Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la question qui nous est posée à l’occasion de l’examen de la présente proposition de loi est de celles qui attisent la controverse, les prises de position morales.
Nous avons tous en mémoire les échanges passionnants auxquels a donné lieu, notamment au sein de la Haute Assemblée, la remise à l’Afrique du Sud des restes de Saartjie Baartman, dite la « Vénus hottentote ».
Plus récemment, en 2007, la tête maorie inscrite sur les inventaires du Muséum d’histoire naturelle de Rouen a remis sous les feux de l’actualité les problèmes posés par la conservation et, éventuellement, la présentation des restes humains conservés dans les collections publiques.
Deux conceptions sont possibles au sujet des éléments du corps humain entrés dans les collections des musées.
La première se focalise sur la violence qui est à l’origine de ce que l’on nomme, faute d’expression plus digne, les « restes humains ». Cette violence peut être médicale, guerrière ou rituelle. Une telle conception amène à douter de la possibilité même de transformer un élément du corps humain en objet de collection.
La seconde vision replace les restes humains conservés dans les collections publiques dans un contexte plus large : elle englobe les motifs variés, le plus souvent scientifiques ou historiques, parfois culturels, qui ont justifié, à un moment donné, une protection particulière de ces objets.
Je crois que ces deux conceptions peuvent être conciliées ; tel est d’ailleurs, me semble-t-il, le sentiment général. Personne ne songe, en effet, à remettre en cause l’intérêt de conserver et de présenter au public, par exemple, les momies égyptiennes du Louvre. Les musées égyptiens eux-mêmes les exposent, dans un espace soumis à une tarification complémentaire, sans y voir de contradiction avec le respect dû à la dignité du corps humain.
Je suis donc particulièrement honoré, pour ma première intervention devant la Haute Assemblée en tant que ministre de la culture et de la communication, de prendre part à ce débat essentiel pour les collections publiques françaises, un débat que je souhaite apaisé et équilibré. Nous allons, tous ensemble, tenter de concilier, d’une part, la nécessité éthique d’apporter une réponse aux demandes des communautés d’origine des têtes maories et, d’autre part, l’attachement qui est le nôtre à l’intégrité des collections publiques et au principe d’inaliénabilité, qui en est la traduction juridique.
J’en viens d’abord au traitement du cas très particulier que constituent les têtes maories, objet de l’article 1er de la proposition de loi.
L’histoire de ces artéfacts vient d’être rappelée. À l’origine pratique rituelle, témoignant du respect d’une tribu et d’une famille envers ses morts, la momification des têtes est devenue, sous l’effet de la curiosité macabre des voyageurs et des collectionneurs européens, l’objet d’un commerce particulièrement barbare.
Le Gouvernement partage pleinement le souci éthique qui fonde la démarche des auteurs de la proposition de loi et de son rapporteur.
Je tiens d’ailleurs à rappeler qu’à aucun moment le Gouvernement n’a pris position sur l’opportunité de la remise de la tête maorie du Muséum d’histoire naturelle de Rouen aux autorités de Nouvelle-Zélande. L’intervention de l’État auprès du juge administratif était simplement motivée, dans le cadre de l’exercice du contrôle de légalité, par la nécessité d’assurer le respect des procédures que le législateur a prévues pour opérer le déclassement des objets appartenant aux collections des musées de France. Il s’agissait en l’occurrence de la saisine pour avis de la commission scientifique instituée par la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France.
Sur l’intérêt de conserver les têtes dans les collections publiques, je tiens à saluer la finesse de l’analyse de M. le rapporteur. Après avoir rappelé qu’elles n’étaient entrées dans les collections que comme objets de curiosité, et non d’étude scientifique, M. Richert a présenté le problème dans toute sa complexité et son étendue.
Selon les témoignages recueillis par M. le rapporteur, les têtes conservées dans nos musées n’ont jamais fait l’objet d’études poussées et ne présentent guère d’intérêt au regard des méthodes anthropologiques actuelles.
Cependant, comme le souligne également le rapporteur, il convient d’en garder une trace, pour ne pas laisser un « vide » dans la connaissance de l’humanité ni, surtout, dans la mémoire de cet épisode peu glorieux de l’histoire de l’expansion européenne.
Sur les modalités juridiques choisies pour favoriser la remise des têtes maories aux autorités néo-zélandaises, la commission de la culture a retenu une solution sage, respectueuse de la liberté de chacune des collectivités publiques – État ou communes – propriétaire de têtes maories.
En effet, si les têtes maories cessent immédiatement, en application de l’article 1er de la proposition de loi, de faire partie des collections des musées de France en vue de leur remise à la Nouvelle-Zélande, il reviendra à chaque collectivité propriétaire de procéder à leur déclassement et de négocier les modalités de leur remise avec les autorités néo-zélandaises.
Les muséums d’histoire naturelle des grandes métropoles régionales – celui de Rouen, bien sûr, mais aussi de Marseille, Lyon, Lille ou La Rochelle – auront ainsi la possibilité d’accomplir ce geste éthique.
Je soulignerai simplement que, pour la première fois, la loi organise la sortie des collections des musées de France d’une catégorie entière d’éléments, et non pas d’un objet déterminé.
Pour l’avenir, il est capital que nous nous dotions des moyens de prévenir et de régler, très en amont et de façon consensuelle, notamment entre l’État et les collectivités territoriales ou leurs établissements, sans avoir besoin de recourir au législateur, les difficultés qui pourraient s’élever pour d’autres cas particuliers.
C’est précisément l’objet des articles suivants de la proposition de loi, qui ont été ajoutés par la commission de la culture. Celle-ci a souhaité ainsi saisir la Haute Assemblée de la question générale des modalités de déclassement des objets appartenant aux collections publiques.
Le Gouvernement tient à saluer le caractère tout à fait opportun de cette initiative. Elle se situe dans la droite ligne des conclusions remises par M. Jacques Rigaud au ministre de la culture et de la communication en février 2008, concernant la modernisation de la gestion des collections publiques.
Dans son rapport, M. Rigaud réaffirmait avec force le caractère incontournable du principe d’inaliénabilité. L’inaliénabilité se trouve en effet au fondement même des collections publiques, qui s’inscrivent dans un horizon temporel de très long terme. Elle a contribué, au fil des siècles, à la constitution d’un patrimoine qui fait aujourd’hui la fierté et l’attrait de nos institutions culturelles.
M. Jacques Rigaud avait cependant souligné la nécessité d’une véritable « respiration » des collections, pour laquelle les possibilités de déclassement offertes par le code du patrimoine représentaient une modalité envisageable. L’une des propositions du rapport Rigaud consistait donc à donner toute sa portée à la loi relative aux musées de France, qui prévoit une procédure de déclassement, restée lettre morte jusqu’à ce jour.
L’initiative de la commission des affaires culturelles vient ainsi relayer un objectif du ministère de la culture.
La future Commission scientifique nationale des collections instituée par la présente proposition de loi traduira, dans sa composition, toute la complexité des questions de déclassement, qui sont à la fois scientifiques, culturelles et éthiques. La compétence primordiale des professionnels de la conservation des collections sera ainsi complétée par le point de vue des parlementaires, des collectivités propriétaires des collections, ainsi que par celui de personnalités éminentes dans d’autres disciplines utiles à l’examen des projets de déclassement, notamment la philosophie, le droit ou l’anthropologie.
L’ouverture de la Commission scientifique nationale des collections aux représentants de la nation souligne la solennité de la procédure de déclassement et témoigne de l’attachement du Parlement au principe d’inaliénabilité.
Par ailleurs, en étendant aux autres collections publiques, au Fonds national d’art contemporain ainsi qu’aux collections des Fonds régionaux d’art contemporain l’intervention obligatoire ou facultative de la commission scientifique nationale, la proposition de loi favorise la prise en compte de l’intérêt scientifique et culturel des biens concernés au moment de décider d’un éventuel déclassement.
Je sais également gré à la commission de la culture d’avoir étendu, pour les demandes de déclassement de biens appartenant aux collections publiques, la procédure de l’avis conforme prévue par la loi relative aux musées de France. Celle-ci garantit en effet la prise en compte, par les propriétaires des collections, de l’expertise et de la représentativité de la commission scientifique nationale. Je forme le vœu que ce périmètre élargi permette également de définir une doctrine générale pour l’ensemble des collections publiques.
Cette proposition de loi vient donc clore de façon particulièrement heureuse la controverse suscitée à l’automne 2007 par l’annulation de la délibération de la ville de Rouen relative à la restitution de la tête maorie conservée par son muséum municipal d’histoire naturelle.
Elle marque surtout l’ouverture, trop longtemps retardée à mes yeux, d’un véritable débat de fond sur le recours au déclassement, en donnant aux collectivités publiques les moyens de disposer en la matière d’une doctrine définie en parfaite concertation.
La proposition de loi vise en effet à donner compétence à la commission scientifique nationale pour fixer la doctrine et les critères qui permettront la « respiration » des collections, sans en compromettre l’intégrité ni amoindrir la portée du principe d’inaliénabilité. Ces lignes directrices seront présentées dans le rapport qui devra être remis au Parlement dans le délai relativement court d’un an à compter de la publication du présent texte.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement émet un avis favorable sur cette proposition de loi.