« Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. » Ainsi commence l’exposé des motifs de l’ordonnance du 2 février 1945.
Avec ce projet de loi, nous sommes très loin de cette préoccupation et de cette volonté de protection des mineurs, ce qui soulève bien entendu de nombreuses questions de notre part : quel est le sens de ce nouveau texte relatif à la justice des mineurs ? À quelle urgence répond-il ? Pourquoi ne pas attendre le projet de code de la justice pénale des mineurs ?
Sur la forme, rien ne justifie une telle précipitation, alors qu’un code de la justice pénale des mineurs est en cours d’élaboration à la Chancellerie. Cette surenchère législative résonne comme un aveu d’impuissance des pouvoirs publics à apporter des réponses adaptées à la délinquance juvénile et remet en cause l’efficacité des dernières réformes. Ce texte tend à introduire un certain désordre au sein de l’ordonnance du 2 février 1945, toujours en vigueur et retouchée à maintes reprises, je le disais tout à l’heure.
Sur le fond, il porte atteinte à cette ordonnance, témoigne d’un dangereux glissement de la justice des mineurs vers celle des adultes et stigmatise le juge des enfants, considéré comme trop laxiste, alors que le taux de réponse pénale de la justice des mineurs est de 92, 9 %, donc supérieur à celui qui concerne les majeurs, qui n’atteint que 87, 7 %.
Pour autant, la délinquance des mineurs semble s’intensifier depuis 2002, en dépit du durcissement des mesures provisoires et des peines pouvant être prononcées à l’encontre des mineurs. Elle a connu une hausse de 7, 94 %, alors que celle des majeurs a augmenté de 12, 04 %. Plusieurs fois, ce différentiel a été évoqué au cours de la discussion : il était important de citer les chiffres exacts !
Alors que nous nous écartons de la philosophie de l’ordonnance de 1945, les autres pays européens, eux – je le disais tout à l’heure –, s’en inspirent. L’Espagne comme l’Allemagne prévoient même de juger les 18-21 ans selon les règles de la justice des mineurs ! Notre collègue Alain Anziani a tout à l’heure fait référence à d’autres pays qui s’engagent sur la même voie.
Le projet de loi reprend, en les toilettant superficiellement, certaines des dispositions de la loi dite « LOPPSI 2 » qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel. Il vise à instaurer un tribunal correctionnel pour mineurs, pourtant écarté, après arbitrage du Gouvernement, du projet de nouveau code de justice pénale des mineurs. D’autres mesures relèvent d’a priori non vérifiés et ne reposent sur aucune analyse des besoins, aucune évaluation des dernières réformes adoptées.
En vidant de leur sens les principes de priorité éducative et de spécialisation de la procédure applicable aux mineurs, ce projet de loi achève la déconstruction de l’ordonnance de 1945 et la consécration d’une justice des mineurs ne s’intéressant plus qu’aux actes commis et non à l’évolution d’une personnalité en construction.
Une fois de plus, la réforme de la justice des mineurs est utilisée comme un moyen de communication politique partisan, sans aucune volonté de dessiner un projet ambitieux pour l’enfance en difficulté.