Intervention de Charles Guené

Réunion du 10 juin 2009 à 14h30
Réforme de la taxe professionnelle — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Charles GuenéCharles Guené :

À l’origine collecteur de ressources, l’impôt devint alors un élément de redistribution, ajoutant au rôle de collecte celui de correcteur social.

Si, depuis un quart de siècle, nous nous interrogeons sur la pertinence de préserver notre planète, les magnifiques images proposées par Yann Arthus-Bertrand dans Home, voilà quelques jours, et l’analyse des résultats des dernières élections européennes nous indiquent que nous venons indubitablement de franchir un cap.

Nos concitoyens l’ont compris : demain, et pour la première fois, la fiscalité va devenir environnementale. En bref, cela signifie qu’elle devra déclencher un « signal prix » en fonction de l’intensité carbone des produits concernés pour faire évoluer notre comportement.

Par conséquent, outre son rôle de collecte et de redistribution, elle devra conduire à une réduction des consommations fossiles pour éviter ou amortir le choc de la transition énergétique que nous devons nous préparer à subir.

Au passage, je précise que cette nouvelle fiscalité devra s’opérer à prélèvement global constant, et que la fiscalité écologique n’étant pas, par nature, sociale, il conviendra d’en corriger les effets par des redistributions, ces deux contraintes étant toutefois rendues surmontables par l’effet d’un double dividende : d’une part, la réduction du dommage lié à la pollution, d’autre part, l’apport de recettes nouvelles.

Si l’on prend en compte ces trois facteurs, à savoir la nécessité d’une réforme de la taxe professionnelle, l’obsolescence du système fiscal et l’émergence de la fiscalité environnementale, il faudrait être aveugle pour ne pas dire, comme Mme Lepetit, directrice de la législation fiscale, lors de la dernière réunion du comité des finances locales : « Nous avons là une chance historique de reformer la fiscalité locale, ne la laissons pas échapper ! »

Pour y parvenir, nous devrons ensemble, à travers la réforme de la taxe professionnelle, poser les bases d’une réforme globale de la fiscalité locale. Il est, à cet égard, indispensable que nous nous débarrassions des préjugés qui encombrent le débat public en profitant de cet instant charnière. Je me contenterai, ici, d’en citer les quelques fondements.

Il faut considérer que la dépense locale est, pour l’essentiel, une dépense maîtrisable et faire en sorte de figer le périmètre de nos dépenses transférées pour délimiter la part contrainte des collectivités par rapport à celle où nous disposons de latitudes.

À partir de ces nouveaux espaces, il importe que les limites de l’autonomie fiscale, à laquelle bon nombre d’entre nous sont attachés, soient clairement établies par rapport à l’autonomie financière que nous avons constitutionnellement définie.

Dès lors, nous pourrons « dé-corréler », si je puis me permettre cette expression, les ressources des collectivités locales, notamment en matière économique, de l’impôt prélevé, et cela nous permettra de trouver les bonnes assiettes.

Il conviendra également de fonder une nouvelle gouvernance qui permettra l’encadrement des dépenses et des taux d’imposition, dans le cadre d’un pacte négocié entre l’État et les collectivités.

Nous pourrons ainsi disposer de prélèvements nationaux, que nous pourrons affecter en conservant les liens avec le territoire.

Nous devrons aussi distinguer les impôts fondés sur les flux de ceux qui sont fondés sur les coûts, afin de corriger la distinction factice, à mon sens, entre fiscalité des ménages et fiscalité des entreprises, et qui anime le seul débat public franco-français.

Nous devrons utiliser les possibilités offertes par la fiscalité environnementale pour compléter les ressources fiscales de l’État, obérées par ces rééquilibrages, mais aussi pour en corriger les inéluctables dérives sociales.

Nous devrons, enfin, refonder aussi le système de péréquation républicaine, qui devra sans aucun doute être beaucoup plus étroitement confié au contrôle du Parlement.

C’est en appliquant déjà quelques-uns de ces principes que la réforme de la taxe professionnelle a progressé, et c’est à leur lumière qu’il faut en lire la position actuelle, que je vais exposer à présent.

La réforme actuelle de la taxe professionnelle porte sur la suppression de la part investissements.

Les entreprises ne verseraient plus que la part correspondant à la base foncière, soit 5, 8 milliards d’euros, à savoir environ 20 % du montant total, et la part de la taxe professionnelle relative aux investissements serait supprimée pour être remplacée, pour partie, par une taxation assise sur la valeur ajoutée.

Si la valeur ajoutée est un critère imparfait, elle reste la moins mauvaise des assiettes car, par son amplitude, elle nivelle les distorsions et permet l’application d’un taux faible.

Cette réduction sera intégralement compensée pour les collectivités locales, ainsi que l’a confirmé par deux fois le Gouvernement. Cela est déterminant, et vous ne manquerez pas d’y être sensibles, mes chers collègues.

Par ailleurs, il faut noter qu’aujourd’hui 56 % de la taxe professionnelle prélevée correspond déjà à la valeur ajoutée, par le biais de plafonnements et de la cotisation minimale.

Par l’application mécanique de la cotisation minimale, et grâce au retour, certes hypothétique, via l’impôt sur les sociétés, il en coûterait environ 8 milliards d’euros à l’État.

Les collectivités locales pourraient ainsi être satisfaites en disposant d’un impôt économique reposant, d’une part, sur le foncier avec faculté d’action sur le taux, et, d’autre part, sur la valeur ajoutée, avec un taux national mais avec une dynamique réelle, et dont la répartition comporterait un lien fort avec le territoire. La valeur ajoutée d’une entreprise peut, en effet, être répartie par établissement sur la base d’une clef comportant le nombre de salariés et les surfaces occupées, par exemple.

Néanmoins, au stade actuel de la réflexion, plusieurs alternatives demeurent et un certain nombre de difficultés subsistent.

Les entreprises souhaiteraient limiter le taux national de la valeur ajoutée à 1, 5 % et imputer la partie foncière sur le montant de la taxation de la valeur ajoutée, alors que les collectivités souhaiteraient atteindre 2 % avec une petite faculté de variation locale et découpler les deux parts de la taxe professionnelle ainsi rénovée.

À cet égard, l’exigence de pouvoir faire varier le taux sur la valeur ajoutée ne semble pas constituer un casus belli.

En revanche, il paraît délicat de dépasser le seuil de 1, 5 % à l’occasion d’une réforme visant à baisser la taxe professionnelle, et le plafonnement envisagé pèsera d’autant plus sur le budget de l’État. Il pourrait en être différemment si un autre plafonnement était imaginé, sur la base du cumul des deux nouvelles parts de la taxe professionnelle. Le débat semble progresser à ce sujet.

Une telle modification suppose également le transfert de la partie départementale et régionale des impôts « ménages » au couple communes-communautés de communes, et son remplacement par des impôts nationaux au profit des départements et des régions.

Ces derniers craignent que les impôts transférés ne soient aussi volatils que les précédents, qui ne leur permettent pas d’assumer les transferts en cours. Il en serait autrement s’ils pouvaient bénéficier de parts des grands impôts nationaux, plus stables et plus dynamiques, de type contribution sociale généralisée ou impôt sur le revenu. Nous rejoignons là la problématique de la réforme globale de la fiscalité locale.

Par ailleurs, la généralisation de la valeur ajoutée pose deux problèmes au monde économique, lesquels doivent être examinés avec circonspection.

Tout d’abord, à l’instar du projet Fouquet, le nouveau système envisagé tend à reporter une partie non négligeable de la charge des entreprises d’industries lourdes sur les entreprises du tertiaire, lesquelles avaient, certes, largement bénéficié de la suppression de la part salaires, mais on comprend qu’il n’y aura pas que des gagnants.

Ensuite, il subsiste tout un réseau de petits et moyens contribuables sur lequel nous ne nous sommes pas encore prononcés.

Enfin, un mouvement fiscal de cette ampleur exige la mise en place de puissants mécanismes de péréquation horizontaux et d’une gouvernance. L’intercommunalité, qui a été l’un des plus grands facteurs de modernisation de la gestion de ces dernières décennies, doit pouvoir bénéficier de perspectives dans le cadre de l’évolution de la taxe professionnelle unique.

Pour terminer, il ne me paraît pas indécent de vous inviter, monsieur le secrétaire d'État, à étudier les incidences d’une telle réforme sur le budget de l’État.

Du taux retenu sur la valeur ajoutée dépendra largement le coût budgétaire de la réforme, dont le montant provisoire est fixé aux alentours de 8 milliards d’euros.

L’État devra disposer de plusieurs années pour résorber le manque à gagner, compte tenu de la conjoncture difficile.

La taxe carbone pourra être partiellement utilisée dans le cadre de son deuxième dividende, mais cela doit être entendu comme une ressource budgétaire et non comme une ressource des collectivités locales.

La résorption des niches d’impôt sur les sociétés devra également contribuer à l’équilibre, et on peut imaginer que, dans un avenir plus radieux, la partie valeur ajoutée puisse venir s’imputer progressivement sur l’impôt sur les sociétés, afin de parvenir à la neutralité fiscale qui conviendrait à la compétitivité de nos entreprises.

Tel est, brossé en quelques traits, le point d’étape auquel nous sommes parvenus, et qui devrait nous permettre, au terme de quelques entretiens complémentaires, de parvenir à une réforme de la taxe professionnelle supprimant la part des équipements et biens immobiliers, sans effet pour les collectivités locales.

Je pense avoir ouvert très largement le champ des incidences, sur le plan tant de la réforme de la taxe professionnelle elle-même que de la fiscalité tout entière, pour que, monsieur le secrétaire d'État, vous puissiez mesurer l’étendue des opportunités qui s’offrent au Parlement de mettre en œuvre une fiscalité moderne et la gouvernance qui doit l’accompagner.

Nos concitoyens attendent, au terme de la concertation ouverte et de qualité que le Gouvernement a bien voulu engager, que le Sénat y contribue à la mesure des pouvoirs particuliers qui lui ont été confiés. §

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