Intervention de Claude Bérit-Débat

Réunion du 11 février 2009 à 21h00
Création d'une première année commune aux études de santé — Article 1er

Photo de Claude Bérit-DébatClaude Bérit-Débat :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous discutons ce soir nous donne une bonne occasion, je crois, de répondre pleinement aux défis que représentent les premières années d’études de santé.

Ce n’est pas seulement parce qu’il convient de se mettre en conformité avec le processus de Bologne. C’est aussi parce qu’une réforme du système de sélection des étudiants qui seront appelés à nous soigner demain est indispensable.

Cette future loi est nécessaire également, car il convient d’adapter les modalités de réorientation des étudiants collés aux concours. Ce concours, qui est un véritable couperet, ne s’intègre que très imparfaitement aux nécessités d’une scolarité dans l’enseignement supérieur que nous avons organisée autour de trois diplômes : licence, master et doctorat, organisation dite « LMD ».

Cependant, cette proposition de loi n’est pas satisfaisante, car elle ne répond pas convenablement aux défis qu’elle est censée résoudre. On ne peut que regretter, d’ailleurs, que certaines propositions du rapport Bach qui allaient pourtant dans le bon sens, comme la mise en place du tutorat, n’aient pas été retenues.

Il ressort aussi de ce texte que l’on ne rompra pas, finalement, avec une certaine forme d’élitisme des carrières médicales. Plus précisément, c’est bien parce qu’il ne s’intéresse pas à la mise en œuvre pratique de la réforme proposée qu’il ne pourra pas remplir son objectif de réduction de l’échec en première année.

Alors que c’est d’une réorganisation complète de la filière que l’on aurait besoin, on se retrouve à gérer une crise qui ne conduira, en fin de compte, qu’à reproduire des mécanismes de sélection sociale et non à les supprimer.

J’en reviens à l’article 1er, que nous examinons actuellement.

Le premier point que j’évoquerai a trait à l’information des étudiants, qui peut paraître accessoire. Cependant, celui qui sait comment fonctionne le système universitaire français sait aussi qu’il s’agit d’une arme redoutable.

Les mieux informés sont aussi ceux qui réussissent le mieux. L’une des grosses lacunes de cette proposition de loi, c’est justement de ne pas mettre en place un système d’information en amont de la première année.

Là encore, on peut s’étonner de l’absence de dispositions permettant de rendre obligatoire la diffusion de ces informations. Le rapport Bach développait l’idée d’un entretien préalable entre l’étudiant potentiel et le corps universitaire. C’est une initiative qu’il aurait fallu encourager et développer.

Un second point de l’article 1er se révèle très insatisfaisant : il s’agit de l’harmonisation entre les différentes spécialités exigée par l’année unique. Un étudiant en pharmacie bénéficie d’un nombre d’heures de travaux dirigés substantiellement plus élevé qu’un élève en première année de médecine.

Sur quels critères l’harmonisation s’effectuera-t-elle ? La proposition de loi ne répond pas à cette question. En réalité, elle évacue, de fait, la question des moyens pour la mise en œuvre de cette réforme.

Il n’est en effet pas du tout équivalent, dans le cadre de l’enseignement d’une discipline, de favoriser les enseignements en cours magistraux plutôt que les cours de travaux dirigés. Les premiers sont indiscutablement moins pédagogiques que les seconds et produisent un « écrémage » – pardonnez-moi l’expression – bien plus important, si tel est le but recherché, dès lors qu’ils ne sont pas accompagnés des travaux dirigés correspondants.

Plus globalement, et on retrouve la question des moyens, cette réforme, toute nécessaire soit-elle, est faite a minima. Pour le dire clairement, les moyens ne suivent pas.

Afin de prévenir l’échec en première année, de nombreuses facultés ont mis en place des systèmes de tutorat. Le tuteur, généralement un étudiant en quatrième ou cinquième année, quelquefois un chargé de TD, a la possibilité d’établir un lien individuel avec l’étudiant et, donc, de mieux cerner ses difficultés et de l’aider à les surmonter.

Dans une discipline où l’échec en première année est abyssal – de l’ordre de 80 %, il faut s’en souvenir –, on aurait pu s’attendre à ce que cette proposition de loi reprenne une mesure aussi simple et efficace que le tutorat.

Tel n’est pas le cas, et on ne peut que le déplorer, d’autant plus que le tutorat aurait pu constituer un outil pour lutter contre la sélection par l’argent engendrée par la première année.

En ne retenant pas la solution du tutorat, on laisse les officines de cours privés occuper un terrain où tous les étudiants ne peuvent lutter à armes égales. Les prix qu’elles pratiquent viennent d’être rappelés par ma collègue du groupe socialiste.

En l’occurrence, ce choix ne fait qu’illustrer, une fois de plus, la place dévalorisée que l’on accorde à l’université dans notre pays.

Quoi que vous en disiez, madame la ministre, la réforme de l’enseignement supérieur n’atteindra jamais son objectif si l’on ne se décide pas à donner des moyens humains et financiers pour favoriser la réussite des étudiants.

On retrouve la même logique avec l’organisation matérielle des travaux dirigés. Comment peut-on penser que des travaux dirigés à cinquante, soixante, voire soixante-dix étudiants peuvent remplir leur fonction ?

Au-delà de vingt-cinq étudiants par TD, on ne peut déjà plus concilier soutien aux élèves en difficulté et approfondissement pour les élèves les plus à l’aise. Comment croyez-vous que l’on y parvienne à cinquante ?

Ce qui manque à cette proposition de loi, c’est donc l’assurance que les moyens financiers et humains indispensables à sa bonne réalisation seront mis en place.

Je prendrai un autre exemple, celui des cours magistraux. Les amphithéâtres sont bondés et les étudiants sont tellement nombreux qu’on a de plus en plus recours à la vidéoconférence.

Si cela peut paraître moderne, ce n’est pas forcément ce qui se fait de mieux du point de vue pédagogique. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec une étudiante en première année de médecine qui suivait certains cours en vidéoconférence : elle s’en serait volontiers passée !

Je souhaiterais donc que l’on envisage cette réforme de la première année des études de santé non pas sous le seul prisme des spécificités de ces disciplines médicales, mais aussi en étudiant la manière dont cette première année commune que l’on va créer s’intègre dans le système universitaire français et européen.

On va créer une filière commune à certaines disciplines médicales. Mais on va aussi mettre en place des modes de fonctionnement qui se calqueront davantage sur ceux des autres disciplines, notamment le droit, l’histoire ou l’économie.

C’est pour cette raison que j’ai voulu insister sur l’organisation pratique de cette première année. En effet, il n’est pas interdit de s’inspirer de ce qui se fait dans les autres disciplines ni de prendre la mesure des défis qu’elles rencontrent.

Si on veut démocratiser l’accès aux études de santé, il ne suffit pas de permettre aux étudiants de s’inscrire, il faut aussi leur donner les moyens de réussir.

Ce sont ces opportunités que cette proposition de loi ne met pas en place. Ce sont ces opportunités que nous essaierons d’inscrire dans la loi, mes chers collègues, au travers des amendements que nous vous proposerons au cours de la discussion.

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