Intervention de Charles Gautier

Réunion du 18 mai 2011 à 14h30
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Article 1er

Photo de Charles GautierCharles Gautier :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’idée qui est à l’origine de ce texte repose sur un bon sentiment, à savoir la volonté de mettre fin aux incompréhensions de nos concitoyens et ainsi de réduire le fossé qui existe entre leurs attentes et les décisions des instances judiciaires. De fait, le lien qui les unit ne cesse de se distendre. Les magistrats sont sans arrêt critiqués, à tous les niveaux – cela vient d’être rappelé.

Toutefois, si le but poursuivi est louable, les moyens mis en œuvre pour l’atteindre demeurent à mon sens très critiquables. Rapprocher les citoyens de la justice ne nécessite pas forcément de leur demander de la rendre. L’introduction de citoyens assesseurs au sein des tribunaux correctionnels pose en effet de nombreux problèmes.

Je mentionnerai tout d'abord le manque d’expérience et de formation professionnelle de ces citoyens. Vous conviendrez avec moi que la fonction de magistrat ne s’improvise pas après une formation de quelques heures et l’acquisition de quelques informations sur l’affaire traitée. On ne peut pas se contenter de cela, en effet, alors que l’enjeu est capital : il s’agit bel et bien de prononcer, parfois, une peine de prison.

Avec ce projet de loi, vous faites donc à l’évidence fausse route. Il est certes nécessaire d’ouvrir et de diversifier le corps judiciaire, qui est manifestement trop fermé, mais pas de cette façon. Contrairement à ce que ce projet de loi énonce, le niveau de qualification des personnes qui jugent les justiciables doit être revu à la hausse plutôt qu’à la baisse. Dans le système britannique, par exemple, seuls des avocats confirmés jouissant d’une excellente réputation professionnelle accèdent aux fonctions de magistrat professionnel. Dans le système que vous proposez, les citoyens assesseurs, même s’ils ne sont pas placés exactement au même rang que les magistrats, auraient des responsabilités qui pourraient dépasser leurs facultés.

Comme mon collègue Pierre Fauchon et moi-même le constations en 2007 dans notre rapport d’information sur le recrutement et la formation initiale des magistrats de carrière, la question est de savoir si les règles actuelles en la matière garantissent que la justice est rendue par des juges possédant les qualités, intellectuelles mais également humaines, nécessaires à l’acte de juger.

Par ailleurs, n’ayant ni la formation, ni l’expérience, ni le statut de magistrat, ces citoyens ne pourraient être récusés que pour l’une des causes de récusation applicables aux magistrats. Ainsi, loin de rendre la justice plus efficace, ce projet de loi induit une confusion des genres qui ajoute encore à son illisibilité, déjà plus que patente.

Les personnes amenées à juger au nom du peuple français – je le rappelle – ne peuvent le faire qu’après avoir acquis les compétences juridiques et l’expérience nécessaires à l’exercice de cette fonction. La tâche des citoyens assesseurs est présentée comme un devoir civique. Ces citoyens doivent présenter des garanties d’impartialité et de moralité. Ils doivent également prêter serment devant le tribunal de grande instance. Ces conditions apparaissent très nettement insuffisantes.

Ces citoyens assesseurs sont également censés faire partie du tribunal de l’application des peines, où ils doivent se prononcer sur les demandes de libération conditionnelle et d’aménagement de peine. Il est prévu qu’ils soient aussi présents en appel. Or ce domaine ne doit pas relever de la compétence de citoyens inexpérimentés et, pour certains, très jeunes, a fortiori si vous envisagez d’abaisser l’âge requis. Les carences de ces citoyens assesseurs en matière de technique juridique et de culture pénitentiaire les empêcheront en effet d’être en mesure de rendre des décisions pertinentes.

Par ailleurs, les moyens de la justice étant déjà insuffisants – cela a été souvent rappelé –, l’introduction de jurys populaires ne pourrait qu’entraver davantage son fonctionnement général. La mise en place de ce système entraînerait donc avant tout une détérioration des conditions de jugement, au détriment des personnes jugées.

Enfin, l’instauration de ces jurys populaires donnerait une part plus importante au caractère oral des débats et augmenterait la durée des délibérés. Loin de rendre la procédure plus fluide, cela ralentirait de manière considérable le déroulement des audiences, qui, rappelons-le, sont déjà surchargées.

Je pense donc que ce texte n’est pas le bon moyen pour renforcer ou plutôt pour recréer le lien censé unir les instances judiciaires et nos concitoyens.

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