Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, mon collègue et ami Roland Ries a très bien expliqué tout à l'heure les raisons pour lesquelles nous avons décidé de ne pas prendre part au débat.
C'est une question de principe : le Sénat aurait dû pouvoir s'exprimer avant le Conseil européen, afin que le rôle du Parlement, comme il se doit, soit pleinement respecté. Or tel n'a pas été le cas, et notre Haute Assemblée n'en sort pas grandie.
Avec mon groupe, nous avions déposé des amendements qui tendaient notamment au retrait de la directive et à l'adoption d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général permettant de délimiter le champ d'application de toute nouvelle directive sur les services.
L'abandon de la directive Bolkestein, sous une forme ou sous une autre - j'ai bien entendu qu'il n'était pas dans les attributions du Conseil européen de la retirer -, est en effet la seule voie possible. Cette directive comporte dans sa logique même tous les mécanismes qui transformeraient l'Europe en un gigantesque supermarché de services. Le risque d'une mise en concurrence des systèmes de protection sociale, des droits sociaux, est bien réel. On ne peut admettre que les dimensions sociale, environnementale et fiscale puissent servir de variables d'ajustement et permettre le nivellement par le bas.
La directive rompt avec la méthode d'harmonisation et de reconnaissance mutuelle des droits nationaux, méthode susceptible de limiter les pratiques de dumpingfiscal et social, et, vous le comprendrez, nous le dénonçons avec force.
La philosophie même du texte est dangereuse. L'Europe ne saurait se construire sur une concurrence entre ses membres au profit du moins-disant social et fiscal. Elle a au contraire pour devoir de garantir aux populations des Etats membres un niveau élevé de solidarité sociale.
La proposition de résolution issue des travaux de la commission des affaires économiques est très en retrait par rapport à toutes ces exigences et préoccupations. Ce matin encore, la commission des affaires économiques a proposé une nouvelle version qui conditionne le retrait du principe du pays d'origine, non plus cette fois à des études d'impact, mais à l'idée d'un socle minimal d'harmonisation ! Elle a finalement opté pour l'abandon du principe du pays d'origine dès lors qu'il n'existe pas de socle d'harmonisation. Quel mince progrès !
Pendant ce temps, madame la ministre, le Conseil européen décidait d'enterrer la version libérale de ce projet de directive ! Et Jean-Claude Junker, son président, déclarait qu'il était favorable à la réalisation du marché intérieur des services, mais non au dumping social, afin de préserver le modèle social européen.
Quant à vous, chers collègues, vous êtes ce soir bien loin du compte, contrairement à vos collègues de l'Assemblée nationale, qui ont exigé le retrait du principe du pays d'origine.
Ce texte est fondamentalement contraire à notre conception de l'Europe. L'Europe est un grand projet de partage des valeurs de paix et de progrès, mais aussi de solidarité entre les peuples.
Dans les jours qui viennent, nous allons entrer en campagne en vue de la ratification du traité constitutionnel. Nos concitoyens doivent bientôt se prononcer sur ce traité. Il importe donc d'éviter la confusion, même si le risque d'amalgame entre cette directive, d'inspiration libérale, et le traité constitutionnel est entretenu par certains.
Nous avons l'obligation d'informer clairement nos concitoyens des enjeux du référendum, afin d'éviter toutes les dérives pouvant jeter la confusion sur cette consultation.
Par votre position, vous accréditez finalement l'amalgame qui est fait entre le traité constitutionnel et une directive ultralibérale.
Comme l'a brillamment démontré mon collègue Roland Ries dans son intervention, cette directive est en contradiction avec les objectifs de cohésion économique et sociale visés à l'article I-3 du traité constitutionnel. Celui-ci dispose, en effet, que l'Union oeuvre pour le développement durable de l'Europe.
En l'état actuel, la directive Bolkestein pollue le débat public européen. Une réécriture ou un retrait partiel de ce texte ne suffisent donc pas. Seul l'abandon de cette directive permettra de clarifier le débat européen et de montrer que la dérive libérale n'est pas inéluctable : la mobilisation des citoyens et des acteurs politiques peut changer les perspectives politiques européennes, en créant un véritable rapport de force.
C'est peut-être le premier acte d'un nouveau rapport des citoyens à l'Europe. Nous avons été parmi les premiers, avec le parti socialiste européen et l'ensemble de la gauche européenne, à alerter l'opinion publique pour défendre le modèle social européen. En tant que socialistes et européens convaincus, nous sommes favorables à la réalisation d'un marché intérieur des services, mais pas à n'importe quelle condition. L'Europe des socialistes est une Europe de gauche, c'est-à-dire une Europe de solidarité et de progrès.
Pour l'ensemble de ces raisons, nous voterons contre la proposition de résolution.