Intervention de Jean-Pierre Michel

Réunion du 18 mai 2011 à 21h30
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Article 17

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel :

En effet, qui a été à l’origine de cette ordonnance, sinon ceux que nous appelions les démocrates-chrétiens ? Voilà qui ne peut manquer de nous étonner venant de vous, personnellement, Michel Mercier.

Le garde des sceaux d’alors était l'un de vos illustres ancêtres. Pierre Ancel était magistrat. Pierre Martaguet à Bordeaux, Pierre Savigneau, Henri Gaillac, alors juges des enfants, ont construit le droit des mineurs par leurs pratiques : ils ont passé toute leur vie dans la magistrature, pratiquement sans bénéficier d’avancement, à défendre l'ordonnance de 1945, puis celle du 23 décembre 1958, c'est-à-dire la protection des enfants et les mesures d'assistance éducative.

Aujourd'hui, vous faites litière de tout cela et vous vous rapprochez ostensiblement du droit des majeurs.

D'abord, vous prévoyez une espèce de comparution immédiate des mineurs devant un tribunal correctionnel nouveau. Actuellement, avant d'être traduits pénalement, les mineurs sont suivis par des éducateurs ; un rapport est remis au juge des enfants, dans son cabinet ou devant le tribunal, sur ce qu'ils ont fait depuis qu'ils ont commis l’acte de délinquance qui leur est reproché. Tout cela est balayé.

Ensuite, vous instituez un nouveau tribunal pour les mineurs âgés de seize ans à dix-huit ans.

Enfin, vous remplacez un certain nombre de mesures éducatives par des peines.

Monsieur le garde des sceaux, tout cela nous paraît totalement contraire à l’esprit et aux dispositions de l'ordonnance de 1945 et aux dernières décisions du Conseil constitutionnel, même si vous prétendez le contraire ! En effet, dans sa décision du 29 août 2002 relative à la loi d’orientation et de programmation pour la justice, dite « loi Perben I », le Conseil constitutionnel a reconnu le principe fondamental de la justice pénale des mineurs, sur le fondement de la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, de la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et de l'ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante. Pour le Conseil constitutionnel, ces textes sont intangibles dans leur philosophie. Or vous les bousculez allégrement !

Tout récemment encore, le Conseil constitutionnel a affirmé qu'un essai de comparution immédiate des mineurs était inconstitutionnel. Vous reprenez cette mesure en la présentant autrement, mais personne n’est dupe. Monsieur le garde des sceaux, vous êtes en dehors des règles et, surtout, en dehors de la philosophie qui a inspiré les principes de l'ordonnance du 2 février 1945. Au nombre de ceux-ci, on compte la primauté de l’éducation, car il s'agit d'éviter non pas la récidive des mineurs, mais que les mineurs ne tombent dans la délinquance ; c’est tout de même de cela qu'il faudrait parler d'abord. On compte également l’intervention de professionnels spécialisés de l'enfant. Or ce texte n’en parle absolument plus, puisqu’il prévoit que la comparution immédiate sera décidée par un officier de police judiciaire. Il est par ailleurs question d’un traitement personnalisé du suivi de l'enfant, ce qui disparaît totalement dans la nouvelle juridiction que vous instituez. Enfin, alors que le recours à la détention doit être exceptionnel et limité, ce texte prévoit le contraire.

Tout cela nous éloigne considérablement des principes qui ont jusqu'à présent régi la justice des mineurs et nous rapproche, malheureusement, de la justice des mineurs qui s’applique notamment aux États-Unis. Ce pays est peut-être une grande démocratie, mais, en matière de justice, il lui reste encore beaucoup de progrès à accomplir.

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