Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous l’avez tous entendu ce soir, les orateurs sont unanimes pour souligner la nécessité de réformer la première année des études de santé au regard du taux d’échec actuel.
La mise en place d’une telle réforme permettrait, en principe, de faciliter la réorientation des étudiants en situation d’échec, par ailleurs inhérente au principe du numerus clausus qui y est instauré.
Néanmoins, j’aimerais évoquer quelques points problématiques liés à l’article 1er de cette proposition de loi et qui ont trait non seulement aux professions concernées, mais aussi aux modalités de mise en œuvre de cette réforme, lesquelles ne sont que trop peu explicitées.
J’aborderai tout d’abord l’exclusion des futurs kinésithérapeutes dans le projet de première année commune.
Cela risque d’être fortement préjudiciable à cette formation et aux étudiants optant pour cette voie. En effet, qui dit première année commune dit, par définition, tronc commun initial et donc apprentissage d’une culture commune de ce qu’est la santé. Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’évoquer cela lors de l’examen du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.
Or les kinésithérapeutes sont actuellement 70 % à se présenter au concours commun par le biais de l’actuelle première année de médecine, et ce mode de sélection concerne les deux tiers des instituts de formation en masso-kinésithérapie. Les autres étudiants ont recours à une sélection par concours privé, qui relève moins d’un « recrutement qualitatif » des étudiants que d’une véritable sélection par l’argent : le coût moyen de ce concours se situe en effet entre 3 500 euros et 4 900 euros par étudiant selon les chiffres avancés par les fédérations, et cela pour une année préparatoire qui, de surcroît, est non validante !
La non-intégration des étudiants kinésithérapeutes au sein de cette première année commune aboutirait donc à une généralisation de ce type de sélection par concours privé, au mépris du principe d’égalité des chances qui doit rester le socle de notre système universitaire républicain.
Un second élément de préoccupation concerne ceux que nous avons évoqués à maintes reprises : les étudiants en pharmacie, qui restent encore nombreux à nous faire part de leurs inquiétudes face à la réforme qui leur est proposée. L’intégration de cette formation au système LMD et la mise en place d’une culture commune des études de santé présentent, sans conteste, de nombreux atouts. Mais cela ne doit pas se faire dans la précipitation, ni au prix d’une perte de qualité des enseignements spécifiques dispensés.
En effet, les étudiants en pharmacie bénéficient actuellement en première année d’un enseignement qui accorde une large place aux travaux dirigés : environ 30 % en moyenne d’enseignements dirigés dispensés, contre 10 % en première année de médecine. Les enseignants des facultés de pharmacie sont astreints à enseigner un minimum de 192 heures équivalents TD, alors qu’aucun quota n’est imposé aux enseignants des facultés de médecine.
Et pourtant, l’arrêté du 18 mars 1992 qui organise le premier cycle des études médicales impose bien un minimum de 30 % d’enseignements dirigés et pratiques. Mais cela n’est malheureusement pas appliqué dans un nombre croissant d’universités, du fait notamment d’effectifs trop élevés pour pouvoir l’assurer et du manque d’enseignants et de locaux.
La mise en place de cette année commune telle qu’elle est énoncée ne ferait donc qu’amplifier ce phénomène, au risque d’une sévère dégradation des conditions d’enseignement. Les étudiants en pharmacie passeraient ainsi d’un enseignement en petit groupe de 30 ou de 40 élèves à des cours réunissant de 150 à 200 étudiants, les effectifs globaux risquant, quant à eux, de tripler, voire de quadrupler.
Comment donc, dans de telles conditions, réussir à maintenir et à préserver la qualité de l’enseignement dont ils bénéficient actuellement ?
Cette forte hausse des effectifs va inévitablement accroître le recours aux enseignements sur supports numériques et aux téléconférences, induisant une perte de pédagogie évidente pour les étudiants en pharmacie, mais aussi pour l’ensemble des étudiants concernés par la réforme. En effet, – mais est-il utile de le rappeler, notamment aux enseignants comme moi qui sont présents ici ce soir ? – la richesse de l’interaction entre professeurs et élèves peut difficilement être compensée par le monologue d’une silhouette projetée dans un amphithéâtre surpeuplé.
Il est donc primordial de continuer à promouvoir un enseignement à taille humaine, qui est essentiel à la richesse et à la maîtrise des enseignements dispensés.
Et sans la mise à disposition des moyens financiers et humains nécessaires liée aux modalités de la réforme – moyens qui restent trop peu définis au regard du contenu de cet article –, celle-ci, prise en l’état, devrait clairement, je le crains, accroître les risques de gâchis humain qu’elle visait initialement à réduire.