Intervention de Daniel Marsin

Réunion du 27 novembre 2009 à 9h45
Loi de finances pour 2010 — Justice

Photo de Daniel MarsinDaniel Marsin :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dire que notre justice connait un certain malaise est une lapalissade !

Cette réalité constitue sans doute un symptôme des maux qui frappent notre société : remise en cause de l’autorité, radicalisation d’une frange désocialisée de la jeunesse, dégradation de la fonction de transmission de l’éducation nationale, désacralisation des institutions, perte du sens civique.

Or, il ne peut y avoir de démocratie sans justice, car celle-ci permet le règlement pacifique des différends tout en canalisant les pulsions naturelles de l’homme. Hélas, nos compatriotes semblent perdre de plus en plus confiance en leur justice, comme l’a montré une enquête d’opinion parue il y a quelques semaines, qui faisait état que près d’un Français sur deux doute de son indépendance. Cette défiance porte atteinte à la légitimité du travail des magistrats, auxquels je tiens d’ailleurs à rendre ici un hommage appuyé.

L’activisme législatif et l’instabilité chronique des normes de droit remettent incontestablement en cause la qualité de la justice. Notre Haute Assemblée vient de voter son quinzième texte de droit pénal en sept ans, et s’apprête à se saisir du seizième, le projet de loi sur la récidive. Nous débattrons au printemps de la suppression du juge d’instruction, sur laquelle il y aurait beaucoup à redire.

Notre droit de la garde à vue est aujourd’hui sérieusement remis en cause par la Cour européenne des droits de l’homme ; mon collègue Jacques Mézard avait d’ailleurs déposé une question orale avec débat sur ce sujet. L’état de nos prisons demeure « une honte pour la République », ainsi que le qualifiaient en 2000 le président Jean-Jacques Hyest et l’ancien président du RDSE Guy-Pierre Cabanel, malgré le vote de la loi pénitentiaire qui ne met pas de frein à la surpopulation carcérale.

C’est dans ce contexte difficile que nous est soumis le budget pour 2010 de la justice. Il nous est aussi agréable qu’à vous, monsieur le secrétaire d’État, de constater que ce budget progresse de 3, 42 %, surtout dans le contexte financier actuel. S’agissant de son exécution, je remarque toutefois que le rythme de la régulation budgétaire – annulations et reports de crédits – ne faiblit pas, en dépit des recommandations générales de la Cour des comptes.

Cette hausse globale des crédits n’est également pas suffisante pour combler le retard qui est le nôtre sur le plan européen, tandis que le budget de la justice en Allemagne ou en Espagne est trois fois supérieur au nôtre à périmètre comparable. Le Conseil de l’Europe n’a pas manqué de stigmatiser cet écart, qui ne cesse de se creuser avec nos partenaires.

Il y a une certaine incohérence à vouloir, d’un côté, renforcer la sévérité de la justice en durcissant les peines et en aggravant les incriminations, alors que, de l’autre, nos prisons sont incapables d’accueillir dignement les détenus, ou encore à chercher à développer des mesures alternatives à l’enfermement sans y allouer les moyens nécessaires. Or la justice reste l’un des parents pauvres de la puissance publique malgré toute la bonne volonté de notre garde des sceaux.

Pour illustrer mon propos, je prendrai deux exemples.

D'une part, le rapport Warsmann-Blanc sur les moyens de la justice et le suivi socio-judiciaire a montré que, onze ans après la création des médecins coordinateurs, près de 40 TGI, dans 17 départements, attendaient toujours l’affectation d’un seul de ces médecins. Or le projet de loi sur la récidive prévoit d’ores et déjà d’étendre un tel dispositif, mais sans y affecter les moyens corrélés. Comment comptez-vous remédier à une telle situation ?

D'autre part, l’ancien garde des sceaux expliquait que le Gouvernement tiendrait son ambitieux programme de réhabilitation et de construction d’établissements pénitentiaires, afin de parvenir à 62 000 places en 2012. Je conviens, comme beaucoup d’ailleurs, que la réalisation de ce programme constituerait une réponse positive au problème de surpopulation carcérale, dont le taux atteint aujourd'hui 120 %. Mais, compte tenu du rythme actuel des flux d’entrées, il faudrait plutôt 80 000 places en 2012.

Ces deux exemples illustrent les conditions très difficiles dans lesquelles les magistrats et tous les fonctionnaires de l’administration de la justice doivent travailler. Ce n’est donc faire preuve ni de démagogie ni de gabegie que de déplorer l’insuffisance des moyens en personnels. Certes, l’essentiel de la hausse des crédits constatée dans le budget 2010 sera absorbée par la création de 1 100 EPTP, dont 80 % seront affectés à l’administration pénitentiaire, qui en a bien besoin. Mais alors que 1 100 postes de conseillers en probation seraient nécessaires, seuls 262 sont créés !

Mon collègue Jean-Pierre Sueur l’a souligné tout à l’heure, le flux des sorties d’élèves de l’École nationale de la magistrature ne compensera plus les flux des départs à la retraite dès 2011.

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