Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 29 juin 2009 à 16h00
Restitution par la france des têtes maories — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Mme Catherine Morin-Desailly a une portée bien plus large que la seule résolution du conflit juridique entre le tribunal administratif de Rouen et la municipalité de cette ville.

Ce texte non seulement autorise la restitution par la France à la Nouvelle-Zélande de la totalité des têtes maories conservées par l’ensemble des musées de France, mais il permet également aux législateurs que nous sommes de régler un « conflit de principes ».

Il nous appartient, ainsi, de concilier le principe fondamental, parce que garant de notre patrimoine historique, scientifique et artistique, de l’inaliénabilité des collections publiques, tout en adoptant une démarche éthique, fondée sur le principe de dignité de l’homme et du respect des cultures et des croyances d’un peuple vivant.

Le programme néo-zélandais de rapatriement des dépouilles maories mis en œuvre depuis 1992 auprès de l’ensemble de la communauté internationale traduit l’importance que revêt pour le peuple maori le retour de ses ancêtres sur leur terre d’origine.

Pour les Maoris, l’ensemble des parties du corps présentent, en effet, un caractère sacré, car elles portent en elles l’essence de la personne.

La tête des Maoris d’élite, et par la suite de certains esclaves, totalement tatouée, est considérée comme la partie la plus sacrée du corps.

Avant qu’elles ne fassent l’objet d’une convoitise insupportable et d’un commerce barbare de la part des colons européens, ces têtes étaient conservées par les familles des défunts maoris en témoignage de respect.

Permettre la restitution par la France des têtes maories est donc un impératif éthique, et le groupe socialiste du Sénat souscrit pleinement aux objectifs visés au travers de la proposition de loi de Mme Morin-Desailly.

Pour autant, comme pour la « Vénus hottentote », il nous faut concilier cet impératif éthique avec la règle juridique de l’inaliénabilité des collections publiques et, autant que faire se peut, régler définitivement ce conflit de principes.

Si la question se posait une nouvelle fois, un État serait demain fondé à demander la restitution d’une œuvre ou d’un objet originaire de son territoire, acquis de façon contestable par la France, mais faisant partie des collections publiques depuis souvent plusieurs siècles.

Comprenons-nous bien : il ne s’agit pas d’adopter une attitude protectionniste de repli sur soi, voire de méfiance en défendant les acquis de conquêtes aujourd’hui, certes, contestables, mais qui sont l’histoire. Il s’agit, au contraire, de conforter nos musées nationaux dans leur mission d’exposition, bien entendu, mais également de conservation et de recherche.

Il nous faut créer les conditions juridiques permettant à nos musées de s’ouvrir sur l’extérieur en suivant les évolutions sociologiques du monde, tout en les confortant dans leur mission de gardiens du patrimoine culturel national.

La loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France avait posé les bases d’une règle permettant de faire le lien entre les deux principes que nous devons aujourd’hui concilier, d’un côté, le principe, éthique, du respect de la dignité humaine et, de l’autre, le principe, juridique, de l’inaliénabilité des collections publiques.

Malheureusement, bien qu’elle ait été intégrée à la loi relative aux musées de France, cette possibilité d’extraire un bien du domaine public pour envisager, notamment, une cession est restée virtuelle.

La Commission scientifique nationale des collections des musées de France, instituée par décret le 25 avril 2002 et mise en place en 2003, a depuis tenu chaque année des réunions, mais elle n’a jamais eu à statuer sur un problème de déclassement. Elle n’a pas davantage engagé de réflexion en vue de définir des critères pour d’éventuels déclassements.

Quelle que soit la possible inertie des institutions muséales, d’ailleurs dénoncée par M. Philippe Richert dans son rapport, il était nécessaire de réactiver cette procédure de déclassement tout en l’encadrant de précautions.

C’est donc de manière fort opportune que M. Philippe Richert, dans le cadre des conclusions de la commission des affaires culturelles que nous examinons aujourd’hui, a souhaité compléter la proposition de loi de Mme Morin-Desailly.

Renommée « Commission scientifique nationale des collections » aux articles 2 et 3 nouveaux, la Commission voit désormais ses missions précisées et clarifiées, et son champ de compétence élargi.

Concernant la proposition d’ouvrir de nouvelles possibilités de transfert de propriété d’œuvres inscrites sur l’inventaire du Fonds national d’art contemporain et mises en dépôt auprès de collectivités territoriales, M. le rapporteur, du fait de nos réticences sur cet amendement, a accepté de le retirer, faisant preuve d’un esprit d’ouverture et de consensus qu’il convient de souligner.

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste du Sénat estime que l’ensemble des conditions requises pour voter en faveur de ce texte sont réunies.

Nous pensons, cependant, qu’une réflexion reste à conduire sur la gestion éthique des collections des musées, notamment sur le statut des restes humains qui y sont présents. Ces sujets sont, bien entendu, sensibles et complexes, et la France est très en retard sur ces questions.

L’interdiction de l’exposition Our Body à Paris nous a montré la nécessité d’accompagner les professionnels des musées, conservateurs et restaurateurs.

Puissent ce texte et les nouvelles missions confiées à la Commission scientifique nationale des collections constituer une première étape de cette réflexion !

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