Intervention de Nicolas About

Réunion du 29 juin 2009 à 16h00
Restitution par la france des têtes maories — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Nicolas AboutNicolas About :

Monsieur le ministre, je vous souhaite à mon tour la bienvenue dans cet hémicycle.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame Morin-Desailly auteur de la proposition de loi, mes chers collègues, sept ans après le vote de la loi relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud, nous voici réunis de nouveau : rien n’a changé !

Nous sommes confrontés aux mêmes interrogations, aux mêmes incompréhensions et, j’allais dire, aux mêmes résistances que celles que nous avions alors rencontrées.

Il y a sept ans, il avait fallu en passer par le vote d’une loi pour régler un litige que l’administration française n’avait pas su ou pas voulu résoudre dignement, alors que la France n’avait pas honoré sa promesse de restitution faite oralement dix ans plus tôt par le Président de la République François Mitterrand à M. Nelson Mandela.

Le refus de la France de rendre Saartjie Baartman aux siens, qui la réclamaient, ne faisait que réveiller un peu plus les blessures d’un peuple trop longtemps écrasé sous le joug des humiliations, de l’exploitation et de l’asservissement, aux pires heures du colonialisme.

Très rapidement, lors des débats qui eurent lieu au Sénat, tout le monde, y compris le ministre, avait fini par admettre l’inutilité juridique du recours à la loi.

Alors que certains affirmaient le caractère inaliénable des biens appartenant aux collections publiques des musées, faisant de la France la « propriétaire » des restes de Saartjie Baartman, le ministre de la recherche de l’époque, M. Schwartzenberg, avait confirmé ce que j’avançais, à savoir qu’en vertu des lois de bioéthique de 1994 nul ne pouvait se déclarer propriétaire d’un élément du corps humain. La France n’était, en réalité, que la « gardienne » de la dépouille de Saartjie Baartman, bien mauvaise gardienne, au demeurant, puisque le squelette et les organes, comme l’a rappelé M. le rapporteur, pourrissaient au fond de la remise du musée de l’Homme à Paris !

Depuis 1974, ce musée avait, du reste, prudemment retiré de ses vitrines les restes de la « Vénus hottentote », conscient, sans doute, de l’inadéquation ou de l’indécence qu’il y avait à exhiber aux yeux du grand public, tel un phénomène de cirque, le corps d’une femme noire à la physionomie hors du commun.

Il faut dire que de telles expositions de spécimens humains étaient fréquentes au XIXe siècle et traduisaient une idéologie scientifique, fondée sur une classification de l’être humain selon de supposés critères raciaux qui, fort heureusement, n’ont plus cours aujourd’hui.

Dans les musées comme dans les exhibitions publiques qualifiées du nom terrible de « zoos humains », lesquelles avaient lieu lors des expositions universelles, l’existence même d’une vitrine de musée ou d’une simple grille trahit une idéologie qu’il nous faut désormais absolument rejeter.

Ces grilles ou vitrines tracent, en effet, une frontière invisible, mais tangible, entre « eux » et « nous » ; eux, c’est-à-dire les peuples dits « primitifs », dont les dépouilles ou les restes humains sont exhibés comme des trophées, et nous, peuple occidental, peuple de découvreurs, peuple se disant supérieur, peuple de conquérants.

Il nous faut comprendre ce que ressentent les descendants de ces peuples lorsqu’ils apprennent la survivance de restes de leurs proches ancêtres dans les musées français.

Transposons un instant la situation. Que ressentirions-nous si nous apprenions que, quelque part dans le monde, des têtes de soldats français étaient exposées derrière les vitrines de musées ? Avouons-le, cette vision d’horreur aurait pour nous un caractère insupportable. Pourtant, quelle différence existe-t-il vraiment ?

Le don des têtes maories à la France ne date que de 1875. Or, précisément, ce sont des crânes de guerriers, de chefs de village, de personnages de haut rang. Eh bien, pour le peuple maori, il est insupportable de savoir que les restes de leurs ancêtres illustres sont exposés ainsi dans les musées français !

Il faut dire que ces exhibitions réactivent des blessures anciennes.

Alors que les tribus maories constituent les premières populations natives des îles de Nouvelle-Zélande et leurs principaux occupants pendant près de dix siècles, elles ont été littéralement décimées au XIXe siècle par l’arrivée des colons européens.

L’introduction d’armes à feu sur le territoire néo-zélandais conduisit, en effet, à des guerres intertribales sanglantes.

Il en résulta une véritable extermination de certaines tribus et des déportations, auxquelles s’ajoutèrent les épidémies apportées par les Européens.

Enfin, la Couronne britannique prit prétexte des rébellions provoquées par l’achat contesté de terres pour confisquer de vastes parcelles aux tribus maories, à titre de représailles.

Après la perte de leurs terres, les maoris sont alors entrés dans une période de déclin, si bien qu’on crut à leur disparition complète.

Les têtes maories qui ont été découvertes au sein des villages décimés, et qui constituaient pour ces peuples des objets sacrés comme des trophées de guerre, firent alors l’objet d’un trafic sordide.

Notre excellente collègue Catherine Morin-Desailly, auteur de la proposition de loi, nous rapporte même que des esclaves, qui n’étaient donc pas des chefs guerriers, ont été tatoués à seules fins d’être ensuite décapités pour faire l’objet d’échanges. Ces traitements barbares font frémir.

Nous ne sommes pas directement responsables des malheurs du peuple maori, tout comme nous ne l’étions pas de ceux du peuple khoisan auquel appartenait la Vénus hottentote. Mais nous serions coupables si nous continuions à conserver des reliques maories, sans plus aucun intérêt scientifique, dans les remises de nos musées. Il est du moindre de nos devoirs d’aider ces peuples à tourner la page d’une histoire récente et douloureuse.

Bien entendu, une telle restitution doit être entourée d’un certain nombre de précautions. Loin de moi l’idée d’ouvrir la boîte de pandore de tous les musées de France ! Il ne s’agit pas, ici, de créer une jurisprudence qui conduirait à rendre à de supposés descendants tous les ossements de la préhistoire ou toutes les momies de l’Égypte ancienne, même si nous nous devons de conserver et de présenter ces restes humains dans des conditions respectueuses, décentes et dignes.

Nous parlons, ici, d’une histoire quasi contemporaine, de peuples en pleine reconstruction identitaire, qui cherchent à sauvegarder leur culture, à préserver leurs rites, à rendre leur dignité à leurs ancêtres.

Il s’agit, ici, d’entendre la demande de gens qui ont souffert dans leur histoire récente et qui s’identifient à ces reliques.

En leur restituant leurs ancêtres, nous devons les aider à tirer un trait sur les querelles et les tensions qui ont pu les opposer, par le passé, à ceux qu’ils considéraient comme des occupants.

Je tiens à signaler, enfin, que par expérience j’ai pu mesurer à quel point la restitution d’une dépouille mortelle, qui a fait l’objet d’une demande officielle par le gouvernement de son pays d’origine, avait permis de réchauffer de manière très significative les relations diplomatiques entre notre pays et le pays demandeur. C’est ce que m’ont confirmé de nombreux diplomates français et sud-africains à l’issue de l’affaire de la Vénus hottentote.

Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler que de nombreux pays, tels les États-Unis, la Suisse, le Royaume-Uni, le Danemark ou l’Argentine, ont déjà enclenché un vaste mouvement de restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande. Il serait incompréhensible que la France restât à l’écart de cette dynamique.

C’est également la raison pour laquelle je m’inscris totalement dans la démarche qui consiste à choisir comme critère principal, pour faire droit à la demande de restitution, le fait que cette demande émane bien des autorités gouvernementales du pays d’origine et non de l’une ou l’autre des tribus qui revendiquent la filiation.

Il convient effectivement d’éviter, en attribuant sans discernement ces restes humains, de réactiver les conflits ethniques ou revendicatifs au sein d’une nation.

Personnellement, je serais assez favorable à la création d’une instance internationale chargée de se prononcer sur le bien-fondé des demandes de restitution des dépouilles humaines conservées dans les musées, indépendamment des avis des États. Cette instance indépendante serait composée de hautes personnalités, d’experts reconnus, d’anthropologues, d’ethnologues, de généticiens et d’historiens. Elle pourrait être rattachée à l’ONU ou à l’UNESCO, car il ne s’agit plus de défendre un bien ou une œuvre d’art relevant du droit patrimonial d’un État, mais d’assurer le respect et la dignité qui sont universellement reconnus à l’ensemble de l’humanité.

Puisqu’il s’agit de respect et de dignité, je tiens à faire ici le point sur les questions juridiques que soulèvent, de manière récurrente, les demandes de restitution. En effet, certains chercheurs, anthropologues en particulier, ont pu écrire ici ou là que les lois de bioéthique ne concernaient en réalité que l’être humain vivant et ne seraient pas, de ce fait, applicables au cas des restes humains, donc morts, traités par les musées. Il est vrai que seule la personne vivante est considérée comme sujet de droit : selon ces auteurs, les lois de bioéthique de 1994 protégeraient avant tout la personne vivante dans son intégrité physique et morale, par exemple contre les expérimentations ou le trafic d’organes. De même, les articles 16 à 16-9 du code civil relatifs au respect du corps humain ne concerneraient que la personne vivante jusqu’à son décès, en posant le principe de l’inviolabilité et l’indisponibilité de son corps en tant que personne pour le commerce et le droit patrimonial.

Aux personnes qui agitent de tels arguments juridiques, je veux, après l’auteur de la proposition de loi, rappeler une jurisprudence récente. Mes chers collègues, vous vous souvenez de l’exposition organisée au printemps dernier à l’Espace 12 Madeleine, à Paris : celle-ci présentait l’anatomie de dix-sept cadavres d’origine chinoise. Or cette exposition a été interdite par une ordonnance de référé, rendue par le président du tribunal de grande instance de Paris, puis confirmée par la cour d’appel de Paris. Dans son ordonnance, le juge a en effet estimé que cette exposition représentait « une atteinte illicite au corps humain » et que les mises en scènes déréalisantes de ces corps manquaient de « décence ». « L’espace assigné par la loi au cadavre, rappelle le juge, est celui du cimetière ».

En réalité, cette interdiction a été prononcée en application des dispositions de l’article 16-1-1 du code civil, introduites par la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, en vertu desquelles « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort ». En conséquence, « les restes des personnes décédées […] doivent être traités avec respect, dignité et décence ».

Au vu de la législation, confirmée par la jurisprudence, on ne peut donc plus dire que les restes humains peuvent constituer des « objets » de musée, comme les autres. En tant qu’éléments du corps humain, ils méritent respect, dignité et décence, et leur place n’est plus derrière une vitrine de musée, mais bien dans un cimetière. Les têtes maories n’échappent pas à cette règle.

Compte tenu des dimensions identitaire, symbolique, diplomatique et juridique de cette affaire, il faut donc faire droit, mes chers collègues, à la demande de restitution des têtes maories, exprimée par la Nouvelle-Zélande. Laissons ces têtes repartir et reposer en paix dans leur terre natale qui les attend, inhumées dignement, c’est-à-dire par leur peuple et selon ses rites ancestraux.

Puissions-nous un instant, mes chers collègues, faire résonner en nous la voix du peuple maori qui nous rappelle, dans l’un de ses proverbes anciens, que « la terre est une mère qui ne meurt jamais ».

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