Monsieur le ministre, bien que l'expression soit, à force d'être trop souvent utilisée, pour une part galvaudée, je n'hésite pas à vous le dire : la séance de ce jour est historique.
C'est, en effet, la première fois sous la Ve République que le Sénat consacre une aussi large part à l'examen de la loi de « reddition des comptes ». Notre assemblée manifeste ainsi sa volonté d'être un acteur à part entière de la réforme de l'État et conforte son rôle irremplaçable au sein des institutions de la République au service de notre pays et de nos concitoyens.
Nous pouvons toutes et tous en être légitimement fiers.
Grâce à une très large concertation et à un vaste consensus suprapartisan de toutes les commissions et de la quasi-totalité des groupes, l'examen du projet de loi de règlement pour 2006 vient donc couronner le premier exercice budgétaire entièrement conçu, pensé et exécuté sous l'empire de la LOLF, cette nouvelle Constitution financière qui doit tant à la volonté du Parlement !
Nous marquons ainsi notre conviction que la loi de règlement définitif du budget est bien la loi de la vérité budgétaire, et c'est pourquoi, monsieur le ministre, il convient désormais de l'appeler « loi portant règlement des comptes et rapport de gestion ».
Au surplus, monsieur le ministre, nous anticipons les nouvelles procédures d'examen des lois de finances, que vous appelez de vos voeux, ainsi qu'en témoigne la lettre que vous avez adressée à M. le président du Sénat, la semaine dernière.
Nous pensons, en effet, que, pour rendre plus efficace le travail parlementaire et assumer pleinement nos prérogatives budgétaires, il faut désormais consacrer moins de temps à I'examen des projets de loi de finances initiale et, en contrepartie, beaucoup plus de temps à l'examen des lois de règlement.
Tous les travaux de contrôle conduits par les rapporteurs spéciaux et par les rapporteurs pour avis doivent être soumis aux ministres, comme aux responsables des programmes. Les constatations, les analyses, les réflexions résultant des multiples contrôles sur pièces et sur place fondent des convictions et aboutissent à des propositions concrètes pour réformer l'État, mettre un terme à ses dysfonctionnements et maîtriser la dépense publique.
Cette approche, j'en suis persuadé, sonne le glas des propos généraux dépourvus de conséquences pratiques. La gesticulation fait place à l'action et à la performance.
Nous avons ainsi pu faire passer aux fruits budgétaires la promesse des fleurs !
Pour la première fois, nous avons su analyser en détail l'exécution budgétaire au regard du critère de performance. Nous avons ainsi mis sous tension les responsables de l'exécutif afin que vivent les dispositions de l'article XV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui a déjà été cité et selon lequel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
Je veux saluer l'engagement des quarante-trois rapporteurs spéciaux de la commission des finances qui, au-delà des clivages partisans, ont, chacun, apporté leur contribution à cet édifice en passant au crible les trente-six missions budgétaires. Le volumineux rapport dont vous disposez en atteste.
Je tiens également à remercier mes collègues présidents de commission, ainsi que l'ensemble de nos collègues, qu'ils soient rapporteurs pour avis ou membres des groupes, qui ont animé les neuf auditions de ministres auxquelles nous avons procédé la semaine dernière dans la formation dite de « petit hémicycle ». Mieux que tous les discours, il s'agit là de la démonstration de notre capacité à trouver des formes alternatives et renouvelées à la « sacro-sainte » discussion publique dans notre salle de séance plénière.
Je veux aussi exprimer notre gratitude aux trois ministres qui vont se succéder cet après-midi et ce soir, à vous, bien sûr, monsieur le ministre, mais également à Mme Alliot-Marie, qui va nous rejoindre tout à l'heure, ainsi qu'à Mme Albanel, afin de répondre aux nombreuses et pertinentes questions qui se posent sur l'exécution d'un budget, celui de 2006, dont ils n'ont pas toujours eu la charge, mais qu'ils assument. C'est là une manifestation éclatante de la continuité républicaine à laquelle nous sommes, nous sénateurs, si attachés.
Vous me permettrez de me réjouir tout spécialement de l'établissement de la situation patrimoniale de l'État et, pour la première fois, de sa certification - certes, avec des réserves, mais il ne pouvait pas en être autrement - de sincérité par la Cour des comptes. Depuis dix ans, je l'appelais de mes voeux.
C'est le fruit d'un effort admirable de l'ensemble des administrations gestionnaires, en particulier de la Direction générale de la comptabilité publique. Il s'agit d'un premier pas décisif vers une autre culture.
Nous-mêmes allons devoir désormais nous faire une opinion sur chacun des éléments du patrimoine de l'État, en ce qui concerne tant les biens immobiliers, les stocks, les créances et la trésorerie que les dettes les plus diverses.
Une attention spéciale sera portée à l'évaluation des conséquences des risques encourus, notamment des contentieux tels ceux qui sont relatifs au non-respect de nos engagements, par exemple en matière environnementale.
Il y a trois semaines, notre collègue Fabienne Keller, rapporteur spécial de la mission « Environnement et développement durable », nous a rendus spécialement attentifs aux conséquences des retards dans l'application des directives environnementales.
Eh bien, il faudra désormais, monsieur le ministre, que chaque ministre, à la fin de l'exercice, au moment de l'établissement du bilan, évalue les risques encourus du fait des contentieux en cours.
C'est, pour nous, un nouveau champ de contrôle et il nous appartient de relever ce formidable défi.
La ligne de partage est, certes, sans doute difficile à établir entre les provisions et les engagements hors bilan, monsieur le ministre, et il m'arrive de penser que certains engagements hors bilan pourraient, sans enfreindre les exigences de sincérité des comptes, apparaître au passif du bilan de l'État sous forme de provisions ; je pense, en particulier, aux engagements de pensions et retraite.
Si nous voulons procéder à une bonne et saine pédagogie à l'endroit de nos concitoyens, il importe de présenter sans fard la situation patrimoniale de l'État afin que chacun puisse mieux comprendre l'urgence et la nécessité des réformes.
Mais ce bilan ne serait pas complet si j'oubliais, d'une part, de mentionner le rôle essentiel joué par la Cour des comptes dans l'exercice de sa mission constitutionnelle d'assistance au Parlement et, d'autre part, de saluer notre rapporteur général, Philippe Marini, qui, avec le talent que nous lui connaissons et lui envions, sait en présenter la brillante et lumineuse synthèse.
Monsieur le ministre, il est clair que nous tendons vers la lucidité et je ne doute pas que le Gouvernement ait toute la volonté nécessaire pour engager lucidement les importantes réformes qui nous attendent depuis trop longtemps.