au total, plus d’un million d’emplois seraient concernés.
Il est grand temps, dès lors, de prouver l’engagement de l’État dans la lutte contre les discriminations et en faveur de l’ouverture du marché du travail. C’est ce qui nous est fort opportunément proposé à travers le texte qui nous est soumis aujourd’hui et que notre groupe votera majoritairement.
La commission des lois a été plus sensible, dans un premier temps, aux observations des avocats qu’à celles des pharmaciens, pour ne pas « désarmer unilatéralement » notre législation dans un contexte de concurrence internationale exacerbée ; nous ne sommes pas convaincus par cette argumentation, qui pourrait être reprise de la même manière par les architectes et d’autres. Une partie de cette honorable profession fut davantage désarmée par la réforme de la carte judiciaire et le pôle d’instruction.
Cette proposition de loi constitue un progrès incontestable non seulement au regard des grands principes qui viennent d’être rappelés, mais aussi par le fait qu’il est, de manière générale, utile pour les pays d’attirer vers eux des professionnels compétents. L’importation de matière grise ne creuse pas le déficit commercial, bien au contraire !
Nous regrettons à juste titre l’exportation de nombre de nos chercheurs et nous pouvons nous interroger sur les inquiétudes de nombreux pays en voie de développement dont les étudiants émigrent. La question essentielle, c’est la condition de diplôme et de formation, la reconnaissance de véritables qualifications professionnelles sans discrimination entre nationaux et étrangers, y compris extra-européens.
Cette proposition de loi ne remet pas en cause les conditions de diplôme ni les procédures d’autorisation d’exercice. Il convient d’éviter certains écueils : le contournement des dispositions relatives au numerus clausus en est un.
Il n’est pas satisfaisant de constater, comme le fait M. le rapporteur, que le numerus clausus est d’ores et déjà battu en brèche par des Français effectuant leurs études dans d’autres pays de la Communauté européenne et par les ressortissants communautaires pouvant s’installer librement en France avec un diplôme leur permettant d’exercer dans leur pays. La question qui se pose alors est celle de l’adéquation de nos dispositifs de numerus clausus à l’évolution des professions concernées.
S’il est bon de supprimer les conditions de nationalité, il l’est aussi de ne pas placer l’étudiant français en situation plus difficile que son collègue étranger ; même si les voyages forment la jeunesse, tous n’ont pas les mêmes moyens pour aller contourner le numerus clausus à l’étranger !
II faut aussi constater une certaine hypocrisie du système mis en place dans nos hôpitaux pour qualifier l’emploi de plus de 6 000 professionnels qui travaillent avec un diplôme obtenu hors de l’Union européenne en étant placés sous la responsabilité d’un médecin habilité à exercer la médecine en France.
Le besoin a créé la dérogation, et le pragmatisme rime souvent avec la géométrie juridique variable !
Ainsi, aujourd’hui, la grande majorité des emplois interdits pour raison de nationalité sont situés dans le secteur public, alors que ce secteur contourne la règle en recrutant en qualité de contractuels, voire d’auxiliaires, des étrangers non communautaires. Là encore, une évolution est nécessaire.
Quoi qu'il en soit, nous voterons majoritairement cette proposition de loi en espérant qu’elle ne constitue qu’une étape vers des dispositions législatives posant une règle générale et limitant précisément les exceptions à l’exercice d’une profession privée ou publique.