Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réduction des déficits publics passe nécessairement par l’emploi de trois outils essentiels : un système fiscal performant, à la fois juste et efficace ; un moindre recours à la dépense fiscale ; une juste allocation de la dépense publique.
Utilisés à bon escient, ces trois leviers de l’action publique peuvent permettre de contenir dans des limites raisonnables, tant à court terme qu’à long terme, le déficit public. En soi, celui-ci est loin de constituer une tare, de même que la dette publique n’est pas condamnable a priori. La vraie question est de savoir pourquoi il y a une dette et pourquoi il peut y avoir un déficit budgétaire.
Lors de la discussion en première lecture de ce projet de loi, j’avais indiqué que notre législation fiscale est truffée de mesures de dépense fiscale et d’allégement de l’impôt sur les sociétés, à hauteur de plus de 106 milliards d’euros, soit deux fois le produit net de cet impôt. Ainsi, alors que le taux d’imposition des bénéfices est théoriquement de 33, 33 %, il est en pratique trois fois inférieur, compte tenu des mesures prises pour que le barème ne s’applique pas en totalité. Selon la Cour des comptes et le Conseil des prélèvements obligatoires, les groupes inscrits à la cote du CAC 40 paient en moyenne un impôt sur les sociétés représentant 8 % de leurs bénéfices, c’est-à-dire le taux d’imposition apparent de bien des salariés dans notre pays.
Par ailleurs, les niches sociales coûtent 66 milliards d’euros aux finances publiques, les allégements généraux de cotisations pesant à eux seuls 26 milliards d’euros.
Quand on additionne niches fiscales et niches sociales, on aboutit à un total de 172 milliards d’euros, soit exactement le montant cumulé du déficit budgétaire prévisible cette année et du déficit du régime général de la sécurité sociale.
Les dispositifs les plus coûteux de notre législation sont le régime des sociétés « mère-fille » – 34, 9 milliards d’euros en 2009 –, le régime d’intégration fiscale des groupes –19, 5 milliards d’euros – et le régime dérogatoire des plus-values, qui représente un cadeau de 6 milliards d’euros pour les entreprises.
Toutes ces mesures mobilisent l’équivalent du budget de l’enseignement scolaire pour, en définitive, voir Total investir en Birmanie, Renault faire construire ses voitures en Turquie ou en Slovénie, et PSA filialiser l’activité de production d’équipements et mettre en œuvre des plans sociaux !
Les principaux bénéficiaires des allégements généraux de cotisations sociales sont les grandes enseignes de la distribution, qui ont fait du temps partiel imposé leur credo social et de la revente de produits manufacturés importés la source de leurs profits.
On mesure donc clairement l’urgence d’une profonde réforme fiscale et sociale qui aurait comme objectifs prioritaires l’égalité de traitement entre les contribuables, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises, l’efficacité économique, la transparence et la simplicité.
Réduire la dépense fiscale de 3 milliards d’euros pour les années 2012, 2013 et 2014 est très largement insuffisant ! Nous devons procéder à une remise en cause, autrement plus audacieuse que celle qui est prévue par le présent projet de loi, de chaque mesure de dépense fiscale comme de chaque dispositif dérogatoire.
Le crédit d’impôt recherche, tel qu’il a été modifié, a-t-il permis de relancer l’innovation dans les entreprises, petites ou grandes ? A-t-il facilité l’embauche et l’activité de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur, singulièrement de l’enseignement scientifique ? Si tel n’est pas le cas, il faut revoir cette mesure.
Le régime d’intégration des groupes permet-il le maintien des activités industrielles dans notre pays ? Favorise-t-il le développement des investissements productifs et de l’emploi ? Si tel n’est pas le cas, il faut en redéfinir les conditions d’application, et s’interroger notamment sur les prix de transfert, véritables trappes à optimisation fiscale.
Les exonérations de cotisations sociales, racket subi par le monde du travail, ont-elles un effet positif sur la création d’emplois, sur la lutte contre les inégalités salariales entre hommes et femmes, sur la promotion interne des salariés, sur leur évolution salariale ? Si tel n’est pas le cas et si la persistance de ces dispositifs participe à l’écrasement des salaires, à la non-reconnaissance des diplômes et qualifications initiales ou acquises, il faut les remettre en cause.
De fait, quelles sont l’utilité et l’efficacité d’un dispositif général d’allégement des cotisations coûtant 26 milliards d’euros et permettant de préserver 800 000 emplois, soit un coût de 30 000 euros par an et par emploi ? D’autant que l’on nous annonce que le SMIC mensuel brut va être fixé à 1 365 euros, c’est-à-dire que les cotisations sociales patronales seront en principe inférieures à 6 000 euros annuels.
Je pourrais aussi m’arrêter sur d’autres mesures fiscales, notamment sur celles qui figuraient dans le « paquet fiscal » de l’été 2007, tel l’allégement des droits de succession, devenu un outil d’optimisation fiscale pour les plus hauts patrimoines, les donations étant pour ceux-ci l’arme de la défiscalisation !
Nous pourrions, d’ailleurs, nous interroger sur le sens des débats fiscaux, budgétaires et financiers les plus récents, qui ont donné le jour à de nombreux nouveaux régimes dérogatoires, et mesurer combien coûtent aujourd’hui ces dispositifs aux comptes publics.
Nous savons, par exemple, ce que coûte l’auto-liquidation du bouclier fiscal : 142 millions d’euros en 2009. Nous savons ce que coûte le bouclier fiscal : 678 millions d’euros en 2010, montant d’ailleurs majoré des coûts de trésorerie découlant de l’absence de recettes correspondante.
Puisqu’il est établi que ce dispositif n’a pas atteint les objectifs assignés et qu’il est quasiment certain que ses principaux bénéficiaires n’ont pas fait preuve de la plus grande transparence dans leur déclaration fiscale, il est plus que temps de le supprimer.
Cette suppression ne doit pas être conditionnée. Le bouclier fiscal doit être supprimé parce qu’il est coûteux et inefficace, socialement et économiquement. Rien ne justifie, quel que soit l’angle d’approche adopté, que cette mesure doive être accompagnée de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF.
On pourrait s’interroger de la même manière sur le dispositif « ISF-PME », rectifié dans le projet de loi de finances pour 2011. Ce dispositif ne vise pas à permettre aux redevables de l’ISF d’exprimer leur attachement particulier aux petites entreprises en leur apportant concours et capital ! Il n’est qu’une niche de plus destinée à alléger l’ISF, dont on se sert à concurrence de la somme nécessaire pour échapper autant que possible à cet impôt.
Cette revue de détail de la dépense fiscale, véritable cancer de la gestion publique qu’il convient de combattre, constitue l’un des axes forts de toute réforme fiscale. Cette réforme doit être portée par une exigence simple : faire que notre système de prélèvements sociaux et fiscaux encourage une allocation de la ressource en faveur de l’emploi, de la croissance, de l’activité économique réelle et cesse par conséquent de donner la priorité aux impératifs financiers en favorisant les rentes de situation et en s’attachant avant tout à assurer la rémunération la plus élevée possible du capital.
Relever le taux de la cotisation patronale destinée au financement des retraites, pour ne donner qu’un exemple tiré de l’actualité, ce n’est pas accroître les prélèvements assis sur le travail ; ce n’est que rendre aux salariés, sous forme de « salaire socialisé », la valeur que leur travail permet de créer !
Quelques centaines de millions d’euros de cotisations sociales de plus sont bien préférables à tant de milliards d’euros gaspillés dans des raids boursiers hasardeux ou dans la rémunération excessive des actionnaires, tout simplement parce que quelques millions d’euros de cotisations sociales de plus, ce sont autant de prestations sociales supplémentaires.
Nous sommes ainsi clairement favorables à l’instauration de nouveaux prélèvements sociaux pour financer la dépendance, des prélèvements mutualisés et collectifs, solidaires, en dehors de tout recours à un dispositif assurantiel qui ne réglera rien et conduira à l’émergence de nouvelles poches de pauvreté au sein des générations les plus âgées.
Mes chers collègues, est-il préférable que notre système fiscal et social privilégie les placements boursiers, les opérations stratégiques capitalistiques, ou qu’il permette de financer une retraite à 85 % du SMIC pour tous, la couverture optimale des dépenses de santé des ménages, la juste réparation des dommages causés par les accidents du travail et les maladies professionnelles ?
Telle est notre position de fond sur le devenir de nos prélèvements obligatoires, et donc sur la programmation des finances publiques. Pour l’heure, tout ce que prévoit la loi de programmation des finances publiques, dans sa rédaction issue de la commission mixte paritaire, conduira à vassaliser les politiques publiques nationales aux impératifs de la construction européenne, singulièrement à la stabilité de l’euro. Réduction des déficits et de la dépense publique, gel des ressources allouées aux collectivités locales font partie du credo monétariste qui sous-tend cette loi de programmation. Ainsi, on va continuer de supprimer des emplois publics et inciter les collectivités territoriales à faire de même.
Cette loi de programmation est également inspirée par la croyance dans le retour à une croissance plus forte, par la grâce de la seule bonne volonté des acteurs économiques que constituent les entreprises. Investissement en progression, créations d’emplois et croissance de l’activité devraient ainsi découler naturellement des choix opérés par l’État sur le plan de la fiscalité comme sur celui des cotisations sociales.
Mais qui peut croire que ce qui n’a pas marché jusqu’à présent va soudain produire des résultats positifs ? Depuis trop longtemps, nous empilons incitations fiscales sur exonérations sociales sans que cela ait la moindre efficacité durable sur le niveau de l’activité.
Ce qui est à craindre, c’est que cette loi de programmation des finances publiques ne trouve pas la moindre application dans les années à venir, d’une part parce qu’elle porte sur des exercices budgétaires postérieurs à la présente législature, et que l’on ne peut écarter la possibilité d’une alternance politique promouvant une autre conception générale des politiques publiques, d’autre part parce que l’amélioration prévue des comptes publics est conditionnée par des hypothèses de croissance peu réalistes.
Quels sacrifices faudra-t-il alors imposer à notre peuple pour tenir les objectifs fixés ? Nous ne voulons pas de cette austérité de longue haleine pour la France, qui risque fort d’exténuer notre économie et nos concitoyens.
Dès maintenant, nous pouvons penser que la présente loi de programmation aura le même avenir que la précédente, c’est-à-dire qu’elle sera abrogée.