Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les mesures prévues dans la présente proposition de loi s’inscrivent dans un contexte particulier, à l’instar des dispositions dont M. le président de la commission des finances souhaite aujourd'hui un réajustement et qui ont été adoptées avant la crise.
À l’époque soufflait le grand vent des allégements fiscaux, qui devaient, nous affirmait-on, apporter à notre pays compétitivité et croissance. Tout cela, sur fond de dérégulation financière et de présomption d’illégitimité de l’ISF et de l’impôt direct en général. D’ailleurs, et c’est tout le paradoxe de la situation, cette illégitimité pouvait même être ressentie par certains de nos concitoyens qui ne payaient pas d’impôts et qui ne pouvaient donc pas bénéficier des baisses d’impôts décidées dans le cadre de la loi TEPA.
Ces réductions d’impôts devaient, paraît-il, créer un « cercle vertueux » permettant de dégager des ressources pour l’investissement, qui est un facteur de croissance et de créations d’emplois. Tel n’a pas été le cas ! La dérégulation financière a entraîné la grave crise que nous connaissons.
Un impôt est légitime lorsque deux conditions sont réunies : il faut, d’une part, qu’il permette à l’État de percevoir des recettes fiscales suffisantes pour couvrir les dépenses publiques et, d’autre part, qu’il demeure compatible avec les capacités contributives des citoyens. Ces deux conditions n’étaient pas remplies en 2007, et elles ne le sont toujours pas aujourd'hui. Pourtant, le vent tourne : nous avons besoin de recettes fiscales et de plus d’équité dans leur prélèvement. Dans ce nouveau contexte, il n’est plus possible de continuer d’accorder des remboursements ou des exonérations portant sur des dizaines, voire des centaines de milliers d’euros.
Les valeurs dominantes depuis les années quatre-vingt sont aujourd'hui remises en cause. Une nouvelle donne fiscale est nécessaire. Il faut que nous ayons ce débat au fond. Je souhaite que l’examen du projet de loi de finances pour 2010 nous en donne enfin la possibilité.
Dès lors, monsieur Arthuis, votre proposition de loi apparaît décalée par rapport aux enjeux. Sous le couvert de réparer quelques abus nés de la loi TEPA, elle cherche à rendre légitimes des dispositions qui ne l’étaient pas hier et qui le sont encore moins aujourd'hui.
À cet égard, permettez-moi de me lancer rapidement dans une défense et une illustration de l’impôt de solidarité sur la fortune.
Il faut toujours replacer un impôt dans la perspective plus générale de l’évolution de la fiscalité. Or force est de constater que l’impôt de solidarité sur la fortune est le dernier rempart contre une fiscalité entièrement tournée vers le privilège de la rente. Car avec une fiscalité qui privilégie la rente, nous sommes loin du « travailler plus pour gagner plus » !
En examinant les mesures adoptées depuis une petite dizaine d’années, tout particulièrement depuis 2002, on observe que les allégements successifs de la fiscalité sur le patrimoine ont été à l’encontre de l’objectif d’une gestion dynamique.
La liste des dispositions votées depuis 2003 est longue ; j’en rappellerai seulement les principales : instauration d’un taux d’imposition proportionnel, et non plus progressif, pour les plus-values immobilières, abattements multiples sur les droits de succession et les donations, exonération, dans la loi de finances rectificative pour 2006, des plus-values immobilières au-delà de huit ans de détention du bien et, bien entendu, mesures d’exonération de l’ISF. Parmi ces dernières, citons le dispositif relatif aux titres détenus par les salariés et les mandataires sociaux en 2005, le relèvement à 30 % de l’abattement de l’ISF sur la résidence principale, et la loi TEPA dont nous débattons ce soir au travers du mécanisme de report de l’ISF vers le présumé financement des petites et moyennes entreprises ; cette mesure a été étendue aux fondations dans la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008.
On présente ce malheureux impôt de solidarité sur la fortune comme une singularité française, une sorte d’« archaïsme ». Pourtant, le récent rapport du Conseil des prélèvements obligatoires sur le patrimoine des ménages dresse la liste des pays où ce type de prélèvement subsiste. Si l’équivalent de l’ISF a été supprimé au niveau national, il existe toujours à l’échelon local dans plusieurs pays. En Italie, il est devenu un impôt local ; en Suisse, il est prélevé au niveau des cantons ; aux États-Unis, il est perçu par les municipalités et les comtés, qui en tirent l’essentiel de leurs ressources.