Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la France est le pays d’Europe qui dépense le moins, par habitant, pour sa justice. Le budget de cette année n’y changera pas grand-chose, malgré son augmentation de 3, 42 % !
Ce budget est d’ailleurs empreint de la réforme de l’État et de son corollaire, la révision générale des politiques publiques, la RGPP. Sommée de participer à la diminution des dépenses publiques, la justice est touchée par la conception managériale actuelle.
On lui demande tout à la fois d’être économe, rentable, efficace. Mais que signifie la mesure de l’efficacité d’une décision judiciaire à l’aune de la dépense publique ? Est-ce la rapidité, quand on connaît les atteintes aux droits causées par la multiplication des comparutions immédiates ?
Notre commission des lois a regretté une approche essentiellement quantitative.
Quand on parle de justice, on parle de situations humaines, individuelles, souvent complexes. L’efficacité n’est-elle pas précisément dans la prise en compte individualisée de ces situations ? Sur ce point, avec ce budget, le bât blesse !
L’augmentation de 2, 2 % des crédits relatifs aux dépenses de personnel du programme « Justice judiciaire » est, pour une part, destinée à financer vos réformes, le recrutement de 380 salariés venant des études d’avoués et des mesures d’accompagnement de la réforme de la carte judiciaire.
Concernant le nombre de magistrats, la commission des lois a confirmé le risque de dégradation rapide due aux départs en retraite dans les années à venir. Pourtant, les places ouvertes aux concours d’entrée à l’École nationale de magistrature, l’ENM, diminuent chaque année.
De plus, on constate une volonté de recentrer le juge sur sa mission, qui est de dire le droit, et on oublie ainsi son rôle de régulateur social.
Les greffiers, quant à eux, ne peuvent attendre de ce budget les renforts nécessaires. L’embauche de 380 personnes venant des études d’avoués est loin du compte.
Les crédits du programme « Accès au droit et à la justice » connaissent une diminution de 27, 65 millions d’euros pour l’aide juridictionnelle, alors qu’avec la crise le nombre des justiciables qui en ont besoin s’accroît.
Dans le même temps, la réforme de la carte judiciaire – qui, je le souligne, coûtera cher – éloignera les citoyens de leur justice. Je ne suis pas, bien évidemment, opposée au développement de techniques modernes, donc à la dématérialisation d’un certain nombre d’actes, mais on ne remplace pas un tribunal d’instance et la présence de juges par des bornes interactives ou par la visioconférence !
Monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais obtenir quelques précisions. J’ai appris que l’État rendait à la Ville de Paris des locaux actuellement utilisés pour accueillir les tribunaux d’instance dans les mairies d’arrondissement.
J’ai interrogé M. du Luart à ce sujet, mais sa réponse a été assez contradictoire. Monsieur le secrétaire d’État, l’objectif est-il ou non de supprimer ces tribunaux pour, le cas échéant, les concentrer au sein de la future cité judiciaire qui accueillera aux Batignolles le tribunal de grande instance de Paris ?
Les crédits du programme « Administration pénitentiaire » augmentent, quant à eux, de 9, 58 %. Mme la garde des sceaux, lors de son audition par la commission des lois, a indiqué que la mise en œuvre de la loi pénitentiaire était une priorité de son ministère.
Le Gouvernement nous a fait débattre de ce projet de loi en urgence, l’hiver dernier, mais il ne l’a mis à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale que cet automne ! On peut donc s’interroger sur sa priorité, surtout au vu de son contenu, puisque ce texte est bien en deçà de la grande loi pénitentiaire attendue par les professionnels et les associations.
Ce manque d’ambition est perceptible dans le budget qui nous est proposé, les crédits allant principalement à la construction des nouvelles places de prison déjà prévues.
Les crédits accordés ne permettront pas l’amélioration des droits des détenus en prison, au regard du travail, par exemple, comme l’a dit le rapporteur.
Seulement 17, 3 % des crédits seront consacrés à l’action « Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice », autrement dit à la maintenance et à l’entretien des bâtiments pénitentiaires, à l’accès aux soins, au maintien des liens familiaux ou encore aux activités de réinsertion, c’est-à-dire à tout ce qui fait l’objet de la loi pénitentiaire !
Il est également symptomatique que l’effort budgétaire consacré aux services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, soit bien en deçà des besoins avec260 emplois, comme Mme la garde des sceaux l’a dit lors de son audition.
Ce programme bénéficie, certes, de créations de postes, mais il en faudrait 1 200 pour les seuls nouveaux établissements qui, on le voit notamment avec la maison d’arrêt de Lyon-Corbas ouverte en mai dernier, posent de sérieux problèmes. Or, seulement 1 113 postes sont créés, il n’en restera donc pas pour d’autres établissements !
Si les nouvelles prisons offrent, bien sûr, un cadre décent, elles sont en revanche déshumanisées tant pour les personnels que pour les détenus, avec de nouvelles technologies se substituant à l’intervention des surveillants. Ainsi, de plus en plus de détenus demandent à retourner dans leur ancienne prison et, à Corbas, où la violence se développe, 25 % des surveillants étaient récemment en arrêt maladie ! La réforme prend pour modèle la prison américaine.
Le recours systématique aux partenariats public-privé pour la construction et la maintenance des lieux laisse une large latitude aux entreprises propriétaires des prisons pour réduire leurs coûts et augmenter leurs marges, ce qui augure peut-être des économies sur les conditions de travail des personnels et sur les conditions de détention !