Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai par retracer brièvement l’historique de cette proposition de loi.
En 2007, celle-ci est adoptée par le Sénat à l’occasion d’une niche parlementaire. Deux ans durant, je m’efforce d’obtenir son examen par l'Assemblée nationale. En vain ! À deux reprises, j’interroge Mme la ministre de l’intérieur ainsi que vous-même, monsieur le secrétaire d’État : il m’est répondu qu’il faut au préalable consulter l’Assemblée de Corse. Mais comment obtenir l’avis de cette dernière ? Ainsi que l’a rappelé M. le rapporteur, la loi du 22 janvier 2002, adoptée à l’initiative du Gouvernement Jospin, prévoit de solliciter l’avis de l’Assemblée de Corse, non pas seulement sur les projets de loi, mais aussi sur les propositions de loi. Toutefois, si la procédure est parfaitement claire s’agissant des projets de loi – il s’agit d’une simple saisine –, un grand vide juridique subsiste en ce qui concerne les propositions de loi, pour lesquelles nous n’avons jamais rien prévu.
Combien de temps fallait-il encore attendre ? Le facteur déclenchant de mon action a été, si j’ose dire, le rapport Balladur, qui juge que le mode de scrutin de l’Assemblée de Corse doit être immédiatement modifié, en attendant des réformes de plus grande ampleur. En effet, selon la formule du Conseil constitutionnel, aucun motif d’intérêt général ne justifie que l'Assemblée de Corse ne puisse pas dégager de majorité, à l’instar de ce qui se passe dans les autres régions.
Je me dis que des arguments vont inévitablement se développer sur le fameux délai d’un an, même si ce n’est pas un principe constitutionnel. C’est pourquoi, en mars 2009, un an avant les élections régionales, je fais déposer une motion par l’intermédiaire d’un groupe qui exprime ma sensibilité politique à l’Assemblée de Corse. J’obtiens, en guise de réponse, des cris d’orfraie ! Dans un souci de juridisme extraordinaire, certains membres de cette assemblée estiment que celle-ci n’a pas été saisie de façon officielle. Mais, à mon sens, rien n’empêchait l’Assemblée de Corse de se prononcer sur le fond, à défaut de respecter strictement une procédure qui, j’insiste encore une fois sur ce point, n’existe pas.
Je remarque d’ailleurs que cette assemblée réagit toujours de manière excessive. Les vingt-deux membres qui ont quitté l’hémicycle avec pertes et fracas auraient sans doute été mieux inspirés de proposer des modifications. La réalité, c’est que les groupes Corse Nouvelle, Corse active, Pour une Corse de progrès, Corse social-démocrate, Corsica Libera, ainsi que le groupe Communiste Républicain et Citoyen, qui comprennent en moyenne, 2, 8 membres par groupe, n’expriment pas nécessairement une sensibilité politique particulière. Ils existent parce que la loi électorale permet à une liste d’avoir quelques élus même si elle n’a recueilli que peu de voix, et parce que le règlement de l’Assemblée de Corse a dû tirer les conséquences de l’éparpillement des sièges et, par conséquent, des groupes. Je ne reproche pas à ces groupes d’exister, mais il est impératif de sortir de cette situation.
Le texte a, enfin, pu être examiné par l'Assemblée nationale. Sans m’étendre trop longuement sur la procédure, je voudrais très brièvement évoquer le seul problème de fond qui subsiste.
Comme Bernard Frimat en a été d’accord, ma proposition était rédigée de façon à ne pas détricoter complètement la loi Joxe. C’est par prudence, afin que l’Assemblée de Corse ne me reproche pas de vouloir créer un nouveau statut, que je m’en suis tenu à quelques dispositions relativement secondaires. Du temps de M. Joxe, alors que des nationalistes qui, aujourd’hui, poursuivent d’autres carrières, étaient reçus en visiteurs du soir, on a voulu faire du parlementarisme rationalisé, on a voulu que les conseillers exécutifs soient issus des bancs de l’Assemblée de Corse. On a voulu imiter les ministres, sauf que ces derniers peuvent retrouver leur siège au Parlement, tandis que les conseillers exécutifs sont considérés comme démissionnaires de leur mandat de conseiller de l’Assemblée de Corse. Si, par accident, une vacance du président du conseil exécutif se produisait, la majorité, étriquée aujourd’hui, serait demain explosive : 45 membres sur 51 !
Revenons-en au fond. Le débat qui s’est tenu à l’Assemblée de Corse a permis de dégager, au fond, l’idée que la prime de six était un peu courte – « petits bras » si je puis dire –, compte tenu de l’expérience des vingt dernières années démontrant que la majorité relative atteinte par le groupe le plus important se situait généralement entre seize et dix-huit sièges. Si nous en ajoutons six, cela nous mène à vingt-trois. Si nous en ajoutons neuf, nous pouvons espérer arriver à vingt-six.
L’Assemblée nationale a eu la sagesse de porter cette prime à neuf. Cette garantie apportée, je ne voyais plus d’inconvénient à conserver un seuil de fusion de 5 %, ni à ramener de 7 % à 5 % le seuil de maintien au second tour. Il m’apparaît en effet naturel que des partis nationaux, tels que les partis socialiste ou communiste, ou des sensibilités nationalistes puissent être représentés à l’Assemblée de Corse, même s’ils ne recueillent que peu de suffrages.
L’objectif de ma proposition était d’éliminer autant que faire se peut les candidatures fantaisistes ou personnelles compte tenu de l’étroitesse du corps électoral. Je regrette que l'Assemblée nationale ait conservé le seuil de maintien au second tour à 7 %, et que certains de nos collègues se soient abrités derrière le formalisme juridique pour ne pas prendre part au vote. Pourtant, certains d’entre eux étaient d’accord avec nous, comme M. Paul Giacobbi – je ne parle pas de M. Simon Renucci, qui, pour sa part, avait un avis plus nuancé. J’ai regretté qu’ils n’engagent pas, au sein de l'Assemblée nationale, un débat afin de revenir sur la position de la commission des lois.
À présent, nous ne pouvons plus rien modifier. Cela repousserait le vote définitif à l’automne prochain, et l’on nous reprocherait de nous livrer à des manipulations. Pourtant, et je le dis avec beaucoup de solennité, les accusations dont nous faisons l’objet sont stériles et dérisoires, car nous avons passé l’âge des manipulations électorales, si tant est que nous nous y soyons un jour livré !
Lorsque l’on élabore une loi électorale, on ne sait jamais à qui elle profitera. En l’occurrence, je ne sais pas ce qui se passera demain. Des recompositions interviendront, bien sûr, mais ceux qui s’agitent le plus aujourd’hui, qui passent leur temps à aboyer en permanence au nom d’un respect pointilleux de la règle, en seront peut-être les premiers bénéficiaires ! Sans aller jusqu’à parler d’imposture, il y a beaucoup d’hypocrisie dans ces protestations. N’insultons pas l’avenir. Il n’y a plus rien à ajouter à ce texte : il faut le voter.