Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’objectif de ce texte est complexe. Il vise à concilier deux impératifs en apparence contradictoires : permettre que la diversité et la richesse des opinions en Corse soient représentées au sein de l’Assemblée territoriale de l’île, tout en veillant, ce qui est normal, à ce que cette assemblée puisse remplir sa mission et dégager la majorité nécessaire à toute prise de décision.
La proposition de loi de notre collègue Nicolas Alfonsi, qui nous est soumise en seconde lecture, après avoir été adoptée le 18 juin dernier par l’Assemblée nationale, nous permettra, j’en suis sûr, de relever ce défi.
Le mode de scrutin actuel de l’assemblée territoriale de Corse date de 1991. Il a failli être modifié en conséquence du projet de nouvelle organisation institutionnelle qui avait été soumis aux électeurs de Corse en 2003.
Les règles qui régissent l’élection de l’Assemblée de Corse sont simples. Pour se présenter au second tour, il suffit d’obtenir 5 % des suffrages exprimés, alors qu’un résultat de 10 % est requis pour les élections aux autres assemblées régionales.
Aucun minimum n’est exigé pour pouvoir fusionner. Dès lors qu’une liste a été candidate au premier tour, elle peut fusionner avec toute liste présente au second tour.
Enfin, une prime majoritaire de trois sièges est accordée à la liste qui remporte les élections, ce qui, au regard des 51 sièges de l’Assemblée territoriale, ne suffira pas à stabiliser la majorité, de quelque bord politique qu’elle soit. La Corse, dont je suis originaire, est une île où chaque électeur se sent une vocation d’élu !
Cela se traduit inévitablement, comme le disait tout à l’heure M. Hyest, par le fait que, dans cette assemblée comptant 51 sièges, vous avez dix groupes politiques, dont trois ne comportent que deux membres !
Pour toutes ces raisons, notre collègue Alfonsi a proposé d’instaurer un seuil minimum, fixé à 5 %, pour pouvoir fusionner, et un autre, établi à 7 %, pour pouvoir se présenter au second tour. Il souhaitait également porter de trois à six le nombre de sièges attribués en vertu de la prime majoritaire.
Nos collègues députés ont apporté une seule modification au texte issu de la Haute Assemblée : ils ont fixé à neuf sièges la prime majoritaire accordée à la liste arrivée en tête. Cette prime sera donc multipliée par trois si le texte est adopté en l’état.
Ce texte vise à conforter la stabilisation de la vie politique corse en modifiant le fonctionnement de l’Assemblée territoriale. La modification introduite correspond à une attente de tous les élus ; elle a d’ailleurs été approuvée par l’Assemblée de Corse le 16 mars 2009. C’est, de plus, à la demande de ses élus que cette idée a été reprise dans le rapport du comité Balladur sur la réforme des collectivités locales.
Si des progrès importants ont été réalisés ces dernières années, le suivi de la vie politique montre que nous pouvons encore avancer. L’occasion nous en est offerte aujourd’hui.
La présente proposition de loi peut être considérée comme courageuse quand on connaît la Corse, car elle va à l’encontre de beaucoup d’intérêts particuliers, qui priment très souvent sur l’intérêt général.
Elle est également nécessaire, car elle tend à rétablir une certaine équité : au nom de quoi nos concitoyens qui vivent en Corse n’auraient-ils pas le droit de bénéficier d’institutions aussi stables que celles qui existent dans les autres régions françaises ?
Elle est nécessaire, enfin, parce que des situations de paralysie et d’opacité ont été créées par le mode de scrutin actuellement en vigueur.
Pour finir, je citerai ce qu’a écrit Jean-Jacques Rousseau à propos de la Corse : « J’ai quelque pressentiment qu’un jour cette petite île étonnera l’Europe. » Il ne disait pas cela parce que Napoléon Bonaparte allait y naître et remodeler quelque peu la France, mais parce que la constitution corse, votée par des représentants de l’île en novembre 1755 à la Cunsulta di Corti et rédigée en italien, est souvent considérée comme la première constitution du monde moderne, bien qu’elle soit relativement inconnue, éclipsée par la constitution des États-Unis toujours en vigueur, qui fut promulguée en 1787 et qu’elle a inspirée.
Elle fut initiée par Pascal Paoli. Celui-ci avait demandé à Jean-Jacques Rousseau de la rédiger. Le texte bénéficia donc des réflexions du philosophe. Je rappelle aussi à ceux d’entre vous qui aiment l’histoire qu’elle avait été précédée d’une première constitution corse, votée au couvent de Saint-Antoine de la Casabianca en janvier 1735.
Jean-Jacques Rousseau, qui est tout de même un des théoriciens de la démocratie dans laquelle nous vivons, disait en substance que la démocratie, c’est une voix de majorité qui devient la majorité de tous.
Cette voix de majorité entraîne ici la prime de neuf élus. Tel est l’esprit de ce texte et voilà la raison pour laquelle le groupe Union centriste le votera.