La séance est ouverte à seize heures.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du 25 juin 2009, le texte de la décision du Conseil constitutionnel relative à la conformité à la Constitution de la résolution modifiant le règlement du Sénat que nous avons adoptée le 2 juin 2009.
Acte est donné de cette communication.
Cette décision du Conseil constitutionnel sera annexée au compte rendu de nos débats de ce jour.
En conséquence, les modifications de notre règlement qui ont été déclarées conformes à la Constitution sont applicables. C’est pourquoi M. le président du Sénat a demandé que le règlement soit publié dès aujourd’hui et que chacun d’entre vous en reçoive un exemplaire.
Sourires
Nouveaux sourires.
M. le président du Sénat a reçu de M. le président de l’Assemblée de la Polynésie française par lettre en date du 19 juin 2009 :
- le rapport n° 19-2009 et l’avis n° 2009-11 A/APF du 18 juin 2009 sur le projet de loi autorisant la ratification de la Convention n° 173 de l’Organisation internationale du travail sur la protection des créances des travailleurs en cas d’insolvabilité de leur employeur ;
- le rapport n° 22-2009 et l’avis n° 2009-12 A/APF du 18 juin 2009 sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 184 de l’Organisation internationale du travail sur la sécurité et la santé dans l’agriculture ;
- le rapport n° 43-2009 et l’avis n° 2009-13 A/APF du 18 juin 2009 sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure ;
- le rapport n° 18-2009 et l’avis n° 2009-14 A/APF du 18 juin 2009 sur le projet de loi autorisant la ratification de la Convention n° 170 de l’Organisation internationale du travail sur les produits chimiques ;
- le rapport n° 20-2009 et l’avis n° 2009-15 A/APF du 18 juin 2009 sur le projet de loi autorisant la ratification de la Convention n° 187 de l’Organisation internationale du travail concernant le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail ;
- le rapport n° 21-2009 et l’avis n° 2009-16 A/APF du 18 juin 2009 sur le projet de loi autorisant la ratification de la Convention n° 174 de l’Organisation internationale du travail sur la prévention des accidents industriels majeurs ;
- le rapport n° 41-2009 et l’avis n° 2009-17 A/APF du 18 juin 2009 sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde pour le développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire ;
- le rapport n° 42-2009 et l’avis n° 2009-18 A/APF du 18 juin 2009 sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela sur l’emploi des personnes à charge des membres des missions officielles ;
- le rapport n° 40-2009 et l’avis n° 2009-19 A/APF du 18 juin 2009 sur le projet de loi autorisant l’approbation de la convention de partenariat entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire (ensemble un protocole administratif et financier relatif aux moyens de la coopération).
Acte est donné de cette communication.
M. le président du Sénat a reçu, en application de l’article L. 135 du code des postes et des communications électroniques, le rapport d’activité pour 2008 de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il sera transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, ainsi qu’à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, et sera disponible au bureau de la distribution.
(Texte de la commission)
L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, tendant à modifier le mode de scrutin de l’élection de l’Assemblée de Corse et certaines dispositions relatives au fonctionnement de la collectivité territoriale de Corse (nos 476, 480 et 479).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, nous partageons tous le même constat : la vie politique corse a gagné en stabilité.
La proposition de loi qui est soumise à votre examen et dont l’initiative revient à un membre éminent de la Haute Assemblée, le sénateur Nicolas Alfonsi, que je tiens à saluer, vise à conforter cette évolution en adaptant le fonctionnement de l’Assemblée de Corse.
Je tiens également à saluer le travail remarquable qui a été effectué par la commission des lois, en particulier par le rapporteur, M. Patrice Gélard.
Vous avez adopté cette proposition de loi en première lecture voilà deux ans, le 13 février 2007.
L’Assemblée nationale n’avait pu s’en saisir immédiatement du fait des scrutins nationaux de 2007.
La proposition de loi a fait l’objet d’une délibération favorable de l’Assemblée de Corse, le 16 mars 2009. On peut discuter à l’infini des modalités de sa saisine ; il n’empêche qu’elle a eu connaissance de la proposition et en a approuvé le contenu.
L’Assemblée nationale l’a adoptée en première lecture, le 18 juin dernier, dans une version légèrement modifiée. C’est pourquoi elle revient devant vous aujourd’hui.
La modification du mode de scrutin de l’Assemblée de Corse est souhaitée par les élus. Elle est préconisée par le rapport du Comité pour la réforme des collectivités locales, présidé par M. Edouard Balladur. Elle implique une modification du code électoral et du code général des collectivités territoriales.
La modification du code électoral est utile s’agissant de l’élection des membres de l’Assemblée de Corse.
Pour favoriser l’émergence de majorités stables, le premier alinéa vise à rapprocher les seuils du droit commun.
Il s’agit, d’abord, du seuil nécessaire pour qu’une liste puisse se maintenir au second tour, seuil qui est porté de 5 % à 7 % des suffrages exprimés au premier tour. Il est de 10 % pour l’élection des conseillers régionaux depuis la loi du 11 avril 2003.
Il s’agit aussi d’instaurer un seuil de 5 % des suffrages exprimés au premier tour pour que des listes puissent fusionner entre les deux tours. Ce seuil est identique à celui qui est en vigueur pour l’élection des conseillers régionaux. Les deux seuils de maintien et de fusion sont donc distincts.
L’Assemblée nationale n’a pas adopté l’amendement visant à ramener le seuil de maintien au second tour à 5 %, qui aurait alors été le même que le seuil de fusion ; vous êtes donc saisis des mêmes seuils que ceux qui figuraient dans le texte initial de votre collègue M. Nicolas Alfonsi.
Pour assurer une stabilité institutionnelle comparable à celle des autres conseils régionaux, le deuxième alinéa augmente la prime accordée à la liste arrivée en tête.
Vous aviez voté une prime de six sièges à la liste arrivée en tête des élections. L’Assemblée nationale a porté cette prime à neuf sièges. C’est la seule modification qu’elle a apportée à votre texte initial.
Je rappelle que le dispositif de droit commun consiste en une prime de 25 % à la liste arrivée en tête. Or le dispositif adopté par la commission des lois ne représente qu’une prime de 17, 5 % sur la totalité des cinquante et un sièges de l’Assemblée de Corse. Mais, au total, ces modifications permettront de se rapprocher du droit commun du scrutin régional, tout en réservant un sort plus favorable aux petites formations.
Pour ce qui concerne la modification du code électoral, le Gouvernement est favorable au texte de la proposition de loi tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale.
Améliorer le fonctionnement de l’Assemblée de Corse exige aussi de modifier le code général des collectivités territoriales. L’articulation entre le mandat de conseiller exécutif et celui de conseiller de l’Assemblée de Corse doit être clarifiée.
Un délai d’un mois est proposé pour considérer comme démissionnaire un conseiller de l’Assemblée de Corse élu au conseil exécutif. Cette disposition se rapproche de celle de la loi organique concernant les parlementaires devenus ministres. Dans ces cas-là, les députés devenus ministres ne siègent plus au Parlement, mais ce sera, en fait, la seule différence.
Comme il s’agit d’une question sensible relevant de la séparation des pouvoirs, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Un délai d’un mois est proposé pour pourvoir un siège vacant de conseiller exécutif. Aujourd’hui, les dispositions actuelles ne prévoient aucun délai, ce qui peut être préjudiciable au bon fonctionnement de l’exécutif de l’Assemblée de Corse. Par conséquent, le Gouvernement est favorable à l’instauration d’un délai.
Telle est, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, l’économie générale de la proposition de loi qui vous est soumise.
Le bon fonctionnement des institutions démocratiques en Corse relève de notre responsabilité collective. Cette proposition de loi devrait permettre de renforcer la stabilité politique dans l’île en en favorisant la bonne gouvernance. C’est pourquoi le Gouvernement soutient ce texte et souhaite qu’il soit voté dans une version conforme à celle qui a été adoptée par l’Assemblée nationale.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le 16 janvier 2007, notre collègue Nicolas Alfonsi, à la suite d’amendements qu’il avait proposés sur un texte antérieur, déposait, sur une suggestion de la commission des lois, une proposition de loi modifiant certaines dispositions relatives au fonctionnement de la collectivité territoriale de Corse.
Cette proposition était adoptée par notre assemblée le 13 février 2007.
Des élections nationales n’ont pas permis à l’Assemblée nationale de s’en saisir, avez-vous dit, monsieur le secrétaire d'État. Nous souhaiterions toutefois que les propositions de loi adoptées par le Sénat ne traînent pas trop sur le bureau de l’Assemblée nationale, d’autant que nous sommes, nous, plutôt bons princes et même beaux joueurs, puisque la Haute Assemblée examine rapidement les propositions de loi qui émanent de l’Assemblée nationale !
Par la suite, notre collègue Nicolas Alfonsi interviendra par deux fois auprès du Gouvernement pour permettre l’inscription de cette proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Elle ne l’a été que le 18 juin 2009.
La proposition de loi vise donc à améliorer le mode de scrutin de l’Assemblée de Corse afin de mettre un terme au phénomène d’éclatement des listes et de permettre la constitution de véritables majorités. Rappelons qu’actuellement l’Assemblée de Corse compte cinquante et un membres, répartis en dix groupes, dont trois ne comptent que deux membres – il est vrai que l’on pourrait également modifier le règlement de cette assemblée.
L’article 1er de la proposition de loi prévoit, après amendement de l’Assemblée nationale, de porter de trois sièges – soit 6 % - à neuf sièges – soit 17, 5 % très exactement - la prime attribuée à la liste arrivée en tête. Il fixe à 7 % des suffrages exprimés le seuil donnant droit aux listes de se présenter au second tour et prévoit que les fusions de listes peuvent s’opérer lorsqu’elles atteignent au moins 5 % des suffrages exprimés.
L’article 2 instaure un délai de un mois pour permettre à un conseiller de l’Assemblée de Corse élu au conseil exécutif de Corse de choisir entre son mandat de conseiller de l’Assemblée de Corse et celui de conseiller exécutif. Il prévoit également les modalités de remplacement des conseillers décédés ou démissionnaires.
Par rapport au texte initialement adopté par le Sénat, l’Assemblée nationale a prévu de relever la prime majoritaire de six à neuf sièges. La commission des lois approuve cette modification, qui lui paraît prolonger la volonté exprimée par le Sénat en première lecture.
Vous avez également abordé, monsieur le secrétaire d’État, deux autres questions à propos de cette proposition de loi.
En premier lieu, il faut rappeler que le V de l’article L. 4422-16 du code général des collectivités territoriales rend obligatoire la consultation de l’Assemblée de Corse sur les projets et les propositions de loi comportant des dispositions spécifiques à la Corse. Mais si la procédure est bien fixée par la pratique pour les projets de loi, il n’en est pas de même en ce qui concerne les propositions de loi. Aussi, grâce également à notre collègue Nicolas Alfonsi, l’Assemblée de Corse s’est autosaisie le 16 mars 2009 et a donné un avis favorable par vingt-neuf voix contre deux, vingt élus ne prenant pas part au vote. Dès lors, l’exigence de la consultation était remplie. À l’avenir, comme nous l’avons d’ailleurs demandé à plusieurs reprises, il faudra sans doute réfléchir à une saisine systématique de l’Assemblée de Corse en cas de proposition de loi relative à cette collectivité.
En second lieu, malgré la marge de sécurité que nous avions prise – cette proposition de loi a été déposée voilà plus de deux ans –, la loi va être adoptée moins d’un an avant les élections régionales. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°2008-563 DC du 21 février 2008 relative à la loi facilitant l’égal accès des femmes et des hommes au mandat de conseiller général, a toutefois estimé qu’aucun principe fondamental reconnu par les lois de la République n’interdit de modifier les règles électorales dans l’année précédant les élections. Il est préférable de ne pas le faire, mais, en l’occurrence, tout le monde était prévenu, et cette proposition de loi ne change pas radicalement le mode de scrutin.
En conséquence, et afin de permettre l’application de cette loi nécessaire pour améliorer le fonctionnement de l’Assemblée de Corse dès les prochaines élections régionales, la commission des lois propose d’adopter conforme le texte issu de l’Assemblée nationale.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai par retracer brièvement l’historique de cette proposition de loi.
En 2007, celle-ci est adoptée par le Sénat à l’occasion d’une niche parlementaire. Deux ans durant, je m’efforce d’obtenir son examen par l'Assemblée nationale. En vain ! À deux reprises, j’interroge Mme la ministre de l’intérieur ainsi que vous-même, monsieur le secrétaire d’État : il m’est répondu qu’il faut au préalable consulter l’Assemblée de Corse. Mais comment obtenir l’avis de cette dernière ? Ainsi que l’a rappelé M. le rapporteur, la loi du 22 janvier 2002, adoptée à l’initiative du Gouvernement Jospin, prévoit de solliciter l’avis de l’Assemblée de Corse, non pas seulement sur les projets de loi, mais aussi sur les propositions de loi. Toutefois, si la procédure est parfaitement claire s’agissant des projets de loi – il s’agit d’une simple saisine –, un grand vide juridique subsiste en ce qui concerne les propositions de loi, pour lesquelles nous n’avons jamais rien prévu.
Combien de temps fallait-il encore attendre ? Le facteur déclenchant de mon action a été, si j’ose dire, le rapport Balladur, qui juge que le mode de scrutin de l’Assemblée de Corse doit être immédiatement modifié, en attendant des réformes de plus grande ampleur. En effet, selon la formule du Conseil constitutionnel, aucun motif d’intérêt général ne justifie que l'Assemblée de Corse ne puisse pas dégager de majorité, à l’instar de ce qui se passe dans les autres régions.
Je me dis que des arguments vont inévitablement se développer sur le fameux délai d’un an, même si ce n’est pas un principe constitutionnel. C’est pourquoi, en mars 2009, un an avant les élections régionales, je fais déposer une motion par l’intermédiaire d’un groupe qui exprime ma sensibilité politique à l’Assemblée de Corse. J’obtiens, en guise de réponse, des cris d’orfraie ! Dans un souci de juridisme extraordinaire, certains membres de cette assemblée estiment que celle-ci n’a pas été saisie de façon officielle. Mais, à mon sens, rien n’empêchait l’Assemblée de Corse de se prononcer sur le fond, à défaut de respecter strictement une procédure qui, j’insiste encore une fois sur ce point, n’existe pas.
Je remarque d’ailleurs que cette assemblée réagit toujours de manière excessive. Les vingt-deux membres qui ont quitté l’hémicycle avec pertes et fracas auraient sans doute été mieux inspirés de proposer des modifications. La réalité, c’est que les groupes Corse Nouvelle, Corse active, Pour une Corse de progrès, Corse social-démocrate, Corsica Libera, ainsi que le groupe Communiste Républicain et Citoyen, qui comprennent en moyenne, 2, 8 membres par groupe, n’expriment pas nécessairement une sensibilité politique particulière. Ils existent parce que la loi électorale permet à une liste d’avoir quelques élus même si elle n’a recueilli que peu de voix, et parce que le règlement de l’Assemblée de Corse a dû tirer les conséquences de l’éparpillement des sièges et, par conséquent, des groupes. Je ne reproche pas à ces groupes d’exister, mais il est impératif de sortir de cette situation.
Le texte a, enfin, pu être examiné par l'Assemblée nationale. Sans m’étendre trop longuement sur la procédure, je voudrais très brièvement évoquer le seul problème de fond qui subsiste.
Comme Bernard Frimat en a été d’accord, ma proposition était rédigée de façon à ne pas détricoter complètement la loi Joxe. C’est par prudence, afin que l’Assemblée de Corse ne me reproche pas de vouloir créer un nouveau statut, que je m’en suis tenu à quelques dispositions relativement secondaires. Du temps de M. Joxe, alors que des nationalistes qui, aujourd’hui, poursuivent d’autres carrières, étaient reçus en visiteurs du soir, on a voulu faire du parlementarisme rationalisé, on a voulu que les conseillers exécutifs soient issus des bancs de l’Assemblée de Corse. On a voulu imiter les ministres, sauf que ces derniers peuvent retrouver leur siège au Parlement, tandis que les conseillers exécutifs sont considérés comme démissionnaires de leur mandat de conseiller de l’Assemblée de Corse. Si, par accident, une vacance du président du conseil exécutif se produisait, la majorité, étriquée aujourd’hui, serait demain explosive : 45 membres sur 51 !
Revenons-en au fond. Le débat qui s’est tenu à l’Assemblée de Corse a permis de dégager, au fond, l’idée que la prime de six était un peu courte – « petits bras » si je puis dire –, compte tenu de l’expérience des vingt dernières années démontrant que la majorité relative atteinte par le groupe le plus important se situait généralement entre seize et dix-huit sièges. Si nous en ajoutons six, cela nous mène à vingt-trois. Si nous en ajoutons neuf, nous pouvons espérer arriver à vingt-six.
L’Assemblée nationale a eu la sagesse de porter cette prime à neuf. Cette garantie apportée, je ne voyais plus d’inconvénient à conserver un seuil de fusion de 5 %, ni à ramener de 7 % à 5 % le seuil de maintien au second tour. Il m’apparaît en effet naturel que des partis nationaux, tels que les partis socialiste ou communiste, ou des sensibilités nationalistes puissent être représentés à l’Assemblée de Corse, même s’ils ne recueillent que peu de suffrages.
L’objectif de ma proposition était d’éliminer autant que faire se peut les candidatures fantaisistes ou personnelles compte tenu de l’étroitesse du corps électoral. Je regrette que l'Assemblée nationale ait conservé le seuil de maintien au second tour à 7 %, et que certains de nos collègues se soient abrités derrière le formalisme juridique pour ne pas prendre part au vote. Pourtant, certains d’entre eux étaient d’accord avec nous, comme M. Paul Giacobbi – je ne parle pas de M. Simon Renucci, qui, pour sa part, avait un avis plus nuancé. J’ai regretté qu’ils n’engagent pas, au sein de l'Assemblée nationale, un débat afin de revenir sur la position de la commission des lois.
À présent, nous ne pouvons plus rien modifier. Cela repousserait le vote définitif à l’automne prochain, et l’on nous reprocherait de nous livrer à des manipulations. Pourtant, et je le dis avec beaucoup de solennité, les accusations dont nous faisons l’objet sont stériles et dérisoires, car nous avons passé l’âge des manipulations électorales, si tant est que nous nous y soyons un jour livré !
Lorsque l’on élabore une loi électorale, on ne sait jamais à qui elle profitera. En l’occurrence, je ne sais pas ce qui se passera demain. Des recompositions interviendront, bien sûr, mais ceux qui s’agitent le plus aujourd’hui, qui passent leur temps à aboyer en permanence au nom d’un respect pointilleux de la règle, en seront peut-être les premiers bénéficiaires ! Sans aller jusqu’à parler d’imposture, il y a beaucoup d’hypocrisie dans ces protestations. N’insultons pas l’avenir. Il n’y a plus rien à ajouter à ce texte : il faut le voter.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, dans quelques minutes, le Sénat va sans doute adopter sans modification le texte issu de l'Assemblée nationale.
Je voudrais tout d’abord saluer la persévérance de Nicolas Alfonsi. Si l'on reconstitue l’histoire, il faut dire qu’il avait abordé le problème, non pas en 2008, mais bien avant, à l’occasion d’un projet de loi relatif à l’égalité homme-femme.
Le ministre de l’époque lui avait suggéré d’en faire une proposition de loi, proposition de loi qu’il a en effet déposée et que le Sénat a adoptée le 13 février 2007.
C’était il y a vingt-huit mois ! C’est tout de même très long, comme Jean-Jacques Hyest le disait tout à l’heure.
Monsieur le secrétaire d’État, il y a manifestement un problème. Si chacune des deux assemblées adopte des propositions de loi, sans que l’autre en tienne compte dans la gestion de son calendrier, on ne risque peut-être pas, certes, l’encombrement législatif, sinon celui des lois en cours de gestation
Sourires
Ainsi, bien des difficultés qui se posent aujourd’hui n’existeraient pas si des mesures avaient été prises en temps utile. Or c’est au Gouvernement qu’il revenait de le faire.
Vous le rappeliez, monsieur Alfonsi, ainsi que vous-même, monsieur le secrétaire d’État, le sort de cette proposition de loi a été évoqué deux fois : la première fois, dans une question d’actualité au Gouvernement à laquelle Mme Alliot-Marie, alors ministre de l’intérieur, avait répondu qu’elle était bien consciente du problème – nous connaissons suffisamment ce type d’engagements pour les apprécier à leur juste valeur ; la seconde fois, en mars 2009, l’occasion d’une séance de questions orales du mardi matin au cours de laquelle M. Alfonsi était intervenu. Vous étiez d’ailleurs au banc du Gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, pour lui répondre. Vous aviez alors déclaré que vous étiez dans l’attente des conclusions du comité Balladur. Vous aviez également évoqué la nécessité de parvenir à un consensus.
La première de ces conditions a été réalisée, même si je ne sais pas ce que deviendra le rapport Balladur, qui traite d’un sujet dont la complexité, nous ne le savons que trop, est très grande. En ce qui concerne la seconde, votre réponse était subtile, puisque vous disiez qu’il nous appartiendrait « d’estimer si cette réforme présente un caractère d’urgence ». Vous laissiez ainsi supposer que nous en arriverions à la solution qui est retenue aujourd’hui.
Je regrette tout de même le chemin chaotique qui a été suivi, parce que Nicolas Alfonsi avait posé le problème de façon claire ; l’Assemblée de Corse aurait pu être saisie de manière officielle et elle aurait rendu son avis, de manière tout aussi officielle, dans un délai d’un mois. Cela nous aurait évité certaines allégations plus ou moins fondées sur la vérité !
Néanmoins, l’Assemblée de Corse s’est finalement exprimée sur le sujet et nous en arrivons aujourd’hui à ce que le Sénat soit saisi en seconde lecture d’un seul article, puisque le débat a été fermé sur la question des seuils de fusion et sur celle des seuils de maintien.
J’ai bien entendu ce qu’a dit Nicolas Alfonsi, et je crois que sa suggestion, qui n’a finalement pas été retenue par l’Assemblée nationale, aurait pu conduire à l’apaisement.
Aujourd’hui, nous n’avons plus la possibilité juridique de revenir sur cette question. Mais on peut encore revenir sur celle du découpage des circonscriptions électorales, monsieur le secrétaire d’État ! Cela doit d’ailleurs vous changer d’être cet après-midi au Sénat, sans vos ciseaux et dans une atmosphère beaucoup plus sereine, afin de traiter du problème de la Corse…
Sourires
Nouveaux sourires.
Quel repos de l’âme ce doit être pour vous que de ne pas avoir à vous livrer à cet exercice, au sujet duquel la publication, dans le Journal officiel daté de samedi dernier, de l’avis public de la Commission consultative sera pour nous tous matière à longues méditations. Les uns loueront votre talent, les autres, vraisemblablement, s’en désoleront ! Je crains, à cet égard, que les louanges ne viennent en majorité de la droite et que les critiques ne soient plutôt le fait de la gauche…
M. Bernard Frimat. Un grand quotidien du soir a d’ores et déjà avancé quelques analyses sur les chiffres. Mais là n’est pas le sujet aujourd’hui et j’ai comme le sentiment que nous aurons l’occasion d’en reparler, monsieur le secrétaire d’État !
Sourires
Je reviendrai donc sur le seul article qui reste en discussion et qui touche au problème de la prime majoritaire. Je rappellerai simplement, comme je l’avais fait en première lecture, que nous sommes d’accord sur le fait que les assemblées doivent être stables et que, dès lors, la proportionnelle intégrale, qui favorise la représentation des nombreuses formations de petite taille, pose problème.
La prime constitue donc un élément de stabilité. Mais je suis tout de même obligé de vous faire remarquer une nouvelle fois que votre position sur cette question est très circonstancielle.
Ainsi, en Corse, la prime est actuellement fixée à 6 %. Nicolas Alfonsi avait proposé de l’établir à 12 %, l’Assemblée nationale l’a portée à 18 %. On pourrait en déduire qu’il s’agit là d’un chiffre optimal. Mais dans les régions métropolitaines, elle est de 25 %...
Et si nous nous tournons vers Saint-Barthélemy, chez notre collègue Michel Magras, elle est de 33 %. À Saint-Pierre-et-Miquelon, on est même allé jusqu’à 50 %. Il s’agissait là de répondre à une revendication très forte du député Gérard Grignon, ce qui confirme ce que disait Nicolas Alfonsi : on ne sait jamais à qui profite la réforme !
Il y a donc quatre niveaux de prime variant de 18 % à 50 %. Et, pour être vraiment complet, j’ajouterai un autre exemple…
Certes, il y a les conseils municipaux, pour lesquels la prime est fixée à 50 %, mais c’est le cas de la Polynésie que je voulais évoquer.
Une prime existait, mais l’un de vos prédécesseurs, monsieur le secrétaire d’État, dans un gouvernement partageant la même orientation politique, a décidé de la supprimer pour… apporter la stabilité à la Polynésie ! On a donc instauré ce que Jean-Jacques Hyest a appelé la « déprime », c'est-à-dire une prime à zéro pour cent.
Sourires
Il me semble, monsieur le secrétaire d’État, que vous ne pouvez être que sensible à ce manque d’unité ! Bref, si nous pouvons être d’accord sur la nécessité d’une prime majoritaire, nous ne pouvons approuver le fait qu’elle soit à géométrie variable, selon votre bon plaisir.
Par conséquent, pour les mêmes raisons que celles qui avaient motivé ce vote en première lecture, le groupe socialiste s’abstiendra sur ce texte. M. Jean Desessard défendra quant à lui la position de nos collègues Verts.
Nous souhaitons évidemment la stabilité de l’Assemblée de Corse, mais il ne faut pas prendre pour de la stabilité ce qui tient quelquefois simplement au comportement responsable de quelques personnes qui ont l’intelligence de ne pas provoquer l’instabilité.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’objectif de ce texte est complexe. Il vise à concilier deux impératifs en apparence contradictoires : permettre que la diversité et la richesse des opinions en Corse soient représentées au sein de l’Assemblée territoriale de l’île, tout en veillant, ce qui est normal, à ce que cette assemblée puisse remplir sa mission et dégager la majorité nécessaire à toute prise de décision.
La proposition de loi de notre collègue Nicolas Alfonsi, qui nous est soumise en seconde lecture, après avoir été adoptée le 18 juin dernier par l’Assemblée nationale, nous permettra, j’en suis sûr, de relever ce défi.
Le mode de scrutin actuel de l’assemblée territoriale de Corse date de 1991. Il a failli être modifié en conséquence du projet de nouvelle organisation institutionnelle qui avait été soumis aux électeurs de Corse en 2003.
Les règles qui régissent l’élection de l’Assemblée de Corse sont simples. Pour se présenter au second tour, il suffit d’obtenir 5 % des suffrages exprimés, alors qu’un résultat de 10 % est requis pour les élections aux autres assemblées régionales.
Aucun minimum n’est exigé pour pouvoir fusionner. Dès lors qu’une liste a été candidate au premier tour, elle peut fusionner avec toute liste présente au second tour.
Enfin, une prime majoritaire de trois sièges est accordée à la liste qui remporte les élections, ce qui, au regard des 51 sièges de l’Assemblée territoriale, ne suffira pas à stabiliser la majorité, de quelque bord politique qu’elle soit. La Corse, dont je suis originaire, est une île où chaque électeur se sent une vocation d’élu !
Cela se traduit inévitablement, comme le disait tout à l’heure M. Hyest, par le fait que, dans cette assemblée comptant 51 sièges, vous avez dix groupes politiques, dont trois ne comportent que deux membres !
Pour toutes ces raisons, notre collègue Alfonsi a proposé d’instaurer un seuil minimum, fixé à 5 %, pour pouvoir fusionner, et un autre, établi à 7 %, pour pouvoir se présenter au second tour. Il souhaitait également porter de trois à six le nombre de sièges attribués en vertu de la prime majoritaire.
Nos collègues députés ont apporté une seule modification au texte issu de la Haute Assemblée : ils ont fixé à neuf sièges la prime majoritaire accordée à la liste arrivée en tête. Cette prime sera donc multipliée par trois si le texte est adopté en l’état.
Ce texte vise à conforter la stabilisation de la vie politique corse en modifiant le fonctionnement de l’Assemblée territoriale. La modification introduite correspond à une attente de tous les élus ; elle a d’ailleurs été approuvée par l’Assemblée de Corse le 16 mars 2009. C’est, de plus, à la demande de ses élus que cette idée a été reprise dans le rapport du comité Balladur sur la réforme des collectivités locales.
Si des progrès importants ont été réalisés ces dernières années, le suivi de la vie politique montre que nous pouvons encore avancer. L’occasion nous en est offerte aujourd’hui.
La présente proposition de loi peut être considérée comme courageuse quand on connaît la Corse, car elle va à l’encontre de beaucoup d’intérêts particuliers, qui priment très souvent sur l’intérêt général.
Elle est également nécessaire, car elle tend à rétablir une certaine équité : au nom de quoi nos concitoyens qui vivent en Corse n’auraient-ils pas le droit de bénéficier d’institutions aussi stables que celles qui existent dans les autres régions françaises ?
Elle est nécessaire, enfin, parce que des situations de paralysie et d’opacité ont été créées par le mode de scrutin actuellement en vigueur.
Pour finir, je citerai ce qu’a écrit Jean-Jacques Rousseau à propos de la Corse : « J’ai quelque pressentiment qu’un jour cette petite île étonnera l’Europe. » Il ne disait pas cela parce que Napoléon Bonaparte allait y naître et remodeler quelque peu la France, mais parce que la constitution corse, votée par des représentants de l’île en novembre 1755 à la Cunsulta di Corti et rédigée en italien, est souvent considérée comme la première constitution du monde moderne, bien qu’elle soit relativement inconnue, éclipsée par la constitution des États-Unis toujours en vigueur, qui fut promulguée en 1787 et qu’elle a inspirée.
Elle fut initiée par Pascal Paoli. Celui-ci avait demandé à Jean-Jacques Rousseau de la rédiger. Le texte bénéficia donc des réflexions du philosophe. Je rappelle aussi à ceux d’entre vous qui aiment l’histoire qu’elle avait été précédée d’une première constitution corse, votée au couvent de Saint-Antoine de la Casabianca en janvier 1735.
Jean-Jacques Rousseau, qui est tout de même un des théoriciens de la démocratie dans laquelle nous vivons, disait en substance que la démocratie, c’est une voix de majorité qui devient la majorité de tous.
Cette voix de majorité entraîne ici la prime de neuf élus. Tel est l’esprit de ce texte et voilà la raison pour laquelle le groupe Union centriste le votera.
Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Nicolas Alfonsi est destinée à modifier le mode de scrutin de l’élection à l’Assemblée de Corse.
Je voudrais dire d’emblée que l’opposition à ce texte, que nous avons exprimée ici en première lecture, et qui le fut à l’Assemblée nationale par la voix de notre collègue Michel Vaxès, demeure toujours aussi forte tant ce texte remet en cause, selon nous, les principes démocratiques que sont la concertation avec les élus et le pluralisme.
Tout d’abord, il est nécessaire de rappeler que l’obligation de consultation de l’Assemblée de Corse n’a pas été respectée. La loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse a étendu aux propositions de loi comportant des dispositions spécifiques à la Corse la nécessité de consulter l’Assemblée de Corse.
L’article L. 4422–16 du code général des collectivités territoriales, qui réservait cette prérogative aux seuls projets de loi, a donc été modifié en ce sens.
Pourtant, lorsque le Sénat a examiné en première lecture cette proposition de loi en février 2007, l’Assemblée de Corse n’avait pas été consultée. Ce n’est que le 16 mars dernier qu’elle a adopté une motion, présentée par François Dominici, sur la proposition de modification du scrutin actuel de l’élection à l’Assemblée de Corse.
Certes, on peut ne pas vouloir s’étendre à l’infini sur ce sujet, mais qu’il nous soit permis de dire, d’une part, que l’adoption d’une motion par l’Assemblée de Corse ne saurait être une consultation au sens de la loi, d’autre part, que les conditions dans lesquelles a été adoptée cette motion sont contestables, puisque, si elle a bien été adoptée par vingt-neuf voix contre deux, il faut rappeler que vingt élus n’ont pas pris part au vote, ceux-ci ayant quitté l’assemblée pour manifester leur opposition.
Vous-même, monsieur le secrétaire d'État, répondant à une question orale de notre collègue Nicolas Alfonsi le 31 mars dernier, vous notiez l’existence d’une majorité, tout en ajoutant qu’il vous semblait alors difficile, dans ces conditions, « de conclure à un véritable consensus. »
Vous avez par ailleurs rappelé que toute modification du régime électoral de l’Assemblée de Corse ne peut intervenir moins d’un an avant le renouvellement de cette dernière, conformément à la tradition républicaine. Pourtant, c’est bien ce qui va se produire, les élections régionales ayant lieu dans moins d’un an, en mars 2010.
Enfin, la motion adoptée par l’Assemblée de Corse portait sur la proposition de loi adoptée par le Sénat, qui fixait la prime majoritaire à six sièges, au lieu de trois actuellement.
Or l’Assemblée nationale a modifié cette prime pour la porter à neuf ; l’Assemblée de Corse s’est donc prononcée sur un texte qui n’existe plus aujourd’hui !
Ces trois raisons font que n’ont été respectés ni le principe de consultation de l’Assemblée de Corse, tant sur le fond que sur la forme, ni le principe républicain selon lequel on ne peut modifier un mode de scrutin dans l’année qui précède une élection.
C’est d’ailleurs ce mépris des règles démocratiques qui a conduit Michel Vaxès et Jean-Claude Sandrier, au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine de l’Assemblée nationale, à demander le report de l’examen du texte par le Parlement, demande qui a été rejetée.
Une dernière raison motive notre rejet de cette proposition de loi : le nouveau mode de scrutin qu’elle vise à instaurer, en réalité, n’est destiné qu’à mettre fin au pluralisme, qui caractérise pourtant l’Assemblée de Corse.
Notre rapporteur, Patrice Gélard, le dit lui-même dans son rapport : il appelle à une « rationalisation » du mode de scrutin de cette assemblée, estimant que celle-ci, caractérisée par l’éclatement de groupes politiques qui la composent, ne disposera pas d’instruments suffisants pour garantir l’émergence d’une majorité forte en son sein.
L’Assemblée de Corse est actuellement élue selon un mode de scrutin à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. Aucun seuil de fusion des listes entre les deux tours n’est fixé, le seuil pour qu’une liste se maintienne au second tour est fixé à 5 % des suffrages exprimés, et une prime majoritaire de trois sièges est accordée à la liste arrivée en tête des suffrages.
La proposition de loi vise à modifier ces trois règles applicables au mode de scrutin. Dans sa version initiale, elle fixait la prime majoritaire à six sièges, portait le seuil d’accès au second tour à 7 % et instaurait un seuil de fusion des listes pour le second tour de 5 %.
S’ils ont approuvé la fixation de ces seuils, les députés de la majorité ont néanmoins décidé de porter la prime majoritaire à neuf sièges. Ainsi, de façon totalement injustifiable, la prime majoritaire est triplée, alors que le seuil de maintien au second tour a déjà été relevé et qu’un seuil fixé à 5 % a été créé pour la fusion des listes.
Nous avions exprimé notre opposition à la version initiale de la proposition de loi ; à la lecture du texte issu de l’Assemblée nationale, celle-ci n’en est que renforcée.
La combinaison des seuils de maintien au second tour, de fusion des listes et de la nouvelle prime majoritaire renforcera le fait majoritaire et aura pour conséquence, contrairement à ce que vous affirmez, monsieur le secrétaire d'État, d’écarter les petites formations politiques. Mais n’est-ce pas là votre objectif ?
Pourtant, M. Gélard reconnaît lui-même que la population corse est particulièrement attachée au pluralisme. Avec cette proposition de loi, le Parlement et le Gouvernement organisent tout simplement son enterrement.
Vous renoncez au principe démocratique de l’expression pluraliste au sein de l’Assemblée de Corse afin d’assurer l’hégémonie d’une seule formation politique. Ce n’est pas notre conception de la démocratie, et je ne crois pas que cela soit non plus celle des Corses, eux qui ont l’habitude de s’investir dans la vie de leur île.
Mais pourtant, c’est bien votre objectif, à en juger par l’attitude d’Ange Santini, président UMP de l’Assemblée de Corse : le 15 juin dernier, voyant qu’il n’obtiendrait pas la majorité sur son projet de plan d’aménagement et de développement durable, il l’a purement et simplement retiré de l’ordre du jour de l’assemblée.
Cette décision, qui traduit encore une fois une curieuse conception de la démocratie, a provoqué la colère de nombreux élus, toutes tendances politiques confondues.
La modification du mode de scrutin permettra, à l’avenir, d’éviter ce genre d’incident et, plus généralement, toute contestation au sein de l’Assemblée de Corse.
Cette proposition de loi remet donc en cause ce qui a fait la spécificité de la Corse jusqu’à aujourd’hui, qui était garantie par son statut particulier. Par conséquent, nous maintenons notre opposition déterminée à cette proposition de loi, et ce d’autant que l’Assemblée nationale en a aggravé les termes.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en l’absence de représentant, au sein de cette assemblée, d’I Verdi Corsi, je défendrai le point de vue des écologistes sur cette proposition de loi.
Cela étant, nous avons eu la chance que l’un des nôtres soit élu député européen lors du dernier scrutin, à savoir François Alfonsi, que vous connaissez, mon cher collègue, puisqu’il est maire d’une commune qui n’est pas très éloignée de la vôtre.
Sourires.
La question du mode de scrutin et de la répartition des sièges à l’Assemblée de Corse est une question politique sensible, qui mérite d’être examinée avec sérieux et dans un esprit de dialogue et d’ouverture envers l’ensemble des sensibilités politiques de l’île.
Aussi, avant d’aborder le fond de cette proposition de loi, je souhaiterais revenir moi aussi sur les conditions de la navette parlementaire.
Je m’étonne de la précipitation…
Eh oui !
Donc, je m’étonne de la précipitation avec laquelle cette proposition de loi a été inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée. En, effet, ce texte, initiative de notre collègue Nicolas Alfonsi, a été examiné en première lecture au Sénat le 13 février 2007 !
Cette proposition de loi était tombée aux oubliettes. Deux années sont-elles donc nécessaires pour examiner un texte concernant la Corse ?
Mais, à quelques mois des prochaines élections territoriales, la question de la répartition des sièges à l’Assemblée de Corse refait surface !
Comme l’ont souligné vingt-trois conseillers de l’Assemblée de Corse dans un courrier adressé à tous les députés, cette modification du mode de scrutin, à quelques mois de l’échéance électorale, « constitue une violation caractérisée des usages démocratiques les plus élémentaires ».
De plus, les élus territoriaux n’ont pas été saisis de cette réforme, alors que la loi prévoit explicitement que « l’Assemblée de Corse est consultée sur les projets et propositions de loi ou de décret comportant des dispositions spécifiques à la Corse ». C’est bien le cas ici !
Pourtant, ce n’est pas le temps qui a manqué depuis 2007 pour soumettre cette question à l’Assemblée de Corse !
Vous faites le maximum pour que ce texte soit rapidement voté : vous l’inscrivez à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le 18 juin, puis le transmettez au Sénat en moins d’une semaine – voilà pourquoi je parle de précipitation –, afin qu’il soit adopté conforme avant la fin de la session ordinaire.
Les sénatrices et les sénateurs Verts aimeraient que d’autres textes d’une importance bien plus grande, tel le projet de loi pénitentiaire, soient inscrits aussi rapidement à l’ordre du jour ! §
Cette réforme va porter un coup très dur à l’expression de la démocratie en Corse. Déjà, en 2007, ma collègue Alima Boumediene-Thiery avait dénoncé une réforme qui tendait à « réduire très fortement les possibilités d’expression de la diversité politique en Corse ».
Avec le passage de six à neuf sièges de la prime accordée à la liste arrivée en tête, l’Assemblée nationale aggrave encore cet état de fait, renforçant la bipolarisation et les clans qui se partagent le pouvoir sur l’île de Beauté.
À cet égard, je voudrais saluer ma collègue Marie-Christine Blandin, qui, sans prime majoritaire, sans majorité, sans recourir au « 49-3 » régional, a magnifiquement présidé une région difficile, la région Nord–Pas-de-Calais, et dont les projets écologistes prémonitoires avaient vingt ans d’avance sur leur temps. Ma chère collègue, je rends hommage à votre brio !
Sourires
Nouveaux sourires.
Alors, que l’on ne nous dise pas qu’il est nécessaire de disposer d’une majorité stable et qu’il faut accorder des primes importantes aux listes arrivées en tête !
Le rehaussement des seuils pour le maintien et la fusion des listes au second tour, adopté sans modification par l’Assemblée nationale, n’a pas d’autre but que d’exclure du champ politique plusieurs sensibilités représentatives de l’opinion corse.
Ma conviction est que cette mesure est dangereuse pour la démocratie en Corse et qu’elle pourrait conduire, contrairement à ce que certains pensent, à une profonde déstabilisation de la société corse. Si les nationalistes ne sont pas représentés, cela pose un problème. Ce ne sont pas des petites listes qui se présentent pour se faire plaisir, c’est tout un courant politique de l’île qui risque de ne pas être représenté.
En outre, l’examen de cette proposition de loi coïncide avec le retrait-surprise du projet de plan d’aménagement et de développement durable de la Corse, le PADDUC, qui est loin de faire l’unanimité dans l’île et qui serait, en l’état, repoussé par la majorité de l’Assemblée de Corse. Or c’est l’ensemble des formations politiques minoritaires, dont les écologistes, des syndicats et des associations de défense de l’environnement, tous opposés au PADDUC, qui ont permis qu’une réelle prise de conscience ait lieu dans la société corse sur ce projet qui risque de défigurer l’île de Beauté en permettant d’augmenter les espaces constructibles sur un des derniers littoraux protégés en Méditerranée.
Si cette proposition de loi était votée, il serait à craindre que la diversité des points de vue sur de tels sujets ne puisse plus s’exprimer au sein de l’Assemblée de Corse, tout comme la diversité politique est aujourd’hui menacée à l’Assemblée nationale avec le projet de redécoupage des circonscriptions législatives.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez sans doute lu les communiqués de presse publiés par les Verts à ce sujet. Nous vous remercions de faire disparaître leurs circonscriptions, mais nous n’insisterons pas… Vous maniez non plus les ciseaux, mais le sécateur !
Ces petits arrangements avec la démocratie sont inacceptables, et les sénatrices et sénateurs Verts s’opposeront à l’adoption de cette proposition de loi.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
Je rappelle que, aux termes de la nouvelle rédaction de l’article 48, alinéa 5, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets et propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pas encore adopté un texte identique.
En conséquence sont en principe irrecevables les amendements remettant en cause les articles votés conformes ou ceux qui sont sans relation directe avec les dispositions restant en discussion.
I. - À la première phrase du premier alinéa et aux deuxième et troisième phrases du deuxième alinéa de l'article L. 366 du code électoral, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « neuf ».
II. - §
Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 1, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, M. Muller et Mme Voynet, est ainsi libellé :
Supprimer le I de cet article.
La parole est à M. Jean Desessard.
Mes chers collègues, je constate que je suis le seul à avoir déposé des amendements sur ce texte. Certes, nous sommes en deuxième lecture et le vote de l’Assemblée nationale ne nous laisse plus grand-chose à discuter : c’est le jeu de la navette parlementaire ! Toutefois, un point essentiel de cette proposition de loi reste à trancher, celui du niveau de la prime majoritaire attribuée à la liste arrivée en tête aux élections territoriales.
Dans l’état actuel des choses, cette prime est de trois sièges sur les cinquante et un sièges que comprend l’Assemblée de Corse. En première lecture, sur la proposition de notre collègue Nicolas Alfonsi, le Sénat avait relevé cette prime à six sièges, dans le souci, avait-on expliqué, de renforcer la « stabilité » de l’Assemblée de Corse. Vingt-huit mois plus tard, la commission des lois de l’Assemblée nationale, sur proposition de son rapporteur, M. Guy Geoffroy, a encore relevé cette prime en la portant de six à neuf sièges.
Si la prime de six sièges était censée garantir la stabilité, comment appeler ce que garantirait la prime de neuf sièges ? La « consolidation » ? L’« enracinement » ? Le « rivetage » ?
Le présent amendement vise à rétablir le mode de répartition actuel des sièges, et ce pour deux raisons.
J’ai déjà évoqué la première dans la discussion générale : nous sommes à moins d’un an de la prochaine échéance électorale et il n’est donc plus temps de modifier la règle du jeu démocratique. En effet, selon un principe constant de la pratique républicaine, on ne modifie pas un mode de scrutin dans l’année qui précède une élection.
La seconde raison est plus politique.
Depuis sa création, en 1992, l’Assemblée de Corse n’a jamais connu de crise institutionnelle. Certes, il n’y a pas de majorité clairement définie en son sein, mais c’est justement le jeu démocratique qui oblige au débat avec les groupes minoritaires et à la recherche d’un consensus sur toutes les questions politiques importantes. L’augmentation de la prime majoritaire aboutira donc à exclure de la représentation démocratique la diversité des courants d’opinion qui traversent la société corse.
À ce titre, je citerai à nouveau l’exemple du plan d’aménagement et de développement durable de la Corse. Ce projet est loin de faire l’unanimité en Corse. L’ensemble des associations de défense de l’environnement, mais aussi des syndicats et de nombreuses formations politiques se sont opposés à ce plan, qui défigurerait le littoral corse. Sans l’expression de ces divers courants d’opinion au sein de l’Assemblée de Corse, la prise de conscience de la menace que fait peser ce projet sur l’environnement n’aurait pas eu lieu.
Aussi, afin de respecter les principes républicains les plus élémentaires et dans le souci de préserver la légitimité démocratique de l’Assemblée de Corse, nous proposons de maintenir la prime majoritaire à trois sièges.
L'amendement n° 2, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, M. Muller et Mme Voynet, est ainsi libellé :
À la fin du I de cet article, remplacer le mot :
neuf
par le mot :
six
La parole est à M. Jean Desessard.
Il s’agit évidemment d’un amendement de repli. Il tend à rétablir la prime majoritaire de six sièges, conformément à ce qu’avait voté le Sénat en première lecture. Cette disposition a en effet été modifiée sans raison valable par la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui a fait passer ladite prime à neuf sièges.
Je ne reprendrai pas les raisons que j’ai invoquées à l’instant pour justifier la nécessité de maintenir une représentation équilibrée de la diversité des forces politiques qui animent la société corse dans un cadre démocratique.
Je veux cependant rappeler que l’Assemblée de Corse n’a été consultée ni sur les modalités concrètes de la révision de son mode d’élection ni sur l’amendement adopté par l’Assemblée nationale, en totale violation de la loi du 22 janvier 2002, qui prévoit que « l’Assemblée de Corse est consultée sur les projets et propositions de loi ou de décret comportant des dispositions spécifiques à la Corse ».
Avant de soumettre au Parlement une telle réforme, dont les conséquences sur la vie démocratique et le fragile équilibre de la société corse seront importantes, il aurait été préférable d’engager une véritable discussion avec les représentants de l’ensemble des forces politiques de Corse et de permettre à l’assemblée territoriale d’en débattre de manière approfondie.
J’ai bien compris que le Gouvernement voulait un vote conforme sur ce texte parce qu’il n’a plus le temps de le soumettre de nouveau aux députés d’ici à la fin de la session. Je considère néanmoins que l’amendement adopté par l’Assemblée nationale a encore aggravé les effets de ce texte.
Je vous remercie, mon cher collègue, de n’avoir pas dépassé les trois minutes qui sont désormais imparties pour la défense d’un amendement.
Quel est l’avis de la commission ?
La commission est défavorable à l’amendement n° 1.
En première lecture, le Sénat a souhaité porter à six sièges la prime de la liste majoritaire. Je ne vois pas pourquoi il reviendrait aujourd’hui à trois sièges.
Tout le monde souhaite la diversité en Corse, mais qui songe à remettre en cause la prime majoritaire de 25 % pour les conseils régionaux ou de 50 % pour les conseils municipaux ? Je vous signale, monsieur Desessard, que trois sièges correspondent à 6 %, six sièges, à moins de 12 % et neuf sièges, à 17, 6 % des cinquante et un sièges que compte l’Assemblée de Corse.
Quant à l’argument selon lequel on ne doit pas modifier un mode de scrutin moins d’un an avant une élection, je lui opposerai le fait que des textes qui contredisaient ce prétendu principe ont déjà été votés, et parfois même avec votre accord.
Le dernier exemple est la proposition de loi facilitant l’égal accès des femmes et des hommes au mandat de conseiller général, qui a été adoptée moins d’un mois avant les élections cantonales ; je ne suis pas sûr que vous vous y soyez opposé…
Oui, et vous avez perdu !
Cet argument n’a donc pas de valeur constitutionnelle. En fait, il s’agit simplement d’une tradition.
Vous soutenez par ailleurs, monsieur Desessard, qu’il faut soumettre une telle proposition à l’Assemblée de Corse, et c’est tout à fait exact. En l’occurrence, elle s’est autosaisie, mais j’aurais préféré qu’on lui soumette effectivement une proposition. En tout état de cause, quel que soit l’avis rendu par l’Assemblée de Corse, le Parlement reste ensuite maître de sa décision, et il serait curieux qu’il en aille autrement.
Dans le cas d’espèce, l’Assemblée de Corse a été consultée – car on ne va évidemment pas la consulter à l’issue de chaque lecture dans chaque chambre ! – et elle a rendu un avis qui, sauf erreur de ma part, va dans le sens d’une prime de neuf sièges. Maintenant, le Parlement vote la loi !
La commission est également défavorable à l’amendement n° 2 parce qu’elle considère qu’une prime de neuf sièges est de nature à contribuer à la stabilité de l’Assemblée de Corse.
Monsieur Desessard, la commission des lois n’est pas dogmatique. Elle écoute les uns et les autres. Fort heureusement, les débats successifs sont sources de progrès. La position de la majorité de l’Assemblée de Corse nous a éclairés. Il ne nous paraît pas opportun, aujourd’hui, de revenir sur la décision de l’Assemblée nationale. Une prime de neuf sièges semble constituer un bon équilibre.
Le Gouvernement est également défavorable à ces deux amendements, pour des identiques à celles que vient d’exposer M. le rapporteur.
Mes chers collègues, je crois nécessaire de tordre définitivement le cou à quelques idées perverses.
On prétend que le pluralisme ne serait pas respecté. Cette idée a déjà été exprimée voilà une vingtaine d’années, lorsqu’il s’agissait de faciliter l’émergence des nationalistes. Aujourd’hui, ils sont à 20 %. Il serait humiliant pour eux qu’on imagine un seul instant qu’ils puissent passer en dessous de ce seuil !
On a aussi évoqué la stabilité institutionnelle au sein de l’Assemblée de Corse. Je représente une sensibilité qui est dans l’opposition et qui fait régulièrement des efforts sur elle-même pour maintenir cette stabilité : si elle votait contre le budget, celui-ci ne serait jamais adopté ! Tous ceux qui sont à notre gauche excipent de nos votes pour nous accuser de trahison. Et ensuite, non sans un certain humour, ils se félicitent de cette stabilité qui n’existe que grâce à notre abstention !
Malheureusement, monsieur Desessard, de temps en temps, survient un accident. Ainsi, le projet de PADDUC a été retiré par la majorité tout simplement parce que nous y avions manifesté notre opposition : faute de majorité suffisante, il n’y a plus de PADDUC ! C’est bien la démonstration éclatante qu’il n’y a pas de réelle majorité à l’Assemblée de Corse.
Le hasard du calendrier parlementaire a voulu que la cour administrative de Marseille annule aujourd’hui le budget de 2007. Voilà la prétendue stabilité sur laquelle vous vous appuyez pour justifier votre souhait de ne rien changer !
Il faut remettre toutes les pendules à l’heure. Je l’ai déjà dit, on ne sait pas à qui profitera cette modification du scrutin, mais ce qui est sûr, c’est qu’il faut le modifier.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n'est pas adopté.
L'article 1 er est adopté.
Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Michel Magras, pour explication de vote.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette proposition de loi est la bienvenue.
Elle permettra d’améliorer le mode de scrutin de l’Assemblée de Corse qui, dans sa forme actuelle, favorise l’éclatement des listes et, de ce fait, rend difficile la constitution de majorités stables et fortes.
Nous partageons pleinement l’idée qu’il convient de corriger les deux points qui, dans le mode de scrutin actuel, soulèvent des difficultés : d’une part, l’insuffisance de la prime majoritaire accordée à la liste arrivée en tête et, d’autre part, l’absence de seuil pour pouvoir fusionner avec une autre liste au second tour.
Ainsi, l’article 1er de la proposition de loi vise à porter de trois à neuf sièges la prime majoritaire accordée à la liste arrivée en tête.
Dans le même esprit, ce texte relève le seuil à partir duquel une liste peut se maintenir au second tour de 5 % à 7 % des suffrages exprimés.
Enfin, il crée un seuil de 5 % en deçà duquel une liste ne peut être admise à fusionner au second tour. En effet, aujourd’hui, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, il n’existe aucun seuil, ce qui permet naturellement la multiplication des listes au premier tour.
Des aménagements techniques sont également introduits pour faciliter la constitution du conseil exécutif de Corse.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP adoptera cette proposition de loi dont l’objectif ultime est de trouver un juste équilibre entre la recherche d’une assemblée fidèle à la composition politique de l’île et l’exigence d’une proximité avec l’électeur.
J’ai déjà longuement exprimé notre position. Je tiens simplement à rappeler que les sénatrices et sénateurs Verts voteront contre cette proposition de loi.
Pour les raisons que j’ai développées lors de la discussion générale, les socialistes s’abstiendront sur cette proposition de loi.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
La proposition de loi est définitivement adoptée.
(Texte de la commission)
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories, présentée par Mme Catherine Morin-Desailly et plusieurs de ses collègues (nos 215, 483, 482).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, auteur de la proposition de loi.
Monsieur le ministre, je voudrais tout d’abord vous féliciter de votre nomination et vous souhaiter la bienvenue au Sénat, cet autre palais italien, à vous qui, voilà quelques semaines, accueilliez si chaleureusement à la Villa Médicis une délégation du groupe d’amitié France-Italie de notre assemblée, dont plusieurs membres, également membres de la commission des affaires culturelles, sont aujourd’hui présents.
« L’expérience nous prouve malheureusement combien il faut de temps avant que nous considérions comme nos semblables les hommes qui diffèrent de nous par leur aspect extérieur et par leurs coutumes. » Ainsi s’exprimait Charles Darwin en 1871 et, malheureusement, ce constat semble aujourd’hui toujours pertinent, comme le prouve l’histoire de la restitution d’une tête maorie par la ville de Rouen.
La proposition de loi que j’ai déposée et qui a été cosignée par une soixantaine de mes collègues est assez inhabituelle : elle vise à permettre la restitution à leur pays d’origine de toutes les têtes maories qui sont actuellement détenues dans les collections des musées français.
Membre du groupe d’amitié France–Nouvelle-Zélande de notre Haute Assemblée, je me suis en effet passionnée pour l’histoire de ces têtes lorsque, adjointe à la culture à l’époque où Pierre Albertini était maire de Rouen, je travaillais à la réouverture du Muséum d’histoire naturelle de la ville, qui avait été fermé pendant près de dix ans pour des raisons de sécurité, mais qui est, par la richesse et la diversité des collections, le deuxième de France après celui de Paris.
Avec la nouvelle équipe scientifique recrutée pour mettre en œuvre le nouveau projet alors défini pour le Muséum, nous avons en effet répondu à la demande de la Nouvelle-Zélande de lui restituer une tête humaine tatouée et momifiée, conservée depuis 1875. Don ou dépôt d’un certain M. Drouet, pour on ne sait quel motif, elle dormait cachée depuis le xixe siècle dans les réserves et collections non inventoriées du Muséum.
Si cette proposition de loi vise à répondre aux difficultés juridiques rencontrées par la ville de Rouen lorsqu’elle a décidé, en octobre 2007, de remettre aux autorités néo-zélandaises cette tête maorie, après des échanges et une réflexion avec l’équipe scientifique du Muséum, son adoption mettrait surtout la France au diapason de très nombreux autres pays, en restituant finalement et logiquement l’ensemble des têtes maories conservées dans nos musées et dont le nombre est compris entre quinze et vingt : sept ou huit au musée du quai Branly, une au musée de la Charité, une au musée des Beaux-arts de Dunkerque, quatre dans les muséums de Lille, Lyon, Nantes et, bien sûr, Rouen, une au muséum de La Rochelle et deux à l’université de Montpellier.
Un petit retour en arrière est essentiel pour comprendre cette affaire. Tous les Maoris de haut rang, guerriers et chefs de tribus, étaient tatoués selon des motifs rappelant leur tribu. En effet, suivant leurs traditions, la tête est considérée comme la partie sacrée du corps et le tatouage comme une véritable signature sociale et religieuse.
Le peuple maori avait ainsi coutume de conserver les têtes tatouées des guerriers morts au combat et de les exposer dans un endroit consacré à leur mémoire, où chacun pouvait les vénérer jusqu’au moment où ils estimaient que l’âme du défunt était partie. Les têtes étaient alors inhumées près du village.
Au xviiie siècle, lors de la colonisation de la Nouvelle-Zélande, les Européens sont fascinés par les têtes tatouées, qu’ils qualifient d’objets de curiosité et de collection. Les musées et les collectionneurs privés lancent de véritables « chasseurs de tête » à la recherche des plus beaux spécimens. S’ensuit un commerce véritablement barbare : pour répondre à la demande, on se met à tatouer des esclaves, dont on tranche ensuite la tête.
Ce n’est qu’en 1831 que le gouvernement britannique vote une loi interdisant le marché des têtes naturalisées entre la Nouvelle-Zélande et l’Australie. L’amiral Cécille, grande figure rouennaise qui a exercé un commandement dans le Pacifique, avait dénoncé ce trafic aboutissant à une véritable marchandisation du corps humain. Dans un rapport adressé au ministre de la marine en 1840, il écrivait : « On a vu les têtes néo-zélandaises devenir un objet lucratif d’exportation. Tous les moyens ont été bons pour s’en procurer et des guerres ont été suscitées entre les tribus pour faire baisser le prix de cette marchandise recherchée par les naturalistes. On a vu des individus presser des chefs et leur assurer des présents pour se faire livrer la tête remarquablement tatouée de quelque esclave. »
Le regard que portent aujourd’hui sur ces têtes les Néo-Zélandais – en tout cas, les Maoris – est bien différent du nôtre ; pour eux, ce sont les restes de leurs ancêtres, des éléments du corps humains – d’où leur demande de restitution –, alors que les Occidentaux les considèrent plutôt comme des objets d’art ou de collection.
« Enlevez à des sauvages les os de leurs pères, vous leur enlevez leur histoire, leurs lois, et jusqu’à leurs dieux ; vous ravissez à ces hommes, parmi les générations futures, la preuve de leur existence comme celle de leur néant. » Cette phrase de Chateaubriand, extraite des Mémoires d’outre-tombe, montre combien, pour se construire, pour se forger une identité, les peuples ont besoin de connaître leurs ancêtres.
Comme l’a écrit dans un article récemment publié Jean-Yves Marin, directeur du Musée de Normandie, « un peuple sans histoire ne peut se renouveler et est condamné à disparaître ». Que dirions-nous si les têtes de nos propres ancêtres, de nos arrière-arrière-grands-parents étaient remisées dans les réserves de musées néo-zélandais, ou dans tout autre pays, et que l’on refusait de nous les restituer ?
À la demande de la Nouvelle-Zélande, ces têtes ont d’ailleurs été retirées des expositions au public voilà environ vingt ans. Elles se trouvent aujourd’hui dans les réserves des musées occidentaux, parfois conservées dans des conditions laissant à désirer. C’est d’ailleurs le cas de nombre de restes humains en général, comme l’a établi l’enquête réalisée par Laure Cadot et Hélène Guichard pour le Centre de recherche et de restauration des musées de France.
Depuis, les autorités néo-zélandaises et australiennes ont lancé une campagne de revendication de ces têtes afin de pouvoir les inhumer dans le respect des traditions et rites funéraires de ce peuple autochtone comptant aujourd’hui 600 000 personnes. Le but de ces rapatriements est non pas d’opérer un transfert d’une étagère de musée à un autre, en l’occurrence celui de Te Papa à Wellington, mais de retourner ces têtes à leur communauté d’origine.
La restitution donne lieu à de véritables cérémonies, selon des témoignages qui m’ont été rapportés, et dont certains datent d’à peine quelques jours, cérémonies qui commencent dès le pays de départ des restes humains. Ainsi, les Maoris se sont déplacés à Rouen pour venir honorer la tête de leur ancêtre et lui rendre hommage. La manifestation que nous avons organisée alors à l’hôtel de ville fut, de l’avis de tous les participants, extrêmement émouvante.
La question qui se pose est de savoir si, juridiquement, ces têtes sont des objets d’art, de collections ou des restes humains. En effet, de leur statut juridique dépend le régime qui leur sera appliqué.
En droit français, un objet patrimonial relève du principe d’inaliénabilité, ce qui interdit toute restitution en dehors d’une procédure préalable de déclassement. Ce régime s’applique aux pièces détenues dans les collections publiques.
Au contraire, un reste humain, en application de l’article 16-1 du code civil, ne peut faire l’objet d’un droit patrimonial. Dès lors, il n’entre pas dans la catégorie des biens culturels. Éléments du corps humain, indéniablement, ces têtes tatouées et momifiées, issues d’un trafic barbare durant la période de colonisation, ne peuvent se voir appliquer ce principe d’inaliénabilité. Pour nous, à Rouen, la tête maorie n’était la propriété ni de l’État ni du Muséum. Elle ne figurait d’ailleurs dans aucun inventaire, ce qui rendait le déclassement impossible.
En décidant, par un vote à l’unanimité, de remettre cette tête aux autorités néo-zélandaises, notre conseil municipal a voulu s’inscrire dans une démarche éthique, faisant du Muséum de la ville de Rouen, en ce début de xxie siècle, un muséum responsable, à travers un acte symbolique exprimant le respect des peuples et de leurs croyances. Ne doit-on pas considérer en effet que ces têtes sont partie intégrante du patrimoine non de la nation mais de l’humanité, tel qu’il est défendu par l’UNESCO, comme un acquis irréductible de notre diversité ?
Cependant, sur intervention de l’État, la délibération du conseil municipal a été annulée par le juge administratif au motif que la procédure de déclassement préalable prévue par le code du patrimoine n’avait pas été mise en œuvre et que l’article 16-1 du code civil sur lequel nous nous étions fondés était inapplicable en l’espèce. Soit dit en passant, je doute fort que, si la commission compétente pour le déclassement, alors exclusivement composée de conservateurs, avait été réunie, elle eût donné son accord.
Cet événement a donné lieu, en février 2008, à un colloque international au musée du quai Branly portant sur la conservation, l’exposition et la restitution des restes humains, colloque au cours duquel je suis d’ailleurs intervenue afin de témoigner de l’histoire de la tête maorie de Rouen. Ce jour-là, le commissaire du Gouvernement, présent, m’a signalé que la cour administrative d’appel de Douai avait statué dans le sens de la non-applicabilité de l’article 16-1, mais qu’elle aurait pu tout aussi bien faire le contraire, tant le statut juridique des restes humains demeure flou aujourd’hui : objets de collection et application de la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France, avec procédure de déclassement, ou restes humains et application de l’article 16-1 du code civil résultant de la loi du 29 juillet 1994 sur la bioéthique, que le Gouvernement souhaitait d’ailleurs appliquer dans le cas de la « Vénus hottentote » ?
Ce débat juridique suscité par la décision de la ville de Rouen s’est en effet posé dans des termes quasiment identiques à ceux qui ont été soulevés lors de la restitution par la France à l’Afrique du Sud de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, conservée dans les collections du Musée de l’Homme. Notre collègue Nicolas About était intervenu en faisant voter une loi permettant de sortir la Vénus hottentote des collections publiques. À l’époque, on s’est même interrogé sur l’utilité d’une loi : le Gouvernement considérait alors que le cas de la Vénus hottentote relevait de l’application de l’article 16-1 du code civil, application qu’il conteste aujourd’hui pour les têtes maories.
L’actualité nous rattrape maintenant avec l’annulation de l’exposition contestée Our Body par la cour d’appel de Paris. Celle-ci s’est précisément appuyée sur l’article 16-1-1 du code civil, introduit en décembre 2008 et dont les dispositions sont d’ordre public, qui dispose :
« Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort.
« Les restes des personnes décédées […] doivent être traités avec respect, dignité et décence ».
Pour fonder sa décision, la cour rappelle, que la protection due aux corps humains vivants et aux dépouilles mortelles, prévue par le législateur, a « un caractère inviolable et digne d’un respect absolu, conformément à un principe fondamental de toute société humaine. »
Cette décision fortement médiatisée a peut-être permis de prendre mieux conscience des problèmes éthiques posés par l’exposition – pour ne pas dire l’exhibition – des corps humains. Donc, la question de l’applicabilité de l’article 16-1 du code civil demeure.
Il apparaît clairement que les restes humains occupent une position charnière sur le plan juridique et que la loi bioéthique de 1994 protège davantage le vivant, notamment au regard du trafic d’organes et des risques liés aux études génétiques. C’est en tout cas ce que, en l’espèce, laisse entendre le juge dans son interprétation. Faut-il pour autant lui laisser à l’avenir le soin de décider ou non, au cas par cas, de l’application de ces dispositions ? Il y a là une vraie question, monsieur le ministre, mes chers collègues, à laquelle, au-delà de cette proposition de loi, il conviendra de répondre.
Considérant l’incertitude dans laquelle nous nous trouvons, j’ai choisi de déposer cette proposition de loi. Si nous l’adoptons aujourd’hui, ce que j’espère vivement, elle permettra de régler le cas des têtes maories. Je suis consciente que la loi n’est pas l’outil le plus approprié pour régler le problème et j’aurais préféré ne pas y avoir recours, mais elle reste la seule solution face à l’impasse dans laquelle nous nous trouvons et à l’imbroglio juridique qui caractérise actuellement la situation.
J’ai constaté en effet que, si la loi de 2002 invite les responsables des musées à définir des critères pour encadrer d’éventuels déclassements d’œuvres des collections publiques à l’occasion d’une procédure spécifique et après avis conforme de la commission nationale scientifique, elle n’a pu à ce jour être pleinement mise en œuvre. Plus de sept ans après son adoption, les critères qui devraient justement permettre de préciser les conditions dans lesquelles le principe d’aliénabilité pourrait ne pas s’appliquer n’ont toujours pas été définis !
Par ailleurs, en vertu de la loi de 2002, les biens incorporés dans les collections publiques par dons et par legs, tels que la tête maorie de la ville de Rouen et de nombreuses autres têtes en France, ne peuvent faire l’objet d’aucun déclassement, contrairement à ce qui a été soutenu.
Consciente de l’importance et de la difficulté de la question, qui ne saurait être un prétexte pour ouvrir la boîte de Pandore, comme on l’a trop souvent entendu dire, j’ai souhaité m’inspirer, dans la présente proposition de loi, de quatre critères retenus par la ville de Rouen pour motiver sa décision de restitution.
Il faut : premièrement que le pays d’origine d’un peuple contemporain ait formulé la demande de restitution ; deuxièmement, que ce reste humain ne fasse pas l’objet de recherches scientifiques ; troisièmement, qu’il ne soit pas destiné à être exposé ni conservé dans des réserves dans le pays d’origine, mais qu’il soit inhumé ; enfin, quatrièmement, que le reste soit issu d’actes de barbarie ayant entraîné la mort ou de pratiques attentatoires à la dignité humaine. Toutes ces têtes ne sont certes pas forcément des têtes d’esclaves : il y a aussi des têtes de chefs guerriers. Il n’en reste pas moins qu’elles ont été considérées comme des trophées et volées à une époque où les musées occidentaux étaient largement prédateurs.
Je voudrais attirer votre attention sur le fait que la France a ratifié la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones de septembre 2007 qui, dans ses articles 11 et 12, enjoint aux États d’accorder réparation aux peuples autochtones et dispose que « les États veillent à permettre l’accès aux objets de culte et aux restes humains en leur possession et/ou leur rapatriement, par le biais de mécanismes justes, transparents et efficaces, mis au point en concertation avec les peuples autochtones concernés ». Le geste consistant à rendre aujourd’hui les têtes maories s’inscrit pleinement dans le cadre de cette déclaration.
Par ailleurs, le code de déontologie de l’ICOM – International Council of Museums –, qui est l’aboutissement de six années de révision et a été formellement approuvé lors de la vingt et unième assemblée générale, à Séoul, en octobre 2004, a largement abordé la question de ce qu’on appelle encore pudiquement « matériel culturel sensible ».
Pour autant, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite vivement que cette proposition de loi contribue, comme l’avaient voulu mes collègues Nicolas About et Philippe Richert, à travers la proposition de loi autorisant la restitution par la France de la Vénus hottentote à l’Afrique du Sud, à une réflexion plus globale sur la conservation des restes humains dans les musées.
Contrairement à d’autres pays voisins, la France accuse un grand retard sur ces questions, il faut bien le reconnaître. Ossements, préparations anatomiques, momies, reliques diverses : la variété et la quantité des restes humains dans les musées et autres laboratoires sont grandes. La spécificité de ces collections soulève aujourd’hui, quoi qu’on en pense, de nombreuses questions éthiques quant à leur patrimonialisation.
Nos collègues Philippe Nachbar et Philippe Richert ont d’ailleurs publié en juillet 2003 un rapport d’information sur la gestion des collections des musées, dans lequel ils évoquaient déjà la question des réserves et de leur gestion, mais aussi les restes humains détenus dans les collections, notamment au Musée de l’Homme, où ils avaient d’ailleurs constaté un état d’empoussiérage préoccupant.
Sans ce travail préalable indispensable, nous serons toujours contraints de procéder au coup par coup, ce qui n’est guère satisfaisant.
Cette affaire a de nouveau mis en lumière les dysfonctionnements administratifs, le problème de la gestion des collections muséales et les contradictions de la législation française, qui mérite d’être clarifiée une fois pour toutes. Jacques Rigaud, auquel la précédente ministre de la culture avait confié une mission, a noté lui-même « l’inertie manifeste de l’institution muséale ». Les responsables de musée ont trop longtemps esquivé ce débat, témoignant même d’un certain malaise sur un sujet dont ils ne savent comment l’aborder.
Cette affaire a révélé également un certain conservatisme de scientifiques qui, enfoncés dans leur logique et leur regard d’Occidentaux, ont du mal à accepter une autre vision du monde. M. le rapporteur – et je partage pleinement ses préconisations – a d’ailleurs enrichi la proposition de loi de plusieurs articles visant notamment à élargir la composition de la commission de déclassement afin qu’elle comporte, outre des professionnels de la conservation des biens, des personnalités qualifiées.
En effet, si la valeur scientifique des restes humains se présente comme une évidence pour les conservateurs, on ne peut mettre de côté la valeur symbolique et même sacrée dont ils sont investis pour les communautés ou les peuples auxquels ils peuvent être rattachés. Aussi faut-il réfléchir au sens que l’on donne aux collections, la science ne pouvant se passer d’une réflexion éthique au sens premier du terme, qui n’a rien à voir avec la religion. C’est un véritable chantier qu’il nous faut ouvrir, sans tabou.
Bien entendu, il ne s’agit ici nullement de limiter ou de remettre en cause le principe d’inaliénabilité des collections publiques, auquel je suis extrêmement attachée. C’est d’ailleurs l’intérêt des critères que j’ai évoqués précédemment, mais aussi du régime spécifique prévu par la loi de 2002, que notre collègue rapporteur propose de renforcer à cette occasion.
L’ethno-anthropologue spécialiste de l’Océanie que nous avons auditionné, Maurice Godelier, partage cette position, considérant que, si les restes humains ne sont pas des objets de collection comme les autres et doivent être restitués, ces rapatriements doivent être encadrés afin de garder des traces de ces pièces dans les musées français, par numérisation par exemple.
La ville de Rouen a d’ores et déjà réfléchi à la façon dont l’histoire de cette tête pourrait être racontée, car il s’agit non pas de cacher cet épisode de l’histoire du Muséum ni de laisser un « trou » dans sa mémoire, mais au contraire de le valoriser. Ainsi le directeur, Sébastien Minchin, a-t-il engagé un travail de numérisation de la tête et toute une démarche pédagogique à destination des visiteurs.
Quel que soit le moyen par lequel nous procédons pour restituer les têtes maories, je suis persuadée que nous nous accordons tous, sur les travées de cet hémicycle, quant à la légitimité de cette restitution, reconnaissant que la tête est probablement la partie la plus emblématique du corps humain, en tout cas partie la plus sacrée pour les Maoris, afin qu’elles puissent être dignement inhumées.
La grande majorité des personnes auditionnées défendent également cette position et ont admis le bien-fondé de cet acte. À l’époque, Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, avait émis un avis favorable sur cette démarche et le paléoanthropologue Pascal Picq avait, dès le début, pris la tête du comité de soutien alors mis en place, puis avait été rejoint par plusieurs personnalités.
La culture ne peut se passer de la transparence, de la vérité et doit répondre à une éthique irréprochable. On ne peut, sous son couvert, porter atteinte au droit des peuples, et la France, pays des droits des l’homme, se doit d’être exemplaire. De nombreux pays ont déjà remis des têtes. Des musées américains, européens ont répondu favorablement aux demandes de restitution. La Suisse, la Grande-Bretagne, le Danemark, les Pays-Bas, l’Allemagne, mais aussi des pays comme l’Argentine, l’Australie se sont lancés dans de telles opérations. Au total, près de 322 restes humains maoris sur les 500, environ, qui étaient répartis à travers le monde ont déjà été transférés à la Nouvelle-Zélande. La France fait aujourd’hui exception dans ce mouvement général en raison de la question du statut juridique que j’ai évoquée précédemment, et qui est finalement davantage une question de forme que de fond.
Notre pays, monsieur le ministre, mes chers collègues, ne saurait rester en retrait sur ce sujet par rapport à ses voisins, notamment européens. Un tel geste favorise en outre un travail de mémoire et de cicatrisation, permet de tourner une page de l’histoire française peu glorieuse et d’entamer de nouvelles relations avec la Nouvelle-Zélande.
Au-delà des considérations juridiques, l’impératif éthique doit prévaloir, me semble-t-il. Cette restitution ou plutôt cette renonciation à détenir dans nos collections ces têtes constituera en outre un nouveau départ dans nos relations avec les pays lointains, dans le cadre d’un dialogue interculturel renouvelé. Car il ne saurait s’agir de rendre pour rendre. Le dialogue et l’harmonie entre les peuples impliquent d’entrer en contact avec la civilisation de « l’Autre » et réciproquement.
Aussi, face à ce profond désir de restitution manifesté par la Nouvelle-Zélande, pays démocratique qui travaille précisément aujourd’hui à l’intégration de toutes ses communautés, la France doit apporter une réponse positive.
En conclusion, je voudrais remercier mes collègues qui ont cosigné cette proposition de loi et accompagné ma démarche, ainsi que M. le président de la commission de la culture qui m’a apporté son soutien et, bien sûr, notre rapporteur, Philippe Richert, qui a réalisé un travail approfondi sur la question et avec lequel je dialogue depuis des mois sur ce sujet si sensible, qui, vous l’aurez compris, me tient particulièrement à cœur.
Applaudissements sur toutes les travées
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous venez d’entendre l’auteur de la proposition de loi, Mme Catherine Morin-Desailly : vous aurez compris toute l’énergie et la passion qu’elle met dans la défense des idées qu’elle porte à travers cette proposition de loi visant à autoriser la restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande.
Ce n’est pas la première fois que le Sénat a l’occasion de débattre d’un sujet de cette nature. Certains d’entre vous se souviennent sans doute que nous avons débattu en 2002 d’une proposition de loi déposée par Nicolas About, autorisant la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, dite la « Vénus hottentote », à l’Afrique du Sud. Cette femme avait connu un triste sort et était devenue un symbole des humiliations subies par son peuple puisque son corps s’était retrouvé exhibé, puis conservé dans les réserves du Muséum national d’histoire naturelle.
Rapporteur de ce texte au Sénat, j’avais, dans un premier temps, considéré qu’il n’y avait pas lieu de légiférer su le sujet. Puis j’ai constaté les tergiversations de l’administration, parfois même les barrages qu’elle dressait devant toute réflexion sur la question. Lors d’une visite au Muséum, tel conservateur m’expliqua qu’il n’y avait plus de restes, que les « parties molles » avaient été perdues, et qu’il n’y avait donc pas de sujet pouvant donner lieu à une proposition de loi.
Lorsqu’on est face à de tels atermoiements, il apparaît au contraire nécessaire de légiférer pour apporter une certaine clarification. C’est certainement l’une des raisons pour lesquelles l’initiative de Catherine Morin-Desailly a suscité une large adhésion au sein de notre assemblée puisque sa proposition de loi a été cosignée par cinquante-six sénateurs, issus de différents groupes politiques, en particulier par Nicolas About, qui lui apporte son entier soutien.
L’exposé très exhaustif de l’auteur de la proposition de loi me permettra d’être bref sur les éléments de contexte, pour m’attacher à vous présenter les conclusions de la commission et les dispositions que nous avons souhaité introduire dans le texte afin d’en renforcer la portée.
En effet, au-delà de son objet ponctuel, cette proposition de loi soulève des questions importantes par leur portée culturelle, éthique et morale. Elle contribue à relancer un débat sur des sujets que nous avions déjà abordés dans cet hémicycle voilà sept ans.
Or, contrairement à la volonté alors exprimée par le législateur, lors des discussions législatives sur les musées de France et sur la Vénus hottentote, les choses n’ont pas avancé comme nous l’aurions souhaité. C’est d’ailleurs ce que révèle le dépôt même de cette proposition de loi. Voilà pourquoi j’ai souhaité que son examen nous offre l’occasion de réactiver ce débat en vue de faire avancer une réflexion selon nous indispensable.
Au préalable, je vous rappelle que les têtes humaines momifiées et tatouées dont il est question dans ce texte sont une tradition du peuple maori, peuple autochtone de Nouvelle-Zélande. Avec l’arrivée des colons européens, ces têtes, considérées comme des objets de collection, ont suscité un engouement macabre et fait l’objet d’un trafic sordide jusqu’au milieu du xixe siècle, si bien que certains esclaves ont eu la tête tatouée, puis ont été décapités pour satisfaire à la demande… C’est ainsi que certaines de ces têtes se sont retrouvées dispersées dans des musées d’Europe ou d’Amérique, mais aussi dans des collections privées.
D’après les informations qui nous ont été transmises, six musées – celui du quai Branly et cinq musées territoriaux – ont dans leurs réserves une ou plusieurs de ces têtes, soit au total une douzaine.
En octobre 2007, la ville de Rouen décide de rendre aux autorités néo-zélandaises, qui en faisaient la demande, une de ces têtes, conservée dans son Muséum d’histoire naturelle. Toutefois, pour une « question de principe » soulevée alors par la ministre de la culture, cette délibération a fait l’objet d’un recours qui a conduit à son annulation par le juge.
En effet, la ville s’était fondée sur les dispositions du code civil issues des lois de bioéthique de 1994, qui prévoient que le corps humain ne peut faire l’objet d’un droit patrimonial. Cet argument a été rejeté par le juge, alors même qu’au moment des débats sur la Vénus hottentote, je le rappelle, ce même argument avait été utilisé par le ministre de la recherche pour refuser ici, en séance publique, le principe de la restitution des restes de la malheureuse Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud. Cela montre bien que nous avions peut-être raison d’insister à l’époque et ne pas nous laisser convaincre par les arguments du ministère…
S’agissant de la tête maorie de Rouen, le juge a rappelé que, le muséum ayant obtenu l’appellation de « musée de France », il est régi par les dispositions de la loi du 4 janvier 2002. Or cette loi, dont j’étais le rapporteur au Sénat, a réaffirmé le principe de l’inaliénabilité des biens des collections des musées de France. Sur l’initiative de notre commission, cette loi a aussi prévu une possibilité strictement encadrée de déclassement d’un de ces biens, après avis conforme d’une commission scientifique. Mais cette commission n’a pas été saisie au sujet de la tête maorie. Elle n’a d’ailleurs jamais été saisie de questions de déclassement, j’y reviendrai plus loin.
La proposition de loi permet donc de déroger à la procédure spécifique prévue par la loi relative aux musées de France, en sortant des collections l’ensemble des têtes maories.
Les conservateurs et responsables de musées, ainsi que les éminents scientifiques que j’ai entendus ces dernières semaines, m’ont conforté dans l’idée que peu d’arguments valables s’opposent à la restitution des têtes maories.
Plusieurs critères en justifient au contraire le bien-fondé.
D’abord, comme me l’ont confirmé l’ambassadrice de Nouvelle-Zélande et le ministre de la culture néo-zélandais, leur pays souhaite le retour des têtes maories. J’ai tenu à obtenir cette confirmation car, lorsque nous avions débattu de la restitution de la dépouille de Saartjie Baartman, le ministère de la culture avait argué au dernier moment que l’Afrique du Sud ne souhaitait pas vraiment récupérer la Vénus hottentote et que sa demande était en réalité purement formelle.
Ensuite, le retour de ces ancêtres sur leur terre d’origine a pour objet d’offrir à ces derniers une sépulture décente, conforme aux rites ancestraux. La restitution se justifie donc au regard du principe de dignité humaine, de l’éthique et du respect dû à la culture et aux croyances d’un peuple vivant.
Enfin, les têtes maories sont entrées dans les collections de nos musées en tant qu’objets de curiosité ou pour des motifs anthropologiques fondés, à l’époque, sur des considérations racistes. Elles n’ont jamais fait l’objet en France de recherches scientifiques et, de l’avis d’un éminent spécialiste, elles ne présentent aucun intérêt au regard des problématiques anthropologiques actuelles.
Il serait néanmoins souhaitable de conserver la trace de ce témoignage historique et culturel, comme le permettent les techniques actuelles de numérisation, pour ne pas aboutir à des « trous » dans la connaissance de l’humanité, dont les musées sont aussi responsables.
Pour l’ensemble de ces raisons, notre pays s’honorerait à autoriser le retour de ces têtes maories : c’est une démarche éthique, respectueuse des valeurs humanistes de notre pays et du dialogue interculturel.
À l’automne 2007, pour ces mêmes raisons, le groupe d’amitié France–Nouvelle-Zélande, présidé par Marcel Deneux, avait fait part de son émotion à l’égard de l’annulation de la délibération de la ville de Rouen et marqué son soutien à cette démarche.
Notre commission a donc souscrit à l’initiative de Catherine Morin-Desailly, en acceptant que les têtes maories sortent des collections des musées pour être remises à la Nouvelle-Zélande. Il s’agit non pas simplement de déclasser ces biens, mais bel et bien de les rendre. Il reviendra aux responsables des musées et collectivités concernés de définir, en étroite coopération avec le musée Te Papa et les autorités néo-zélandaises, les modalités de cette restitution. Le dialogue est essentiel.
Je n’ignore pas, toutefois, les craintes que la démarche engagée par notre collègue peut susciter, en particulier celle d’une dérive vers une « pente glissante », suscitant des revendications de nature à mettre à mal notre patrimoine national. Les mêmes craintes s’étaient déjà exprimées lors de l’adoption, en 2002, de la loi relative à la restitution par la France de la Vénus hottentote mais, depuis lors, on n’a pas eu à constater une quelconque pléthore de demandes.
Il reste que, si ces questions méritent d’être abordées avec une extrême prudence, nous aurions plus à perdre qu’à gagner en les esquivant plus longtemps. Il me semble que cette réflexion est aujourd’hui attendue, voire souhaitée. J’ai noté une évolution significative des mentalités par rapport à 2002, tant chez les scientifiques que chez les conservateurs. En effet, je n’ai senti aucun véritable vent de fronde de part et d’autre, ni même parmi les journalistes, hormis quelques-uns qui, dans leurs articles, ont avancé l’idée que, une nouvelle fois, je me laisserais aller à accepter le déclassement de pièces de collection. En vérité, la plupart de ceux qui, aujourd'hui, sont impliqués dans ce débat sont favorables au déclassement permettant le retour des têtes maories en Nouvelle-Zélande.
C’est pourquoi j’ai proposé à la commission de compléter la proposition de loi pour éviter d’avoir de nouveau à nous pencher, à l’avenir, sur un cas similaire à celui qui nous intéresse aujourd’hui.
Il me semble d’abord qu’une réflexion est à conduire sur la gestion éthique des collections des musées, notamment des restes humains. Il ne s’agit pas là simplement de pièces de collection quelconques, d’œuvres d’art accrochées au mur ou de pièces de vaisselle exposées dans des vitrines : ce sont des restes humains, justifiant une réflexion éthique ! Les personnes que j’ai auditionnées ont d’ailleurs souligné le retard de notre pays en la matière.
Dans le cadre du récolement décennal obligatoire des musées, il serait précieux de parvenir à un inventaire précis de ces collections spécifiques, qui restent encore trop souvent une « zone d’ombre » des musées.
Par ailleurs, il n’est pas normal que la procédure de déclassement des biens des collections des musées, introduite sur notre initiative dans la loi, soit restée virtuelle. Cette procédure était pourtant extrêmement prudente et encadrée.
Certes, a été instituée une Commission scientifique nationale des collections des musées de France, dont la vocation est triple, puisqu’elle est chargée d’émettre un avis sur des projets d’acquisition et de restauration d’œuvres, ainsi que sur les demandes de déclassement. Composée de trente-cinq membres, essentiellement des professionnels des musées et représentants de l’administration, elle est présidée par le directeur des musées de France. Cependant, si cette commission a tenu plusieurs réunions, toutes ont été consacrées à des questions de restauration et d’acquisition : elle n’a jamais eu à statuer, me semble-t-il, sur un problème de déclassement. Cette commission n’a pas davantage engagé de réflexion pour définir des critères en vue d’éventuels déclassements, comme je l’y avais pourtant invitée lors des débats en séance publique.
M. Jacques Rigaud l’a d’ailleurs confirmé dans le rapport sur la question de l’aliénation des œuvres des collections publiques qu’il a remis à Mme Albanel en février 2008, dans le cadre de la réflexion ouverte à ce sujet par le Président de la République et le Premier ministre.
Même si nous sommes extrêmement attachés au principe fondamental d’inaliénabilité des collections, qui est consubstantiel à la mission de service public des musées, une réflexion doit néanmoins être conduite de façon sincère.
De toute évidence, cette procédure de déclassement a vocation à rester exceptionnelle et strictement encadrée : aucun d’entre nous ne pourrait songer une seconde à mettre en péril l’intégrité de notre formidable patrimoine artistique, accumulé au cours des siècles passés.
Néanmoins, il nous faut aussi sortir d’une vision conservatrice qui ne tiendrait compte ni de la diversification des collections ni de l’évolution de la conception muséale. Dans le cas des institutions à vocation scientifique ou technique par exemple, et en particulier des « collections d’étude », une conservation éternelle n’est pas toujours la plus adaptée. D’autres cas peuvent également se présenter et nécessiter quelques souplesses, sans qu’on ait à passer par la loi.
La commission a donc décidé, sur ma suggestion et en accord avec l’auteur de la proposition de loi, de compléter ce texte en vue de « réactiver » cette procédure de déclassement, tout en l’encadrant de fortes précautions.
Le texte adopté par notre commission ne vise pas à créer pas une nouvelle commission ; il s’agit simplement de « redimensionner » la commission instituée par la loi de 2002, afin de la rendre opérationnelle. Nous proposons d’en élargir la composition ainsi que de lui confier des missions et une « feuille de route » plus précises.
Renommée « Commission scientifique nationale des collections », elle aurait des compétences étendues au-delà des seules collections des musées de France. La procédure de déclassement serait notamment élargie aux œuvres du Fonds national d’art contemporain, et la commission pourrait également conseiller les personnes privées gestionnaires de fonds régionaux d’art contemporain, ce qui rejoint les préconisations du rapport Rigaud.
J’insiste cependant sur le fait que ces collections contemporaines sont aussi celles pour lesquelles le principe d’inaliénabilité a sans doute le plus de sens ; des déclassements peuvent toutefois être justifiés dans certains cas exceptionnels, par exemple en cas de très forte dégradation de l’œuvre.
Cette commission aurait également vocation à définir des recommandations et une forme de « doctrine générale », cohérente et responsable, en matière de déclassement, permettant d’éclairer les propriétaires et gestionnaires de collections dans leurs décisions.
Elle devra rendre compte de ses réflexions sur ce sujet devant le Parlement, en remettant un rapport dans un délai d’un an à compter de la publication de la loi. Bien sûr, la question des restes humains devra faire l’objet d’un examen spécifique et approfondi dans ce cadre, car il s’agit d’une question éthique particulièrement sensible et complexe.
Compte tenu de l’élargissement des missions de cette commission et de l’importance des enjeux sur lesquels elle aura à se pencher, sa composition est élargie, au-delà des professionnels de la conservation, à la représentation nationale, aux représentants de l’État et des collectivités territoriales, en tant que propriétaires de collections publiques, à des personnalités qualifiées, représentant notamment diverses disciplines scientifiques, comme l’anthropologie et l’ethnologie, ou la philosophie. Nous pensons que les conservateurs des musées ne sont pas forcément les mieux placés pour traiter des problèmes éthiques.
Par cohérence avec ces apports, notre commission a, enfin, modifié l’intitulé de cette proposition de loi.
Tels sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les objectifs sous-tendus par le texte que notre commission, après un examen extrêmement attentif, vous propose à présent d’adopter.
Je le répète, nous avons complété ce texte pour que soit poursuivie une réflexion que nous jugeons importante. C’est un nouveau chantier qui s’ouvre pour notre politique culturelle et patrimoniale, et nous souhaitons vivement, monsieur le ministre, que vous vous empariez de ce dossier afin que cette proposition de loi puisse être adoptée et mise en œuvre dans les meilleurs délais, car, j’en suis convaincu, le gouvernement et les habitants de Nouvelle-Zélande suivront avec beaucoup d’attention, par-delà les océans, le cheminement d’une décision qui suscite chez eux une attente toute particulière.
Applaudissements sur toutes les travées
Avant de vous donner la parole, monsieur le ministre, permettez-moi, au nom du Sénat, de saluer votre première intervention dans cet hémicycle.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la question qui nous est posée à l’occasion de l’examen de la présente proposition de loi est de celles qui attisent la controverse, les prises de position morales.
Nous avons tous en mémoire les échanges passionnants auxquels a donné lieu, notamment au sein de la Haute Assemblée, la remise à l’Afrique du Sud des restes de Saartjie Baartman, dite la « Vénus hottentote ».
Plus récemment, en 2007, la tête maorie inscrite sur les inventaires du Muséum d’histoire naturelle de Rouen a remis sous les feux de l’actualité les problèmes posés par la conservation et, éventuellement, la présentation des restes humains conservés dans les collections publiques.
Deux conceptions sont possibles au sujet des éléments du corps humain entrés dans les collections des musées.
La première se focalise sur la violence qui est à l’origine de ce que l’on nomme, faute d’expression plus digne, les « restes humains ». Cette violence peut être médicale, guerrière ou rituelle. Une telle conception amène à douter de la possibilité même de transformer un élément du corps humain en objet de collection.
La seconde vision replace les restes humains conservés dans les collections publiques dans un contexte plus large : elle englobe les motifs variés, le plus souvent scientifiques ou historiques, parfois culturels, qui ont justifié, à un moment donné, une protection particulière de ces objets.
Je crois que ces deux conceptions peuvent être conciliées ; tel est d’ailleurs, me semble-t-il, le sentiment général. Personne ne songe, en effet, à remettre en cause l’intérêt de conserver et de présenter au public, par exemple, les momies égyptiennes du Louvre. Les musées égyptiens eux-mêmes les exposent, dans un espace soumis à une tarification complémentaire, sans y voir de contradiction avec le respect dû à la dignité du corps humain.
Je suis donc particulièrement honoré, pour ma première intervention devant la Haute Assemblée en tant que ministre de la culture et de la communication, de prendre part à ce débat essentiel pour les collections publiques françaises, un débat que je souhaite apaisé et équilibré. Nous allons, tous ensemble, tenter de concilier, d’une part, la nécessité éthique d’apporter une réponse aux demandes des communautés d’origine des têtes maories et, d’autre part, l’attachement qui est le nôtre à l’intégrité des collections publiques et au principe d’inaliénabilité, qui en est la traduction juridique.
J’en viens d’abord au traitement du cas très particulier que constituent les têtes maories, objet de l’article 1er de la proposition de loi.
L’histoire de ces artéfacts vient d’être rappelée. À l’origine pratique rituelle, témoignant du respect d’une tribu et d’une famille envers ses morts, la momification des têtes est devenue, sous l’effet de la curiosité macabre des voyageurs et des collectionneurs européens, l’objet d’un commerce particulièrement barbare.
Le Gouvernement partage pleinement le souci éthique qui fonde la démarche des auteurs de la proposition de loi et de son rapporteur.
Je tiens d’ailleurs à rappeler qu’à aucun moment le Gouvernement n’a pris position sur l’opportunité de la remise de la tête maorie du Muséum d’histoire naturelle de Rouen aux autorités de Nouvelle-Zélande. L’intervention de l’État auprès du juge administratif était simplement motivée, dans le cadre de l’exercice du contrôle de légalité, par la nécessité d’assurer le respect des procédures que le législateur a prévues pour opérer le déclassement des objets appartenant aux collections des musées de France. Il s’agissait en l’occurrence de la saisine pour avis de la commission scientifique instituée par la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France.
Sur l’intérêt de conserver les têtes dans les collections publiques, je tiens à saluer la finesse de l’analyse de M. le rapporteur. Après avoir rappelé qu’elles n’étaient entrées dans les collections que comme objets de curiosité, et non d’étude scientifique, M. Richert a présenté le problème dans toute sa complexité et son étendue.
Selon les témoignages recueillis par M. le rapporteur, les têtes conservées dans nos musées n’ont jamais fait l’objet d’études poussées et ne présentent guère d’intérêt au regard des méthodes anthropologiques actuelles.
Cependant, comme le souligne également le rapporteur, il convient d’en garder une trace, pour ne pas laisser un « vide » dans la connaissance de l’humanité ni, surtout, dans la mémoire de cet épisode peu glorieux de l’histoire de l’expansion européenne.
Sur les modalités juridiques choisies pour favoriser la remise des têtes maories aux autorités néo-zélandaises, la commission de la culture a retenu une solution sage, respectueuse de la liberté de chacune des collectivités publiques – État ou communes – propriétaire de têtes maories.
En effet, si les têtes maories cessent immédiatement, en application de l’article 1er de la proposition de loi, de faire partie des collections des musées de France en vue de leur remise à la Nouvelle-Zélande, il reviendra à chaque collectivité propriétaire de procéder à leur déclassement et de négocier les modalités de leur remise avec les autorités néo-zélandaises.
Les muséums d’histoire naturelle des grandes métropoles régionales – celui de Rouen, bien sûr, mais aussi de Marseille, Lyon, Lille ou La Rochelle – auront ainsi la possibilité d’accomplir ce geste éthique.
Je soulignerai simplement que, pour la première fois, la loi organise la sortie des collections des musées de France d’une catégorie entière d’éléments, et non pas d’un objet déterminé.
Pour l’avenir, il est capital que nous nous dotions des moyens de prévenir et de régler, très en amont et de façon consensuelle, notamment entre l’État et les collectivités territoriales ou leurs établissements, sans avoir besoin de recourir au législateur, les difficultés qui pourraient s’élever pour d’autres cas particuliers.
C’est précisément l’objet des articles suivants de la proposition de loi, qui ont été ajoutés par la commission de la culture. Celle-ci a souhaité ainsi saisir la Haute Assemblée de la question générale des modalités de déclassement des objets appartenant aux collections publiques.
Le Gouvernement tient à saluer le caractère tout à fait opportun de cette initiative. Elle se situe dans la droite ligne des conclusions remises par M. Jacques Rigaud au ministre de la culture et de la communication en février 2008, concernant la modernisation de la gestion des collections publiques.
Dans son rapport, M. Rigaud réaffirmait avec force le caractère incontournable du principe d’inaliénabilité. L’inaliénabilité se trouve en effet au fondement même des collections publiques, qui s’inscrivent dans un horizon temporel de très long terme. Elle a contribué, au fil des siècles, à la constitution d’un patrimoine qui fait aujourd’hui la fierté et l’attrait de nos institutions culturelles.
M. Jacques Rigaud avait cependant souligné la nécessité d’une véritable « respiration » des collections, pour laquelle les possibilités de déclassement offertes par le code du patrimoine représentaient une modalité envisageable. L’une des propositions du rapport Rigaud consistait donc à donner toute sa portée à la loi relative aux musées de France, qui prévoit une procédure de déclassement, restée lettre morte jusqu’à ce jour.
L’initiative de la commission des affaires culturelles vient ainsi relayer un objectif du ministère de la culture.
La future Commission scientifique nationale des collections instituée par la présente proposition de loi traduira, dans sa composition, toute la complexité des questions de déclassement, qui sont à la fois scientifiques, culturelles et éthiques. La compétence primordiale des professionnels de la conservation des collections sera ainsi complétée par le point de vue des parlementaires, des collectivités propriétaires des collections, ainsi que par celui de personnalités éminentes dans d’autres disciplines utiles à l’examen des projets de déclassement, notamment la philosophie, le droit ou l’anthropologie.
L’ouverture de la Commission scientifique nationale des collections aux représentants de la nation souligne la solennité de la procédure de déclassement et témoigne de l’attachement du Parlement au principe d’inaliénabilité.
Par ailleurs, en étendant aux autres collections publiques, au Fonds national d’art contemporain ainsi qu’aux collections des Fonds régionaux d’art contemporain l’intervention obligatoire ou facultative de la commission scientifique nationale, la proposition de loi favorise la prise en compte de l’intérêt scientifique et culturel des biens concernés au moment de décider d’un éventuel déclassement.
Je sais également gré à la commission de la culture d’avoir étendu, pour les demandes de déclassement de biens appartenant aux collections publiques, la procédure de l’avis conforme prévue par la loi relative aux musées de France. Celle-ci garantit en effet la prise en compte, par les propriétaires des collections, de l’expertise et de la représentativité de la commission scientifique nationale. Je forme le vœu que ce périmètre élargi permette également de définir une doctrine générale pour l’ensemble des collections publiques.
Cette proposition de loi vient donc clore de façon particulièrement heureuse la controverse suscitée à l’automne 2007 par l’annulation de la délibération de la ville de Rouen relative à la restitution de la tête maorie conservée par son muséum municipal d’histoire naturelle.
Elle marque surtout l’ouverture, trop longtemps retardée à mes yeux, d’un véritable débat de fond sur le recours au déclassement, en donnant aux collectivités publiques les moyens de disposer en la matière d’une doctrine définie en parfaite concertation.
La proposition de loi vise en effet à donner compétence à la commission scientifique nationale pour fixer la doctrine et les critères qui permettront la « respiration » des collections, sans en compromettre l’intégrité ni amoindrir la portée du principe d’inaliénabilité. Ces lignes directrices seront présentées dans le rapport qui devra être remis au Parlement dans le délai relativement court d’un an à compter de la publication du présent texte.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement émet un avis favorable sur cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste. – M. Richard Tuheiava applaudit également.
Mes chers collègues, je vous informe que, pour l’organisation de la discussion générale, nous appliquons pour la première fois l’alinéa 5 de l’article 29 ter de notre règlement tel qu’il résulte de la résolution du 2 juin dernier : les groupes autres que ceux auxquels appartiennent les représentants des commissions désignent chacun un premier orateur ; les orateurs ainsi désignés interviennent à la suite des commissions, selon l’ordre du tirage au sort.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Nicolas Alfonsi.
Monsieur le ministre, permettez-moi à mon tour de vous souhaiter la bienvenue au Sénat et de former le vœu d’une collaboration fructueuse avec la Haute Assemblée.
Depuis vingt ans déjà, la Nouvelle-Zélande réclame le retour au pays de ses têtes maories. Cette démarche est plus que légitime puisqu’elle est inspirée par le souhait de récupérer des restes humains considérés comme sacrés, pour leur accorder une sépulture digne et respectueuse des coutumes du peuple maori.
Jusqu’à la fin du xixe siècle, ces têtes momifiées et tatouées ont fait l’objet de trafics commerciaux par des collectionneurs européens et américains. En France, nous en possédons une quinzaine dans les collections publiques, outre celle de Rouen, qui a suscité l’initiative de Mme Morin-Desailly.
Ces têtes, qui ne sont plus exposées, n’ont jamais fait l’objet d’études scientifiques particulières par les musées qui les conservent dans les réserves de leurs collections.
À travers le monde, plusieurs États et institutions ont déjà restitué des têtes maories. Aujourd’hui, notre démarche est aussi guidée par leur geste moral et éthique exemplaire.
Cependant, ce débat en ouvre un autre, plus large et inquiétant. Certes, on ne peut s’empêcher de reconnaître les erreurs passées, souvent perpétrées au nom de la science, mais certains redoutent que la restitution des têtes maories ne crée un précédent qui ouvre éventuellement la voie à un dépouillement progressif et inexorable des collections nationales.
Qu’en sera-t-il, par exemple, des momies précieusement conservées et exposées au musée du Louvre ou des nombreuses reliques de saints que nous possédons à travers l’Hexagone ?
Ce geste éthique, respectueux de la dignité de l’homme comme de la culture et des croyances d’un peuple vivant, inspiré sans doute aussi par le poids de la culpabilité de l’histoire coloniale, ne doit absolument pas remettre en cause le principe d’inaliénabilité des collections nationales. La règle intangible doit rester celle du caractère inaliénable des œuvres d’art.
M. le rapporteur – au travail duquel j’ai plaisir à rendre hommage – nous propose aujourd’hui de compléter cette proposition de loi par des dispositions de nature à éviter de nouveaux recours à la loi pour ce type de problème. Nous avons en effet déjà dû légiférer en 2002 sur un cas similaire, qui concernait la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, généralement appelée la « Vénus hottentote », qui a été restituée à l’Afrique du Sud.
Dans les faits, la dérive redoutée à l’époque ne s’est pas vérifiée. Mais le fait que nous devions de nouveau légiférer prouve bien que la procédure administrative instaurée en 2002 dans le code du patrimoine pour le déclassement des biens constituant les collections des musées de France manque totalement d’efficacité.
Pour y remédier, on nous propose d’élargir la composition de la Commission nationale scientifique des collections à des personnalités qualifiées dans le domaine de l’éthique, des élus et des scientifiques, et d’étendre son champ de compétence à l’ensemble des collectivités publiques, voire privées, pour dépasser le cadre des seules collections des musées de France.
Par ailleurs, et c’est là l’essentiel, le texte vise à définir clairement les missions de cette commission. Jusqu’à ce jour, en effet, elle n’a nullement fait avancer la réflexion sur les cas de déclassement et, donc, sur les exceptions que nous pourrons tolérer au principe d’inaliénabilité des œuvres d’art. Or ce travail est fondamental si l’on souhaite pouvoir concilier les objectifs, d’une part, de protection de notre patrimoine culturel et, d’autre part, de respect de la dignité humaine et de toutes les cultures. La France accuse donc un net retard dans la réflexion à engager sur la gestion éthique des collections des musées.
C’est pourquoi, si la proposition de loi est adoptée, la Commission nationale scientifique des collections devra établir une doctrine générale en matière de déclassement et de cession.
Elle devra également rendre compte de ses conclusions au Parlement en lui remettant un rapport dans un an.
Puisque cette proposition de loi a clairement pour objectif de faire le point sur la politique de gestion éthique des collections d’œuvres d’art françaises, tout en protégeant ce qui doit rester la règle intangible, à savoir le caractère inaliénable des œuvres d’art, je me réjouis de voter en sa faveur avec l’ensemble du groupe RDSE.
Applaudissements sur les travées du RDSE, de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Mme Catherine Morin-Desailly a une portée bien plus large que la seule résolution du conflit juridique entre le tribunal administratif de Rouen et la municipalité de cette ville.
Ce texte non seulement autorise la restitution par la France à la Nouvelle-Zélande de la totalité des têtes maories conservées par l’ensemble des musées de France, mais il permet également aux législateurs que nous sommes de régler un « conflit de principes ».
Il nous appartient, ainsi, de concilier le principe fondamental, parce que garant de notre patrimoine historique, scientifique et artistique, de l’inaliénabilité des collections publiques, tout en adoptant une démarche éthique, fondée sur le principe de dignité de l’homme et du respect des cultures et des croyances d’un peuple vivant.
Le programme néo-zélandais de rapatriement des dépouilles maories mis en œuvre depuis 1992 auprès de l’ensemble de la communauté internationale traduit l’importance que revêt pour le peuple maori le retour de ses ancêtres sur leur terre d’origine.
Pour les Maoris, l’ensemble des parties du corps présentent, en effet, un caractère sacré, car elles portent en elles l’essence de la personne.
La tête des Maoris d’élite, et par la suite de certains esclaves, totalement tatouée, est considérée comme la partie la plus sacrée du corps.
Avant qu’elles ne fassent l’objet d’une convoitise insupportable et d’un commerce barbare de la part des colons européens, ces têtes étaient conservées par les familles des défunts maoris en témoignage de respect.
Permettre la restitution par la France des têtes maories est donc un impératif éthique, et le groupe socialiste du Sénat souscrit pleinement aux objectifs visés au travers de la proposition de loi de Mme Morin-Desailly.
Pour autant, comme pour la « Vénus hottentote », il nous faut concilier cet impératif éthique avec la règle juridique de l’inaliénabilité des collections publiques et, autant que faire se peut, régler définitivement ce conflit de principes.
Si la question se posait une nouvelle fois, un État serait demain fondé à demander la restitution d’une œuvre ou d’un objet originaire de son territoire, acquis de façon contestable par la France, mais faisant partie des collections publiques depuis souvent plusieurs siècles.
Comprenons-nous bien : il ne s’agit pas d’adopter une attitude protectionniste de repli sur soi, voire de méfiance en défendant les acquis de conquêtes aujourd’hui, certes, contestables, mais qui sont l’histoire. Il s’agit, au contraire, de conforter nos musées nationaux dans leur mission d’exposition, bien entendu, mais également de conservation et de recherche.
Il nous faut créer les conditions juridiques permettant à nos musées de s’ouvrir sur l’extérieur en suivant les évolutions sociologiques du monde, tout en les confortant dans leur mission de gardiens du patrimoine culturel national.
La loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France avait posé les bases d’une règle permettant de faire le lien entre les deux principes que nous devons aujourd’hui concilier, d’un côté, le principe, éthique, du respect de la dignité humaine et, de l’autre, le principe, juridique, de l’inaliénabilité des collections publiques.
Malheureusement, bien qu’elle ait été intégrée à la loi relative aux musées de France, cette possibilité d’extraire un bien du domaine public pour envisager, notamment, une cession est restée virtuelle.
La Commission scientifique nationale des collections des musées de France, instituée par décret le 25 avril 2002 et mise en place en 2003, a depuis tenu chaque année des réunions, mais elle n’a jamais eu à statuer sur un problème de déclassement. Elle n’a pas davantage engagé de réflexion en vue de définir des critères pour d’éventuels déclassements.
Quelle que soit la possible inertie des institutions muséales, d’ailleurs dénoncée par M. Philippe Richert dans son rapport, il était nécessaire de réactiver cette procédure de déclassement tout en l’encadrant de précautions.
C’est donc de manière fort opportune que M. Philippe Richert, dans le cadre des conclusions de la commission des affaires culturelles que nous examinons aujourd’hui, a souhaité compléter la proposition de loi de Mme Morin-Desailly.
Renommée « Commission scientifique nationale des collections » aux articles 2 et 3 nouveaux, la Commission voit désormais ses missions précisées et clarifiées, et son champ de compétence élargi.
Concernant la proposition d’ouvrir de nouvelles possibilités de transfert de propriété d’œuvres inscrites sur l’inventaire du Fonds national d’art contemporain et mises en dépôt auprès de collectivités territoriales, M. le rapporteur, du fait de nos réticences sur cet amendement, a accepté de le retirer, faisant preuve d’un esprit d’ouverture et de consensus qu’il convient de souligner.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste du Sénat estime que l’ensemble des conditions requises pour voter en faveur de ce texte sont réunies.
Nous pensons, cependant, qu’une réflexion reste à conduire sur la gestion éthique des collections des musées, notamment sur le statut des restes humains qui y sont présents. Ces sujets sont, bien entendu, sensibles et complexes, et la France est très en retard sur ces questions.
L’interdiction de l’exposition Our Body à Paris nous a montré la nécessité d’accompagner les professionnels des musées, conservateurs et restaurateurs.
Puissent ce texte et les nouvelles missions confiées à la Commission scientifique nationale des collections constituer une première étape de cette réflexion !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Monsieur le ministre, je vous souhaite à mon tour la bienvenue dans cet hémicycle.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame Morin-Desailly auteur de la proposition de loi, mes chers collègues, sept ans après le vote de la loi relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud, nous voici réunis de nouveau : rien n’a changé !
Nous sommes confrontés aux mêmes interrogations, aux mêmes incompréhensions et, j’allais dire, aux mêmes résistances que celles que nous avions alors rencontrées.
Il y a sept ans, il avait fallu en passer par le vote d’une loi pour régler un litige que l’administration française n’avait pas su ou pas voulu résoudre dignement, alors que la France n’avait pas honoré sa promesse de restitution faite oralement dix ans plus tôt par le Président de la République François Mitterrand à M. Nelson Mandela.
Le refus de la France de rendre Saartjie Baartman aux siens, qui la réclamaient, ne faisait que réveiller un peu plus les blessures d’un peuple trop longtemps écrasé sous le joug des humiliations, de l’exploitation et de l’asservissement, aux pires heures du colonialisme.
Très rapidement, lors des débats qui eurent lieu au Sénat, tout le monde, y compris le ministre, avait fini par admettre l’inutilité juridique du recours à la loi.
Alors que certains affirmaient le caractère inaliénable des biens appartenant aux collections publiques des musées, faisant de la France la « propriétaire » des restes de Saartjie Baartman, le ministre de la recherche de l’époque, M. Schwartzenberg, avait confirmé ce que j’avançais, à savoir qu’en vertu des lois de bioéthique de 1994 nul ne pouvait se déclarer propriétaire d’un élément du corps humain. La France n’était, en réalité, que la « gardienne » de la dépouille de Saartjie Baartman, bien mauvaise gardienne, au demeurant, puisque le squelette et les organes, comme l’a rappelé M. le rapporteur, pourrissaient au fond de la remise du musée de l’Homme à Paris !
Depuis 1974, ce musée avait, du reste, prudemment retiré de ses vitrines les restes de la « Vénus hottentote », conscient, sans doute, de l’inadéquation ou de l’indécence qu’il y avait à exhiber aux yeux du grand public, tel un phénomène de cirque, le corps d’une femme noire à la physionomie hors du commun.
Il faut dire que de telles expositions de spécimens humains étaient fréquentes au XIXe siècle et traduisaient une idéologie scientifique, fondée sur une classification de l’être humain selon de supposés critères raciaux qui, fort heureusement, n’ont plus cours aujourd’hui.
Dans les musées comme dans les exhibitions publiques qualifiées du nom terrible de « zoos humains », lesquelles avaient lieu lors des expositions universelles, l’existence même d’une vitrine de musée ou d’une simple grille trahit une idéologie qu’il nous faut désormais absolument rejeter.
Ces grilles ou vitrines tracent, en effet, une frontière invisible, mais tangible, entre « eux » et « nous » ; eux, c’est-à-dire les peuples dits « primitifs », dont les dépouilles ou les restes humains sont exhibés comme des trophées, et nous, peuple occidental, peuple de découvreurs, peuple se disant supérieur, peuple de conquérants.
Il nous faut comprendre ce que ressentent les descendants de ces peuples lorsqu’ils apprennent la survivance de restes de leurs proches ancêtres dans les musées français.
Transposons un instant la situation. Que ressentirions-nous si nous apprenions que, quelque part dans le monde, des têtes de soldats français étaient exposées derrière les vitrines de musées ? Avouons-le, cette vision d’horreur aurait pour nous un caractère insupportable. Pourtant, quelle différence existe-t-il vraiment ?
Le don des têtes maories à la France ne date que de 1875. Or, précisément, ce sont des crânes de guerriers, de chefs de village, de personnages de haut rang. Eh bien, pour le peuple maori, il est insupportable de savoir que les restes de leurs ancêtres illustres sont exposés ainsi dans les musées français !
Il faut dire que ces exhibitions réactivent des blessures anciennes.
Alors que les tribus maories constituent les premières populations natives des îles de Nouvelle-Zélande et leurs principaux occupants pendant près de dix siècles, elles ont été littéralement décimées au XIXe siècle par l’arrivée des colons européens.
L’introduction d’armes à feu sur le territoire néo-zélandais conduisit, en effet, à des guerres intertribales sanglantes.
Il en résulta une véritable extermination de certaines tribus et des déportations, auxquelles s’ajoutèrent les épidémies apportées par les Européens.
Enfin, la Couronne britannique prit prétexte des rébellions provoquées par l’achat contesté de terres pour confisquer de vastes parcelles aux tribus maories, à titre de représailles.
Après la perte de leurs terres, les maoris sont alors entrés dans une période de déclin, si bien qu’on crut à leur disparition complète.
Les têtes maories qui ont été découvertes au sein des villages décimés, et qui constituaient pour ces peuples des objets sacrés comme des trophées de guerre, firent alors l’objet d’un trafic sordide.
Notre excellente collègue Catherine Morin-Desailly, auteur de la proposition de loi, nous rapporte même que des esclaves, qui n’étaient donc pas des chefs guerriers, ont été tatoués à seules fins d’être ensuite décapités pour faire l’objet d’échanges. Ces traitements barbares font frémir.
Nous ne sommes pas directement responsables des malheurs du peuple maori, tout comme nous ne l’étions pas de ceux du peuple khoisan auquel appartenait la Vénus hottentote. Mais nous serions coupables si nous continuions à conserver des reliques maories, sans plus aucun intérêt scientifique, dans les remises de nos musées. Il est du moindre de nos devoirs d’aider ces peuples à tourner la page d’une histoire récente et douloureuse.
Bien entendu, une telle restitution doit être entourée d’un certain nombre de précautions. Loin de moi l’idée d’ouvrir la boîte de pandore de tous les musées de France ! Il ne s’agit pas, ici, de créer une jurisprudence qui conduirait à rendre à de supposés descendants tous les ossements de la préhistoire ou toutes les momies de l’Égypte ancienne, même si nous nous devons de conserver et de présenter ces restes humains dans des conditions respectueuses, décentes et dignes.
Nous parlons, ici, d’une histoire quasi contemporaine, de peuples en pleine reconstruction identitaire, qui cherchent à sauvegarder leur culture, à préserver leurs rites, à rendre leur dignité à leurs ancêtres.
Il s’agit, ici, d’entendre la demande de gens qui ont souffert dans leur histoire récente et qui s’identifient à ces reliques.
En leur restituant leurs ancêtres, nous devons les aider à tirer un trait sur les querelles et les tensions qui ont pu les opposer, par le passé, à ceux qu’ils considéraient comme des occupants.
Je tiens à signaler, enfin, que par expérience j’ai pu mesurer à quel point la restitution d’une dépouille mortelle, qui a fait l’objet d’une demande officielle par le gouvernement de son pays d’origine, avait permis de réchauffer de manière très significative les relations diplomatiques entre notre pays et le pays demandeur. C’est ce que m’ont confirmé de nombreux diplomates français et sud-africains à l’issue de l’affaire de la Vénus hottentote.
Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler que de nombreux pays, tels les États-Unis, la Suisse, le Royaume-Uni, le Danemark ou l’Argentine, ont déjà enclenché un vaste mouvement de restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande. Il serait incompréhensible que la France restât à l’écart de cette dynamique.
C’est également la raison pour laquelle je m’inscris totalement dans la démarche qui consiste à choisir comme critère principal, pour faire droit à la demande de restitution, le fait que cette demande émane bien des autorités gouvernementales du pays d’origine et non de l’une ou l’autre des tribus qui revendiquent la filiation.
Il convient effectivement d’éviter, en attribuant sans discernement ces restes humains, de réactiver les conflits ethniques ou revendicatifs au sein d’une nation.
Personnellement, je serais assez favorable à la création d’une instance internationale chargée de se prononcer sur le bien-fondé des demandes de restitution des dépouilles humaines conservées dans les musées, indépendamment des avis des États. Cette instance indépendante serait composée de hautes personnalités, d’experts reconnus, d’anthropologues, d’ethnologues, de généticiens et d’historiens. Elle pourrait être rattachée à l’ONU ou à l’UNESCO, car il ne s’agit plus de défendre un bien ou une œuvre d’art relevant du droit patrimonial d’un État, mais d’assurer le respect et la dignité qui sont universellement reconnus à l’ensemble de l’humanité.
Puisqu’il s’agit de respect et de dignité, je tiens à faire ici le point sur les questions juridiques que soulèvent, de manière récurrente, les demandes de restitution. En effet, certains chercheurs, anthropologues en particulier, ont pu écrire ici ou là que les lois de bioéthique ne concernaient en réalité que l’être humain vivant et ne seraient pas, de ce fait, applicables au cas des restes humains, donc morts, traités par les musées. Il est vrai que seule la personne vivante est considérée comme sujet de droit : selon ces auteurs, les lois de bioéthique de 1994 protégeraient avant tout la personne vivante dans son intégrité physique et morale, par exemple contre les expérimentations ou le trafic d’organes. De même, les articles 16 à 16-9 du code civil relatifs au respect du corps humain ne concerneraient que la personne vivante jusqu’à son décès, en posant le principe de l’inviolabilité et l’indisponibilité de son corps en tant que personne pour le commerce et le droit patrimonial.
Aux personnes qui agitent de tels arguments juridiques, je veux, après l’auteur de la proposition de loi, rappeler une jurisprudence récente. Mes chers collègues, vous vous souvenez de l’exposition organisée au printemps dernier à l’Espace 12 Madeleine, à Paris : celle-ci présentait l’anatomie de dix-sept cadavres d’origine chinoise. Or cette exposition a été interdite par une ordonnance de référé, rendue par le président du tribunal de grande instance de Paris, puis confirmée par la cour d’appel de Paris. Dans son ordonnance, le juge a en effet estimé que cette exposition représentait « une atteinte illicite au corps humain » et que les mises en scènes déréalisantes de ces corps manquaient de « décence ». « L’espace assigné par la loi au cadavre, rappelle le juge, est celui du cimetière ».
En réalité, cette interdiction a été prononcée en application des dispositions de l’article 16-1-1 du code civil, introduites par la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, en vertu desquelles « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort ». En conséquence, « les restes des personnes décédées […] doivent être traités avec respect, dignité et décence ».
Au vu de la législation, confirmée par la jurisprudence, on ne peut donc plus dire que les restes humains peuvent constituer des « objets » de musée, comme les autres. En tant qu’éléments du corps humain, ils méritent respect, dignité et décence, et leur place n’est plus derrière une vitrine de musée, mais bien dans un cimetière. Les têtes maories n’échappent pas à cette règle.
Compte tenu des dimensions identitaire, symbolique, diplomatique et juridique de cette affaire, il faut donc faire droit, mes chers collègues, à la demande de restitution des têtes maories, exprimée par la Nouvelle-Zélande. Laissons ces têtes repartir et reposer en paix dans leur terre natale qui les attend, inhumées dignement, c’est-à-dire par leur peuple et selon ses rites ancestraux.
Puissions-nous un instant, mes chers collègues, faire résonner en nous la voix du peuple maori qui nous rappelle, dans l’un de ses proverbes anciens, que « la terre est une mère qui ne meurt jamais ».
Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Odette Terrade et M. Richard Tuheiava applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est au nom de mon collègue Ivan Renar, avec lequel j’ai cosigné la proposition de loi de Mme Catherine Morin-Desailly, que j’interviens aujourd’hui.
J’ai pu constater que, dans le cadre des débats relatifs aux lois de bioéthique, par exemple, les citoyens se montrent particulièrement sensibles au respect de la dignité de la personne humaine et rétifs à tout ce qui s’apparente à sa marchandisation. On ne peut valablement s’interroger sur la vie sans réfléchir également au rapport des vivants à la mort. C’est pourquoi notre assemblée s’honore en permettant la restitution à la Nouvelle-Zélande, qui les réclame, des têtes maories conservées par les musées de France, d’autant que, comme certains de nos collègues l’ont rappelé, ces têtes sont parvenues dans notre pays dans un contexte colonialiste et raciste où les peuples non occidentaux étaient considérés comme inférieurs, justifiant ainsi massacres et trafics sordides.
Ces têtes pourront ainsi être inhumées dignement et dans le respect des rites funéraires du peuple maori. On ne peut ignorer que le respect des dépouilles mortelles, dans la diversité des coutumes ancestrales, a profondément contribué à humaniser les sociétés mais aussi à civiliser les hommes. La mythologie grecque, par exemple, évoque les croyances et les lois parfois non écrites qu’il est essentiel de ne pas transgresser. Ainsi d’Antigone qui décide, au péril de sa vie, de rendre les honneurs funèbres à son frère malgré l’interdiction du roi Créon. Antigone n’est-elle pas un beau symbole de la nécessité ontologique d’offrir une sépulture digne aux défunts ?
Le fait que la décision prise par le conseil municipal de Rouen de restituer une tête maorie ait suscité un tel débat, à la fois éthique et juridique, témoigne des lacunes et du retard de notre réflexion sur ces questions. Aussi, notre groupe sera particulièrement vigilant quant à la « réactivation » indispensable de la procédure de déclassement de biens appartenant aux collections publiques, introduite dans la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France, mais malheureusement demeurée virtuelle ! Nous avons perdu beaucoup de temps : il est essentiel, tout en confortant la portée du principe d’inaliénabilité, auquel nous sommes très attachés, de disposer de critères clairs en la matière.
Nous partageons également la préoccupation de ne pas limiter la composition de la commission spécifique chargée du déclassement aux seuls professionnels de la conservation. On ne peut réduire les restes humains à de simples objets de collection et l’approche éthique dépasse les seules considérations patrimoniales ou scientifiques. C’est pourquoi il est tout à fait pertinent d’ouvrir cette commission à des personnalités qualifiées en particulier, tout comme aux représentants de l’État et des collectivités territoriales ainsi qu’à un parlementaire de chacune des assemblées.
Notre groupe sera donc particulièrement attentif à l’application de l’article 4 de la proposition de loi, qui donne en quelque sorte rendez-vous au Parlement dans un an, afin de s’assurer de l’avancée concrète des travaux de la Commission scientifique nationale des collections en matière de déclassement ou de cession. Alors que de nombreux musées américains, australiens et européens ont déjà donné leur feu vert à cette demande des plus légitimes de la Nouvelle-Zélande, il est urgent que notre pays clarifie sa position sur le statut des biens issus des corps humains. Après le précédent de la « Vénus hottentote » il y a sept ans, le débat sur les têtes maories aujourd’hui, il est important que les musées français puissent, à l’avenir, répondre sereinement aux nouvelles demandes de restitution, sans qu’il soit nécessaire de légiférer si de nouvelles situations équivalentes se présentent.
Permettre que les morts reposent en paix n’est-il pas une condition pour que les vivants eux-mêmes vivent en paix ? Cette question est d’autant plus universelle que, si nous remontons aux origines de l’humanité, nous avons tous les mêmes ancêtres !
Si nous avons cosignés seuls, Ivan Renar et moi-même, cette proposition de loi, l’ensemble du groupe CRC-SPG est bien sûr favorable à la restitution des têtes maories, d’autant plus que cette restitution participe pleinement du dialogue et des échanges interculturels que nous avons toujours encouragés. Je me réjouis donc pour le peuple maori, qui pourra ainsi donner enfin à ses ancêtres une sépulture conforme à sa culture et à ses traditions.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, mon groupe votera avec conviction cette proposition de loi, qui nous donne des responsabilités nouvelles à l’égard des morts comme des vivants.
Applaudissements au banc des commissions. – M. Robert Laufoaulu applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons ensemble, cet après-midi, une proposition de loi, déposée par nos collègues du groupe de l’Union centriste, ayant pour objet d’autoriser la restitution à la Nouvelle-Zélande de têtes maories conservées en France.
Il s’agit, vous en conviendrez tous, en dépit du très court texte qui nous est soumis, d’un thème législatif d’une importance cruciale pour le patrimoine national, en particulier devant les nouveaux enjeux internationaux qui se présentent.
En tant que polynésien intimement lié à la cause maorie – il est de coutume, dans nos contrées insulaires, de dire que les Maoris sont nos « cousins » culturels –, je suis profondément sensible au sujet qui nous réunit cet après-midi. Il est ici question d’éthique, de dignité humaine post mortem, de diversité culturelle et de respect d’un système de croyances propre au peuple maori du « pays du long nuage blanc » ou Aotearoa, plus connu sous l’appellation Nouvelle-Zélande. Il est aussi question de la « sacralité » partagée par tous les peuples océaniens, dont certains font partie, je vous le rappelle, de la République française : Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, dont je suis le représentant aujourd’hui. Pour ne vous citer que deux exemples, le terme maori n’est que la forme locale du terme ma’ohi, qui désigne l’autochtone en Polynésie française ; je m’attache également à obtenir l’inscription sur la liste du patrimoine mondial d’un site polynésien qui représente, pour les Maoris, le dernier lieu de repos des âmes de tous les ancêtres maoris, quel que soit leur lieu de sépulture.
En tant que parlementaire, je ne peux que m’inscrire dans cette dynamique législative novatrice et ouverte vers l’Autre, dont l’éthique prend le dessus sur les clivages politiques nationaux et régionaux. À l’annonce de l’examen en séance publique de cette proposition de loi, je n’ai pu résister à l’impérieux réflexe protocolaire de prendre l’attache de nos cousins maoris d’Aotearoa, afin de veiller, à mon modeste niveau, à ce que l’objet de la loi soit toujours conforme à leurs souhaits. Tel est le cas, mais j’imagine que mes collègues de l’Union centriste qui sont à l’origine de la proposition de loi en étaient déjà persuadés.
Je n’ai pas non plus résisté au désir de prendre la température « sur le terrain » en visitant, avant-hier, le musée d’histoire naturelle de Rouen et la réserve où se trouve la tête maorie momifiée, en présence des autorités municipales et de la direction du musée, afin de comprendre les enjeux locaux, nationaux et internationaux de cette problématique. Il m’a aussi été donné, à cette occasion, de rendre visite à Mme la député-maire de Rouen qui m’a assuré de sa détermination et de celle de son conseil municipal – où siège également notre collègue Catherine Morin-Desailly – à voir aboutir la démarche de restitution de la tête maorie momifiée aux autorités néo-zélandaises.
Je souhaiterais au passage saluer officiellement le courage et l’audace dont a fait preuve la municipalité de Rouen, aussi bien l’actuelle que la précédente, en choisissant de faire droit à la demande des autorités néo-zélandaises. Elle a provoqué le débat qui nous occupe aujourd’hui, en prenant sa décision contra legem, c’est-à-dire en s’opposant sciemment à l’état du droit positif français qui classe encore les restes du corps humain comme « objets de collection » des musées de France ; en définitive, elle a relancé le pavé dans la mare ! Ce courage méritait d’être salué.
Notre collègue Catherine Morin-Desailly a rappelé très justement les deux normes internationales qui trouvent à s’appliquer, en la matière, en France : la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ratifiée par la France en 2007, mais aussi le code de déontologie de l’ICOM.
Par solidarité envers nos cousins culturels du Pacifique, par conviction traditionnelle profonde, mais également par souci d’éthique, je voterai donc « pour » le principe de la proposition de loi qui sera examinée par la Haute Assemblée, et proposerai quelques modestes amendements qui me paraissent nécessaires.
Mais, au-delà de ce vote d’une proposition de loi nominative de circonstance relative aux têtes maories encore entreposées en France, il s’agit de poser publiquement la question plus générale de l’état du droit positif français concernant le respect dû aux restes du corps humain. Nous ne pourrons plus traiter éternellement, au cas par cas, ce type de sollicitations internationales au moyen de lois nominatives de circonstance, sans mettre la France en réelle difficulté face à la prise de conscience croissante par les pays environnants de l’existence des outils internationaux que je viens de citer. C’est d’ailleurs ce vide juridique qui a conduit le comité de pilotage de la ville de Rouen, pour ne citer que cet exemple, à engager la démarche de restitution de la tête maorie momifiée que son musée d’histoire naturelle conservait en réserve depuis 1875.
Il nous faudra donc repenser, dans un avenir prochain, notre législation et notre réglementation inadaptées à ce type de situation, en tranchant clairement ce débat juridico-culturel émergent, tout en instituant des garanties légales innovantes qui ne laissent plus transparaître, en filigrane, un passé colonial dont tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il était peu glorieux !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.
Monsieur le ministre, je m’associe aux orateurs précédents pour vous souhaiter la bienvenue au Sénat.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le respect dû aux croyances d’un peuple nous amène aujourd’hui à examiner une proposition de loi autorisant la restitution à la Nouvelle-Zélande des têtes maories détenues par les musées français.
Les têtes humaines tatouées et momifiées sont une tradition du peuple maori et revêtent, dans sa culture, un caractère sacré.
Avant l’arrivée des Européens, les chefs maoris étaient tatoués selon des codes très précis, à la fois sociaux et religieux, relevant de la tribu à laquelle ils appartenaient. Lorsque l’un d’entre eux mourait au combat, sa tête était conservée et exposée dans un endroit consacré à sa mémoire jusqu’au moment où l’on estimait que l’âme du défunt était partie. La tête était alors inhumée près de son village.
Les Européens, entrés au contact de ces populations au cours du XVIIIe siècle, furent fascinés par ces têtes ornées et en rapportèrent quelques-unes en Europe. La demande des collectionneurs fut tellement forte qu’un véritable commerce s’instaura entre les Maoris et les Européens.
La raréfaction rapide des têtes donna lieu à des supercheries : certains Maoris n’hésitèrent pas à tatouer des esclaves puis à les exécuter pour obtenir des têtes. La révélation publique de ces pratiques suscita en Angleterre un scandale tel que la reine Victoria fit voter une loi en 1831 interdisant le commerce des têtes entre la Nouvelle-Zélande et l’Australie.
Le peuple maori n’a pas disparu, il représente aujourd’hui environ 600 000 personnes. Depuis les années soixante, le gouvernement néo-zélandais a adopté une politique de soutien à la culture maorie, s’accompagnant de mesures de restitutions de terres et d’indemnisation des tribus spoliées.
Le gouvernement néo-zélandais a également mis en place un programme de rapatriement et d’identification des têtes coupées, en vue de leur restitution aux tribus. Ces restes humains recevront ainsi une sépulture conforme aux rites et traditions de leurs communautés d’origine.
Répondant à cette démarche, de nombreux pays ont restitué les têtes maories qu’ils détenaient. Ainsi, 322 restes humains ont été restitués, sur un total estimé à environ 500.
En France, la ville de Rouen a été la première à restituer une tête détenue par son muséum. Mais cette restitution a eu lieu alors que le tribunal administratif en avait décidé autrement, invoquant l’inaliénabilité des biens constituant les collections des musées de France. Cette affaire mit en évidence un certain vide juridique.
L’initiative de Mme Morin-Desailly vient clore le débat ouvert sur le sort des têtes maories. Sa proposition de loi compte de nombreux cosignataires, dont je suis, et je me réjouis que sa discussion ait pu être inscrite à notre ordre du jour.
Il s’agit d’appliquer un principe reconnu par le droit international : le respect de la dignité humaine et de la culture d’un peuple. Comme l’a souligné notre rapporteur, la restitution des têtes maories est un « geste éthique ».
Cependant, les opposants à la restitution de restes humains font valoir que ces restes peuvent présenter un intérêt scientifique imposant leur mise à disposition pour des études futures. Le maintien des têtes maories au sein de nos collections pourrait par ailleurs se justifier par leur valeur de témoignage historique, comme l’ont fait valoir certains conservateurs de musée.
Mais les opposants à la restitution des têtes maories craignent surtout que l’existence d’un précédent n’ouvre la voie à une fuite des pièces des collections nationales. Les demandes de restitution, si elles se multipliaient, pourraient mettre en péril l’intégrité des collections. Il faut tenir compte de cet aspect. Pour cette raison, la proposition de loi se garde de donner une réponse législative générale et définitive à la question de la restitution de restes humains. La demande de restitution constitue un cas particulier bien spécifique. Elle n’est pas automatisée mais seulement autorisée pour le cas maori.
On voit comme le sujet est complexe et nécessite une réflexion d’ensemble sur la restitution de restes humains, réflexion qui doit être menée en premier lieu par les responsables des musées. En effet, si nous réglons aujourd’hui un cas d’espèce, il ne faudrait pas, comme l’a souligné notre rapporteur, que le Parlement soit contraint de légiférer prochainement sur des cas semblables.
Je tiens à saluer le travail de notre rapporteur Philippe Richert, qui s’était déjà impliqué en 2002 dans le débat législatif pour la restitution des restes de la « Vénus hottentote ».
Un amendement adopté par la commission vient compléter la proposition de loi afin de réactiver la procédure de déclassement instituée en 2002 par la loi sur les musées de France. La composition et les missions de la Commission scientifique nationale sont modifiées, afin qu’elle devienne véritablement opérationnelle.
Cette commission aura notamment pour vocation de définir une « doctrine » générale en matière de déclassement et de cession, permettant d’éclairer les propriétaires et les gestionnaires de collections dans leurs décisions. Elle devra remettre, dans le délai d’un an, un rapport sur ses orientations en matière de déclassement.
Ces dispositions me semblent utiles car la loi de 2002 permettant le déclassement des biens culturels et donc leur restitution n’a pas trouvé d’application depuis son adoption.
Il apparaît urgent d’aborder ce débat et de poser aussi clairement que possible des principes qui guideront les démarches des professionnels de nos musées.
Bien évidemment, le groupe UMP votera cette proposition de loi ainsi amendée.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise sur la restitution des têtes maories repose sur un élan éthique partagé, qui honore la ville en ayant pris l’initiative et l’auteur du texte, et qui invite à l’approbation.
Ce débat s’inscrit dans un double héritage : la loi du 6 mars 2002 sur la restitution à l’Afrique du Sud de la dépouille de Saartjie Baartman et la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France.
Concernant le texte de 2002, un débat préalable avait à la fois mis en avant l’inaliénabilité des collections des musées prévue à l’article L. 52 du code du domaine de l’État et le respect dû au corps humain posé par la loi bioéthique de 1994 qui dispose que « le corps humain [...] ne peut faire l’objet d’un droit patrimonial ».
Malgré ce dernier point, ni le ministère ni les musées n’avaient donné suite aux demandes de l’Afrique du Sud, et nous avons dû légiférer. Dans cet hémicycle, le ministre de la recherche de l’époque plaidait que l’on « rende justice à cette femme, qui a été l’objet, durant et après sa vie, comme Africaine et comme femme, de tant d’offenses procédant du colonialisme, du sexisme et du racisme, qui ont longtemps prévalu ».
Il n’est pas inutile de rappeler ici que, dans le rapport qu’il présenta à l’Académie de médecine, Cuvier concluait que « les races à crâne déprimé et comprimé sont condamnées à une éternelle infériorité », et que ce n’est qu’en janvier 2008 que j’ai enfin pu faire éradiquer, avec le soutien de la commission des affaires culturelles, le mot « race » d’un texte de loi sur l’audiovisuel, le Sénat se montrant en avance sur les conceptions de l’autre chambre. Nous avons échoué à éradiquer le mot « race » de la Constitution, mais nous y reviendrons.
Au cours du débat de 2002, le risque du « précédent » d’aliénabilité, qui menacerait les collections, avait été soulevé.
Dans la loi sur les musées, on avait senti vaciller l’inaliénabilité, par l’installation dans le paysage de la notion de déclassement et par l’arrivée inédite aussi d’un amendement de l’Assemblée nationale préconisant un délai de trente ans avant classement.
D’autres événements, dans un contexte de tension du marché et de rareté des subventions publiques, ont laissé se développer la notion de rentabilité des institutions culturelles, au travers de la vente de leur « marque » à l’international, et avec le prêt d’œuvres, aux limites du « leasing », promesse de vente après versements réguliers.
C’est dans ce contexte qu’il faut interpréter la légitimité de certaines réticences, qui nous invitent tous à la vigilance sur l’inaliénabilité.
C’est dans ce contexte que notre commission n’a pas souhaité étendre les possibilités de déclassement de la Commission scientifique nationale des collections et nous en remercions M. le rapporteur.
Mais pour ce qui est des têtes maories, comme de tout reste humain faisant sens pour un peuple le revendiquant au nom de ses mœurs et de sa culture, et particulièrement au nom du respect dû aux ancêtres, les sénateurs Verts sont résolument favorables à ce que notre pays et ses musées rendent avec dignité ce que l’histoire, l’emprise d’un peuple sur un autre, ou les goûts douteux de collectionneurs ont enlevé à leur pays d’origine.
Les mœurs de tatouage du visage des chefs maoris, le moko, étaient pour ceux-ci une fierté et une épreuve : les entailles au couteau en os, puis l’application de suie de l’arbre à gomme, ou de chenilles carbonisées, n’étaient pas une partie de plaisir ; il fallait tout le rite et la cérémonie, les chants et les cataplasmes de feuilles pour que le jeune homme y résiste. La souffrance était telle que l’on nourrissait ensuite le jeune guerrier avec un entonnoir en bois durant des semaines.
Les esclaves que l’on tatoua en simulacre de chef pour vendre leur tête n’eurent, eux, que la souffrance, sans les honneurs.
Les Maoris sont vivants, reconnus et actifs en Nouvelle-Zélande et dans l’ensemble polynésien. Ils siègent dans les instances officielles.
Le 20 avril 2009, ils ont accompagné à l’Assemblée générale des Nations unies Helen Clark, nommée administrateur du programme des Nations unies pour le développement, le PNUD, par une cérémonie de chants et de danses rituels, le powhiri.
Helen Clark a été Premier ministre de Nouvelle-Zélande de 1999 à 2008. Travailliste, dans le cadre de ses fonctions, elle avait donné priorité à l’accès au logement, à la protection de la biodiversité, à la santé publique, à l’égalité des sexes et aux liens entre les Maoris et les Pakehas, c’est-à-dire les Néo-Zélandais d’origine anglo-saxonne ou européenne.
C’est dans cet esprit de liens et de respect que nous sont demandées les têtes maories, et c’est pour nous un devoir moral et historique que de construire rapidement les conditions de leur retour. C’est pourquoi nous soutiendrons ce texte, parce qu’il est resté dans son épure éthique initiale.
Applaudissements sur l’ensemble des travées
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
PROPOSITION DE LOI VISANT À AUTORISER LA RESTITUTION PAR LA FRANCE DES TÊTES MAORIES ET RELATIVE À LA GESTION DES COLLECTIONS
Intitulé modifié par la commission
À compter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi, les têtes maories conservées par des musées de France cessent de faire partie de leurs collections pour être remises à la Nouvelle-Zélande.
Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 2, présenté par M. Tuheiava, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Cette restitution devra se faire dans un délai maximum de 6 mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi.
L'amendement n° 3, présenté par M. Tuheiava, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Cette restitution devra se faire dans un délai maximum d'un an à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi.
La parole est à M. Richard Tuheiava, pour présenter ces deux amendements.
Ils peuvent en effet être présentés en même temps, puisque l’amendement n° 3 est un amendement de repli.
Le texte de la proposition de loi, comme celui de la commission, ne fixe aucun délai pour engager la démarche de restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande. En l’absence d’une telle disposition, le texte manquerait de visibilité, et donc de crédibilité, vis-à-vis des autorités néo-zélandaises.
Par ailleurs, l’absence de délai de restitution ferait la part belle à d’éventuelles tentatives éparses de mesures dilatoires – comme une condition préalable d’inventaire – qui pourraient vider la loi de sa substance.
C'est la raison pour laquelle j’ai décidé de déposer deux amendements : l’un tend à prévoir un délai de restitution maximal de six mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi ; l’autre, un délai d’une année, lequel correspond à celui qui est fixé à la Commission scientifique nationale des collections pour remettre un rapport au Parlement.
Cher collègue Tuheiava, j’aurais pu être tenté d’émettre un avis favorable car, initialement, je souhaitais instaurer un délai limite d’une ou deux années. Mais nous avons rencontré l’ambassadrice de Nouvelle-Zélande en France. Nous lui avons soumis notre idée de fixer un tel délai, et c’est elle qui nous a demandé de ne pas le faire. Elle a souligné que les cérémonies qui précédent l’accueil des ancêtres, qui pourront avoir lieu dans un ou plusieurs musées, et le rapatriement des têtes prendront peut-être plus de temps que prévu. Elle préférerait qu’aucune date butoir ne soit fixée afin que les procédures puissent se dérouler dans des conditions sereines et respectueuses de la façon dont les tribus souhaitent réintégrer leurs ancêtres dans leur mémoire et leur existence.
Afin d’éviter l’inconvénient que vous avez signalé, la commission a complété la rédaction de l’article 1er pour préciser que les têtes maories devaient être rendues à la Nouvelle-Zélande. Par cette disposition, qui ne figurait pas dans le texte initial, il s’agit d’éviter qu’un musée ne déclasse un de ces biens, sans le rendre pour autant.
Aussi, je vous demande de bien vouloir retirer ces deux amendements. À défaut, je serais amené à émettre, à regret puisque nos analyses convergent parfaitement, un avis défavorable.
L'article 1 er est adopté.
Le titre Ier du livre Ier du code du patrimoine est complété par un chapitre 5 ainsi rédigé :
« Chapitre 5
« Commission scientifique nationale des collections
« Art. L. 115-1. - La commission scientifique nationale des collections a pour mission de conseiller les personnes publiques ou les personnes privées gestionnaires de fonds régionaux d'art contemporain, dans l'exercice de leurs compétences en matière de déclassement ou de cession de biens culturels appartenant à leurs collections, à l'exception des archives et des fonds de conservation des bibliothèques.
À cet effet, la commission :
« 1° Définit des recommandations en matière de déclassement des biens appartenant aux collections visées aux 2° et 3°, et de cession des biens visés au 4° ; elle peut également être consultée, par les autorités compétentes pour procéder à de tels déclassements ou cessions, sur toute question qui s'y rapporte ;
« 2° Donne son avis conforme sur les décisions de déclassement de biens appartenant aux collections des musées de France et d'œuvres ou objets inscrits sur l'inventaire du Fonds national d'art contemporain et confiés à la garde du Centre national des arts plastiques ;
« 3° Donne son avis sur les décisions de déclassement de biens culturels appartenant aux autres collections qui relèvent du domaine public ;
« 4° Peut être saisie pour avis par les personnes privées gestionnaires de fonds régionaux d'art contemporain, lorsque les collections n'appartiennent pas au domaine public, sur les décisions de cession portant sur les biens qui les constituent.
« Art. L. 115-2. - La commission scientifique nationale des collections comprend un député et un sénateur nommés par leurs assemblées respectives, des représentants de l'État et des collectivités territoriales, des professionnels de la conservation des biens concernés et des personnalités qualifiées.
Un décret en Conseil d'État précise sa composition et fixe ses modalités de fonctionnement. » –
Adopté.
À l'article L. 451-5 du code du patrimoine, les mots : « d'une commission scientifique dont la composition et les modalités de fonctionnement sont fixées par décret » sont remplacés par les mots : « de la commission scientifique nationale des collections mentionnée à l'article L. 115-1 ». –
Adopté.
La commission scientifique nationale des collections mentionnée à l'article L. 115-1 du code du patrimoine remet au Parlement un rapport sur ses orientations en matière de déclassement ou de cession des biens appartenant aux collections, dans un délai d'un an suivant la publication de la présente loi. –
Adopté.
L'amendement n° 1, présenté par M. Tuheiava, est ainsi libellé :
Dans l'intitulé de la proposition de loi, après les mots :
têtes maories
insérer les mots :
à la Nouvelle-Zélande
La parole est à M. Richard Tuheiava.
Cet amendement tend à préciser, dans l’intitulé de la proposition de loi, l'identité de l'État bénéficiaire de la restitution des têtes maories, c'est-à-dire la Nouvelle-Zélande. Loin d'être superfétatoire, cette précision s'avère nécessaire, puisqu’elle clarifie le périmètre d'application de la proposition de loi. J’espère que mon amendement recueillera l’assentiment de tous.
Le Gouvernement émet également un avis favorable.
L'amendement est adopté.
Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
L’intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.
La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
J’ai été sensible aux interventions de mes collègues, et particulièrement à celle de notre collègue de Polynésie française, Richard Tuheiava, qui nous a apporté une vision différente.
Je voudrais également remercier M. le ministre pour sa compréhension et sa sensibilité, ainsi que M. le rapporteur, qui a modifié très utilement ma proposition de loi, notamment en précisant que les têtes maories déclassées des collections devront être restituées à la Nouvelle-Zélande.
Je tiens à dire à M. Tuheiava, qui a accepté de retirer ses amendements relatifs au délai limite de restitution, que nous serons particulièrement attentifs, lorsque la Nouvelle-Zélande sera prête – la préparation des cérémonies pouvant, en effet, prendre un certain temps –, à ce que les portes des réserves de nos musées ne se referment pas, mais, qu’elles s’ouvrent, au contraire, largement pour accueillir les Maoris qui viendront chercher leurs ancêtres. Cette démarche n’a de sens que si elle est menée jusqu’à son terme.
Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
La proposition de loi est adoptée. – Applaudissements sur l’ensemble des travées.
Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.
La parole est à M. le ministre.
Je tiens tout d’abord à remercier très chaleureusement Mme Catherine Morin-Desailly, qui a pris l’initiative de ce texte et qui doit se sentir récompensée de ses convictions et de l’engagement moral qu’elle avait pris à l’égard de la communauté maorie, puisque cette proposition de loi vient d’être adoptée.
Je remercie également le rapporteur M. Richert de la qualité de son travail. J’y ai retrouvé sa profonde implication sur ces questions.
Je souhaiterais faire deux observations.
La première est grave. On ne construit pas une culture sur un trafic ou sur un crime – je pense notamment aux esclaves qui se sont retrouvés pris au piège d’horribles commerces exercés par des Européens, peut-être même avec des complicités locales. En revanche, on construit une culture sur le respect et l’échange. Cela semble une évidence, mais il n’est peut-être pas inutile de rappeler. On construit une culture sur une véritable pratique de la mémoire et sur le respect d’un certain nombre de procédures et de lois.
Je vous sens émue, madame Morin-Desailly, et nous partageons votre émotion.
La seconde observation que je veux formuler est beaucoup plus frivole : dans le cadre du présent débat, le mot « inaliénabilité » est décidément difficile à prononcer !
Rires. – Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.