Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 11 février 2009 à 15h00
Suppression des conditions de nationalité pour certaines professions — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il aura fallu attendre l’année 2009 et l’initiative de notre collègue Bariza Khiari pour mettre enfin un terme à cette injustice, héritée des plus sombres pages de l’histoire de France.

Je ne reviendrai pas sur cette règle inique qui consiste, depuis des décennies, à refuser aux étrangers l’exercice de certaines professions, un des volets de leur citoyenneté. Rien ne justifiait de telles restrictions, et pourtant elles ont été maintenues jusqu’aujourd’hui.

Je salue donc cette initiative et j’espère qu’elle sera un pas supplémentaire vers la suppression totale de toutes les restrictions aux droits des étrangers établis régulièrement en France. Je pense plus précisément à la reconnaissance des droits liés à la résidence, et donc à la reconnaissance de la citoyenneté de résidence, qui a notamment pour corollaire le droit de vote et d’éligibilité aux élections locales ou aux élections professionnelles.

Permettez-moi maintenant de vous faire part de plusieurs préoccupations connexes à l’objet de cette proposition de loi, relatives aux efforts qu’il reste à accomplir afin de garantir les droits que je viens d’évoquer et de permettre un accès effectif des non-nationaux aux professions visées.

Ma première préoccupation, au-delà de l’interdiction légale des discriminations à l’embauche des étrangers, a trait aux discriminations de fait. Mettre, en droit, un terme à une discrimination ne suffit malheureusement pas, car, plus qu’au droit, c’est aux mentalités qu’il faut désormais s’attaquer.

En effet, ce sont les mentalités qui doivent aujourd’hui se plier à l’impératif de justice sociale et d’égalité ! De ce point de vue, je tiens à saluer le travail de la HALDE, non seulement pour l’action qu’elle mène au quotidien auprès des personnes victimes de discriminations à l’embauche ou dans l’exercice de leur profession en raison de leurs origines, mais également pour la visibilité qu’elle a su donner au phénomène des discriminations, aidée en cela par plusieurs associations.

La proposition de loi que nous nous apprêtons à voter n’effacera malheureusement pas les réflexes discriminants, ceux qui, même interdits par la loi, trouveront l’occasion de s’exprimer au détour d’un entretien d’embauche. Les diplômes ou les compétences n’y changeront rien : les « délits de faciès », eux, ont malheureusement la vie longue, et aucune loi ne peut y mettre fin d’un seul coup.

J’espère que la HALDE pourra prolonger l’effet utile de cette loi et contribuera, avec les maigres moyens dont elle dispose, à accompagner un mouvement général d’identification et d’éradication des discriminations vécues par les étrangers dans le monde du travail.

Néanmoins, je déplore aujourd’hui que certaines professions n’aient pu jouer le jeu. Je pense en l’occurrence aux pharmaciens, qui, pas plus que les médecins ou les avocats, ne peuvent revendiquer le droit d’exclure les étrangers de l’exercice de leur profession. Ce qui vaut pour les uns devrait valoir pour les autres !

De ce point de vue, la loi aurait dû refuser d’entrer dans le jeu du corporatisme et témoigner sans demi-mesure de la nécessité, qui est d’ordre général, de supprimer toute barrière à l’accès aux emplois puisque la formation et le diplôme sont les mêmes, la première suivie dans les mêmes écoles, le second délivré par les mêmes instances. Ces barrières ne sont plus justifiées ! D’ailleurs, l’ont-elles été un jour ?

L’autre chantier qui nous attend, et qui ne relève pas directement de la présente proposition de loi, est celui du droit des étrangers.

Les étudiants étrangers seront fatalement confrontés à un problème lorsque, à l’issue de leurs études, ils devront justifier d’un statut de « salarié » au regard du droit d’entrée et de séjour des étrangers. En effet, alors qu’ils ne seront plus « étudiants », ils rencontreront dans leur recherche d’emploi des difficultés renforcées par le fait qu’ils n’auront pas encore ce statut de « salarié », et cette période où ils ne seront pas considérés comme pouvant bénéficier d’un titre de séjour pourra d’autant plus se prolonger que leurs compétences ne seront pas reconnues en tant que telles.

C’est justement sur ce point que la loi doit déployer toute sa force pour garantir à ces personnes l’aboutissement de tant d’années d’études, souvent suivies au prix de sacrifices majeurs ; c’est là que la loi doit prendre le relais pour qu’ils puissent cueillir les fruits de leur labeur.

Malheureusement, en l’état actuel de la législation sur le séjour des étrangers, aucun dispositif n’existe pour assurer l’intérim entre ces deux statuts, pour faciliter un changement du statut « étudiant » vers le statut « salarié ». La conséquence en est simple : faute de trouver immédiatement un emploi conforme à leur formation, et sans cette carte « salarié », ces jeunes ne pourront pas prétendre se maintenir sur le territoire français !

Il s’agit là d’une question extrêmement importante, sur laquelle une réflexion devra d’ailleurs être menée par les services du ministère chargé de l’immigration. Sans cela, le libre accès des étrangers aux professions autrefois réglementées ne sera qu’une chimère, un vœu pieux non suivi d’effets concrets…

La situation de ces étrangers bardés de diplômes devra donc faire l’objet d’une bienveillance particulière de la part des préfectures. Car, sans carte de séjour de dix ans, ces étudiants seront amenés à renoncer à ce à quoi ils ont consacré parfois dix ans d’études !

Je souhaite également lier cette question des emplois réservés à celle de la politique de l’immigration choisie décidée par le Gouvernement.

Les étrangers qui viennent suivre des études en France bénéficient souvent d’une bourse de leur pays d’origine. L’idée même de développement solidaire devrait donc les amener, une fois qu’ils sont diplômés, à y retourner exercer leur art, leur spécialité, et ainsi contribuer au développement de leur pays. Or le pillage de cerveaux, mis en place par M. Brice Hortefeux à l’époque où il était ministre de l’immigration, trouvera naturellement à s’appliquer dans le cas des professions visées par cette loi.

Il faudrait donc assumer une régularisation de ces étrangers sur le territoire français pour qu’ils puissent exercer leur métier en France. N’avons-nous pas besoin de leurs talents et de leurs compétences ?

En contrepartie, il faudrait inventer des mécanismes de compensation visant à solder la dette intellectuelle et humaine que nous contracterons envers leurs pays d’origine. Les coopérations bilatérales en matière scientifique, juridique et culturelle devront s’intensifier afin que les deux pays puissent s’enrichir mutuellement de ces efforts partagés. Peut-être même devrions-nous instaurer des visas « d’aller et retour permanent » afin que ces relations d’échanges intellectuels et techniques ne connaissent aucune entrave.

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