Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous discutons d’une proposition de loi inaboutie, dans le contexte le plus défavorable qui soit. Les sujets de mobilisation de la communauté universitaire sont déjà multiples, inutile d’en ajouter un !
Le Gouvernement paraît vouloir écouter, mais semble incapable de corriger ses erreurs. La « mastérisation » de la formation des futurs enseignants, parce que contre-productive et précipitée, constitue un point dur de la mobilisation.
Or on nous propose aujourd'hui de jeter dans le bain des mesures gouvernementales mal ficelées, mal préparées, non négociées et précipitées le secteur des études de santé !
Le calendrier de cette énième réforme est tout aussi irréaliste que celui de la formation des enseignants. Même ceux qui sont en faveur de ce texte réclament, à juste titre, le report de sa mise en application.
Il est en effet tout simplement matériellement et financièrement impossible d’organiser, dans de bonnes conditions, dès la rentrée de septembre 2009, la première année des études de santé selon le dispositif proposé dans cette proposition de loi.
Je pense en particulier aux études odontologiques et pharmaceutiques pour lesquelles la mise en œuvre du LMD n’est toujours pas effective. Le processus de Bologne fixe 2010 comme date butoir : prévoir l’application du dispositif à la rentrée 2010 semblerait donc plus réaliste et plus approprié. Rien ne nous contraint à la précipitation, sauf le calendrier gouvernemental ! Sans cela, c’est au sacrifice d’une promotion que vous nous conduisez, madame la ministre.
Les procédures d’inscription « post-bac » pour les lycéens s’achèvent dans quelques semaines. Les élèves de terminale intéressés par des études médicales ne disposent à ce jour d’aucune information sur la réforme à venir de la première année. Ils sont tenus dans la plus totale ignorance et sont donc dans l’incapacité matérielle de s’inscrire en connaissance de cause.
Pour ce qui est des actuels « primants », l’incertitude quant à leur possibilité de redoublement à l’issue d’une sélection qui éliminera 80 % d’entre eux constitue une source supplémentaire de stress. Quant aux équipements immobiliers, je ne vois pas par quel miracle ils seront prêts à accueillir tous les étudiants en L 1 santé pour la rentrée 2009. Un report de l’application de cette réforme s’impose donc.
Cette réforme précipitée est également insuffisante. Vous restez au milieu du gué : nombre de professions de santé ne feront pas partie de cette licence « santé ». Certaines filières ont été exclues d’office de la réflexion du rapport Bach, sans motif sérieux. Le périmètre pose, au minimum, question. Ainsi, la question de l’intégration de filières de formation universitaire, d’autres ne l’étant pas ou l’étant seulement en partie, a été trop rapidement évacuée. De nombreuses filières recrutent par l’actuel PCEM 1 et ne sont pas intégrées dans la L 1 santé : ergothérapeutes, laborantins d’analyses médicales, manipulateurs d’électroradiologie médicale, pédicures-podologues, psychomotriciens, masseurs-kinésithérapeutes pour deux tiers des instituts de formation.
À travers le mode de recrutement, c’est également la question de la démocratisation de l’accès à certaines filières de santé qui aurait dû être posée.
Ainsi, le PCEM 1 de kinésithérapeute ne demande pas le même investissement financier que le concours des instituts privés, de l’ordre de 3 500 euros, ce qui constitue avant tout une sélection par l’argent. C’est donc une occasion manquée d’envisager la généralisation de la procédure de sélection par le PCEM 1 pour tous les futurs kinésithérapeutes, dans un objectif de démocratisation.
De fortes craintes pèsent également sur les conditions d’études. En parlant des étudiants de pharmacie, vous avez affirmé à l’Assemblée nationale, madame la ministre : « avant tout, ils pourront ainsi améliorer leurs chances de réussite ». Cette affirmation est-elle bien sérieuse et réellement fondée ? Je ne le pense pas, et les étudiants de pharmacie, que cette réforme inquiète légitimement, non plus. Ils vont échanger des enseignements dirigés – ED – et des travaux dirigés – TD – d’une trentaine d’étudiants contre des amphithéâtres surchargés en visioconférence.
Face à l’augmentation des effectifs du fait du regroupement des différentes premières années, le risque est grand de voir remises en cause, dans toutes les filières, la proportion des ED et des TD par rapport aux cours magistraux, actuellement de 30 % des cours dispensés en PCEM 1 et en PCEP 1, ainsi que les conditions de leur tenue.
C’est pourquoi le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, le CNESER, a demandé à votre ministère, d’une part, « d’apporter tous les moyens matériels, humains et financiers nécessaires pour garantir une qualité pédagogique au moins équivalente à celle observée aujourd’hui dans chacune des filières concernées, sans dégradation des conditions d’études » et, d’autre part, « que le financement de la licence santé ne se fasse pas en redistribuant les moyens initialement alloués aux autres filières universitaires dans le cadre du plan “ réussir en licence ”, comme cela est prévu à ce jour ».
Expliquez-nous, madame la ministre, comment la première année d’études de santé pourrait être également adaptée à ceux qui ne pourront pas devenir médecins, dentistes, sages-femmes ou pharmaciens.
Rien ne nous garantit que la réorientation à l’issue du premier semestre se fera sur le mode du volontariat. Nous n’avons pas d’information sur les filières que les étudiants pourront intégrer au second semestre, ni sur les conditions de cette intégration. Un étudiant ayant perdu tout goût pour les sciences pourra-t-il s’inscrire en sciences humaines ou en droit ?
À ce propos, nous ne disposons d’aucune étude statistique sur le parcours des étudiants sortis du cursus médical ou l’ayant abandonné permettant d’affiner le dispositif de réorientation, afin qu’il soit le plus profitable possible aux étudiants concernés.
À ma connaissance, aucune étude n’a été réalisée sur les résultats du premier semestre des étudiants « primants » et sur leur réussite au concours en tant que redoublants, ce qui leur ferait tout de même gagner un à deux ans par rapport à votre proposition de réorientation précoce. Il ne me semble pas que la boucle de rattrapage qui oblige à faire un cursus de licence complet afin de pouvoir repasser le concours soit la solution la plus appropriée.
Si votre objectif était de ne pas rallonger un cursus déjà très long, force est de constater qu’il est loin d’être atteint.
Vous avez l’occasion, madame la ministre, de donner corps au consensus existant sur la réforme des études de santé, ne la gâchez pas ! Nous partageons le diagnostic : afflux croissant d’étudiants, taux d’échec élevé, difficultés de réorientation, qualité insuffisante des enseignements, bachotage, recours à des officines privées… Nous partagions l’essentiel des objectifs du rapport Bach, bien que moins ambitieux que les conclusions du rapport Debouzie, mais nous ne partageons ni la méthode, ni les modalités de mise œuvre.
Cette proposition de loi pose plus de questions qu’elle n’en résout et conduit notre Haute Assemblée à donner un blanc-seing au Gouvernement. Nous devrions être associés à la préparation des décrets afin de pouvoir nous prononcer en toute connaissance de cause. C’est pourquoi nous demandons le report de son application.