Intervention de Roland Courteau

Réunion du 25 mars 2010 à 9h00
Tarif réglementé d'électricité — Adoption d'une proposition de loi, amendement 2010

Photo de Roland CourteauRoland Courteau :

La transposition en droit français a été effectuée par la loi du 7 décembre 2006 relative au secteur de l’énergie, à laquelle, je le rappelle, nous nous étions opposés.

C’est ainsi que, après avoir accepté l’ouverture totale à la concurrence et face à l’instabilité des marchés de l’énergie, se sont multipliées les initiatives visant à préserver les tarifs réglementés, fortement fragilisés par le processus de libéralisation.

Après avoir fait des choix idéologiques, gouvernements et majorités commencent à en mesurer les conséquences. Dès lors, les exceptions à la règle se multiplient : autant de palliatifs et de pansements à la défaillance d’un marché censé réguler, voire faire diminuer et stabiliser les prix ; autant de revirements, de volte-face d’une majorité et de gouvernements successifs.

Après les discours sur les prétendus bienfaits de la concurrence en matière de prix, donc de compétitivité et de pouvoir d’achat, vous n’en finissez pas d’introduire des colmatages pour en arriver à la réversibilité et à la mise en œuvre prochaine d’un droit de tirage sur le nucléaire pour permettre aux concurrents de l’opérateur historique de proposer des prix inférieurs à ceux qui sont actuellement pratiqués.

Tel est l’objet du projet de loi NOME, et ce sur fond de désorganisation totale du secteur de l’énergie, avec la privatisation de Gaz de France et l’ouverture du capital d’EDF ! À ce régime-là, on peut se demander : à quand la privatisation du nucléaire, qui pourrait passer par l’octroi d’un nouvel EPR à GDF-Suez ?

Que de désordres, y compris dans les discours !

Dans le même temps, on apprend que les tarifs réglementés du gaz pour les ménages pourraient être condamnés à disparaître et que le président d’EDF, M. Proglio, à l’instar de son prédécesseur, réclame une hausse des tarifs de l’électricité de 24 % pour 2010 et 2011.

Voilà un peu plus de deux ans, Luc Chatel affirmait encore ici son attachement aux grands principes de l’irréversibilité de l’éligibilité et de la transition progressive vers le marché. En clair, comme cela a déjà été dit, les tarifs réglementés n’étaient considérés que comme une digue « destinée à céder sous les coups de boutoir de la libéralisation européenne ».

Cependant, vous avez vous-même admis, monsieur le rapporteur, lors de l’examen de trois propositions de loi en 2007, que la libéralisation des marchés énergétiques avait produit « des effets pervers » qui devaient « nous inciter à la prudence ». C’était bien de le dire, mais c’était un peu tard.

Que n’avons-nous été écoutés lorsque nous le disions ! Nous avons toujours dit et répété que nous considérions comme fondamental qu’une régulation tarifaire publique soit maintenue, notamment au profit des ménages.

Cette proposition de loi est donc un palliatif, comme le furent les textes adoptés depuis l’ouverture totale du marché. Elle est destinée à combler un vide juridique dans l’attente d’un autre palliatif : le projet de loi relatif à la nouvelle organisation du marché de l’électricité. Ainsi allons-nous de palliatif en palliatif depuis l’ouverture totale du marché de l’énergie. C’est bien un aveu d’échec. Mais passons…

Rappelez-vous notre proposition de loi n° 462 tendant à préserver le pouvoir d’achat des ménages en maintenant les tarifs réglementés de vente d’électricité et de gaz naturel, dont le premier signataire n’était autre que Daniel Raoul, qui fut examinée par le Sénat en 2007 en même temps que les propositions de loi de Ladislas Poniatowski et de Xavier Pintat.

Elle visait à préserver les tarifs réglementés pour les ménages, sans limiter ce droit dans le temps. En fait, nous proposions de permettre aux ménages de bénéficier du tarif réglementé d’électricité en cas de déménagement, y compris lorsque l’occupant précédent avait déjà fait le choix de la concurrence. Nous proposions également d’étendre ce dispositif aux tarifs réglementés de gaz naturel. Destinée à environ 11 millions de foyers, cette proposition de loi avait été acceptée, mais avec la date butoir de 2010.

Nous avions dénoncé le danger bien réel du basculement de certains particuliers dans le secteur tarifaire non réglementé sans qu’ils en aient mesuré les conséquences à terme, à l’instar des entreprises qui sont tombées dans le piège de contrats alléchants.

Enfin, nous avions proposé que les nouveaux sites de consommation de gaz raccordés aux réseaux puissent bénéficier des tarifs réglementés, sans limiter ce droit dans le temps. Là encore, cet amendement ne fut adopté que sous-amendé par le rapporteur lui-même avec la date butoir de juillet 2010.

Faut-il le rappeler, notre objectif, contrairement aux deux autres propositions de loi, n’était pas de favoriser ou de stimuler par cette réversibilité le développement d’une concurrence parée de toutes les vertus. Comme j’ai essayé de l’expliquer, nous n’avons jamais cru aux vertus de la concurrence en matière de baisse des prix. Il s’agissait en fait, pour nous, de préserver autant que faire se peut les tarifs réglementés et donc le pouvoir d’achat des ménages et la liberté de choix.

Notre souci était du même ordre lorsque nous avons défendu un amendement dans le cadre de l’examen du projet de loi de modernisation de l’économie.

Globalement, nous sommes favorables à la proposition de loi de Ladislas Poniatowski, même si les préoccupations qui sous-tendent notre démarche ne sont pas identiques aux siennes.

Nous émettons cependant une réserve. Concernant le gaz, nous souhaitons introduire la réversibilité afin de protéger les consommateurs de l’instabilité des prix. Nous défendrons donc un amendement dont l’objet est d’instaurer pour les ménages un droit à la réversibilité totale des tarifs réglementés de gaz naturel.

Cette demande a été formulée par les associations, mais également, en 2008 et en 2010, par le médiateur national de l’énergie. Nous considérons que le principe de réversibilité pour le gaz permet d’assurer une meilleure protection des consommateurs, qui peuvent être confrontés à des offres mixtes d’électricité et de gaz naturel.

Le problème n’est pas nouveau. Parmi les trois propositions de loi défendues en octobre 2007 au Sénat, seule celle du groupe socialiste proposait la préservation des tarifs réglementés de gaz naturel et ne se limitait pas au secteur de l’électricité.

On nous avait alors rétorqué que seuls 11 millions de consommateurs seraient concernés par le gaz naturel, contre plus de 26 millions pour l’électricité. Tout de même, 11 millions de foyers, ce n’est pas rien ! Il faudrait que l’on nous explique pourquoi les ménages qui se chauffent au gaz ne pourraient pas bénéficier d’un tarif régulé, non soumis aux fréquentes hausses du marché, comme ceux qui se chauffent à l’électricité.

Le second argument généralement invoqué pour s’opposer à la nécessité de préserver les tarifs réglementés et d’instaurer la réversibilité, c’est le fait qu’il n’y aurait plus aujourd'hui de différence entre les tarifs réglementés et les prix libres du marché !

Or les tarifs réglementés constituent un verrou qui évite un alignement sur les prix de marché, volatils et non régulés. Jusqu’à présent, c’est le Gouvernement qui décide, in fine, s’il est opportun d’augmenter le tarif réglementé. En effet, les augmentations demandées par les opérateurs ne sont valables et applicables que si les ministres en charge de l’économie et de l’énergie, après avoir recueilli l’avis de la CRE, ne s’y opposent pas. Bref, c’est le ministre qui a le dernier mot !

Si les tarifs réglementés se sont progressivement alignés sur les prix de marché ces dernières années, c’est précisément parce que le Gouvernement a progressivement cédé aux demandes du groupe GDF, puis du groupe privatisé GDF-Suez.

Aujourd’hui, il semble que le Gouvernement souhaite franchir une étape supplémentaire en abandonnant totalement son pouvoir de décision en matière de fixation des tarifs réglementés de gaz naturel.

La presse s’est fait l’écho, voilà quelques semaines, de certaines dispositions du projet de loi NOME – et ce au moment même où le nouveau contrat de service public entre GDF-SUEZ et l’État venait d’être signé pour la période 2010-2013 – aux termes desquelles les tarifs réglementés seraient déterminés non plus par les ministres mais par GDF-Suez, après approbation de la Commission de régulation de l’énergie.

Ce retrait du politique en matière de fixation des tarifs n’est pas bon pour le pouvoir d’achat. La part consacrée aux dépenses d’énergie dans le budget des ménages n’a pas cessé de croître ces dernières années. Plusieurs études ont par ailleurs montré que la facture énergétique pesait beaucoup plus lourd pour les familles modestes, qui y consacrent 15 % de leur budget, que pour les familles les plus aisées, qui n’y consacrent que 6 % de celui-ci.

Je souhaiterais à présent vous poser quelques questions, monsieur le ministre d’État. Le Gouvernement a-t-il bien l’intention de modifier l’actuelle procédure en matière de fixation des tarifs réglementés de gaz naturel en abandonnant le pouvoir de décision du ministre de l’énergie au profit de la CRE ? Les prix du gaz vont-ils augmenter de 9%, comme le souhaite GDF-Suez ?

Le Gouvernement a-t-il l’intention d’agir de la même manière pour l’électricité et de consacrer le retrait du politique en matière de fixation des tarifs réglementés au profit de la CRE ?

Pour conclure, cette proposition de loi doit permettre, selon son rapporteur, de réaliser la jonction avec le projet de loi NOME. Toute la question sera alors de savoir si la loi NOME apporte les garanties attendues pour assurer le maintien des tarifs réglementés.

En apparence, les discours changent… On nous vante maintenant, ici même, les mérites du tarif réglementé ! Comme le disait Jean-Marc Pastor en 2007, cessons enfin de faire des choix idéologiques pour ensuite revenir en arrière, quelques mois ou quelques années après. Inscrivons-nous dans la durée et le long terme. Y parviendrons-nous ? Je reconnais que j’en doute, tant le spectre du libéralisme se maintient encore et toujours.

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