Monsieur le ministre, je m’associe aux orateurs précédents pour vous souhaiter la bienvenue au Sénat.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le respect dû aux croyances d’un peuple nous amène aujourd’hui à examiner une proposition de loi autorisant la restitution à la Nouvelle-Zélande des têtes maories détenues par les musées français.
Les têtes humaines tatouées et momifiées sont une tradition du peuple maori et revêtent, dans sa culture, un caractère sacré.
Avant l’arrivée des Européens, les chefs maoris étaient tatoués selon des codes très précis, à la fois sociaux et religieux, relevant de la tribu à laquelle ils appartenaient. Lorsque l’un d’entre eux mourait au combat, sa tête était conservée et exposée dans un endroit consacré à sa mémoire jusqu’au moment où l’on estimait que l’âme du défunt était partie. La tête était alors inhumée près de son village.
Les Européens, entrés au contact de ces populations au cours du XVIIIe siècle, furent fascinés par ces têtes ornées et en rapportèrent quelques-unes en Europe. La demande des collectionneurs fut tellement forte qu’un véritable commerce s’instaura entre les Maoris et les Européens.
La raréfaction rapide des têtes donna lieu à des supercheries : certains Maoris n’hésitèrent pas à tatouer des esclaves puis à les exécuter pour obtenir des têtes. La révélation publique de ces pratiques suscita en Angleterre un scandale tel que la reine Victoria fit voter une loi en 1831 interdisant le commerce des têtes entre la Nouvelle-Zélande et l’Australie.
Le peuple maori n’a pas disparu, il représente aujourd’hui environ 600 000 personnes. Depuis les années soixante, le gouvernement néo-zélandais a adopté une politique de soutien à la culture maorie, s’accompagnant de mesures de restitutions de terres et d’indemnisation des tribus spoliées.
Le gouvernement néo-zélandais a également mis en place un programme de rapatriement et d’identification des têtes coupées, en vue de leur restitution aux tribus. Ces restes humains recevront ainsi une sépulture conforme aux rites et traditions de leurs communautés d’origine.
Répondant à cette démarche, de nombreux pays ont restitué les têtes maories qu’ils détenaient. Ainsi, 322 restes humains ont été restitués, sur un total estimé à environ 500.
En France, la ville de Rouen a été la première à restituer une tête détenue par son muséum. Mais cette restitution a eu lieu alors que le tribunal administratif en avait décidé autrement, invoquant l’inaliénabilité des biens constituant les collections des musées de France. Cette affaire mit en évidence un certain vide juridique.
L’initiative de Mme Morin-Desailly vient clore le débat ouvert sur le sort des têtes maories. Sa proposition de loi compte de nombreux cosignataires, dont je suis, et je me réjouis que sa discussion ait pu être inscrite à notre ordre du jour.
Il s’agit d’appliquer un principe reconnu par le droit international : le respect de la dignité humaine et de la culture d’un peuple. Comme l’a souligné notre rapporteur, la restitution des têtes maories est un « geste éthique ».
Cependant, les opposants à la restitution de restes humains font valoir que ces restes peuvent présenter un intérêt scientifique imposant leur mise à disposition pour des études futures. Le maintien des têtes maories au sein de nos collections pourrait par ailleurs se justifier par leur valeur de témoignage historique, comme l’ont fait valoir certains conservateurs de musée.
Mais les opposants à la restitution des têtes maories craignent surtout que l’existence d’un précédent n’ouvre la voie à une fuite des pièces des collections nationales. Les demandes de restitution, si elles se multipliaient, pourraient mettre en péril l’intégrité des collections. Il faut tenir compte de cet aspect. Pour cette raison, la proposition de loi se garde de donner une réponse législative générale et définitive à la question de la restitution de restes humains. La demande de restitution constitue un cas particulier bien spécifique. Elle n’est pas automatisée mais seulement autorisée pour le cas maori.
On voit comme le sujet est complexe et nécessite une réflexion d’ensemble sur la restitution de restes humains, réflexion qui doit être menée en premier lieu par les responsables des musées. En effet, si nous réglons aujourd’hui un cas d’espèce, il ne faudrait pas, comme l’a souligné notre rapporteur, que le Parlement soit contraint de légiférer prochainement sur des cas semblables.
Je tiens à saluer le travail de notre rapporteur Philippe Richert, qui s’était déjà impliqué en 2002 dans le débat législatif pour la restitution des restes de la « Vénus hottentote ».
Un amendement adopté par la commission vient compléter la proposition de loi afin de réactiver la procédure de déclassement instituée en 2002 par la loi sur les musées de France. La composition et les missions de la Commission scientifique nationale sont modifiées, afin qu’elle devienne véritablement opérationnelle.
Cette commission aura notamment pour vocation de définir une « doctrine » générale en matière de déclassement et de cession, permettant d’éclairer les propriétaires et les gestionnaires de collections dans leurs décisions. Elle devra remettre, dans le délai d’un an, un rapport sur ses orientations en matière de déclassement.
Ces dispositions me semblent utiles car la loi de 2002 permettant le déclassement des biens culturels et donc leur restitution n’a pas trouvé d’application depuis son adoption.
Il apparaît urgent d’aborder ce débat et de poser aussi clairement que possible des principes qui guideront les démarches des professionnels de nos musées.
Bien évidemment, le groupe UMP votera cette proposition de loi ainsi amendée.