Intervention de Pierre Fauchon

Réunion du 27 novembre 2009 à 9h45
Loi de finances pour 2010 — Justice

Photo de Pierre FauchonPierre Fauchon :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, mon intervention portera non sur des questions budgétaires – je ne parle pas d’argent ! –, mais sur un aspect particulier de la mission de justice : je veux parler de la médiation.

Avant d’en venir à cet aspect, je tiens à apporter un témoignage modeste, celui d’un sénateur tout juste sorti –c’était hier ! – de ce qu’il est convenu d’appeler une « journée d’immersion » dans un parquet général, celui de Rouen. De cette expérience, j’ai retiré un sentiment très positif et extrêmement encourageant : j’ai perçu tout à la fois l’intensité et le caractère réaliste de l’action du parquet général. J’ai apprécié la qualité des méthodes employées. J’ai pu me rendre compte de l’état d’esprit au travail, qui mêle sens des responsabilités et esprit d’équipe.

Si ce système est « hiérarchique » sur le papier, il ne l’est pas du tout au sens militaire du terme. En effet, il associe ce qu’il faut de prise de responsabilités et d’initiatives individuelles à ce qu’il faut de cohérence et d’orientations générales, tout cela étant mené dans un esprit de cordialité et une intensité qui m’ont frappé.

Grâce aux visioconférences, la relation avec les procureurs de terrain est beaucoup plus forte qu’autrefois – j’ai ainsi assisté à une visioconférence au cours de laquelle les procureurs de Bernay, de Dieppe et du Havre ont pu dialoguer avec nous –, ce qui me paraît constituer un réel progrès.

Je suis sorti de cette expérience très admiratif et extrêmement confiant à l’égard de la réforme en préparation, qui vise à augmenter de façon importante les responsabilités du parquet.

Ce préambule achevé, j’en viens à la médiation, au sujet de laquelle je voudrais surtout exprimer une certitude : il s’agit non pas seulement d’une voie nouvelle contribuant à désengager les juridictions, mais tout autant et probablement davantage d’une méthode, d’un esprit, dont la valeur d’exemplarité doit servir de leçon pour toutes les juridictions.

Introduite dans notre droit par une loi de 1995, soutenue très activement par M. Canivet, alors conseiller à la Cour de cassation, et par M. Magendie, Premier président de la cour d’appel de Paris, cette technique apporte plus d’humanité dans le déroulement des procédures. Ce qui est essentiel, c’est qu’elle associe bien davantage les parties à la résolution de leurs litiges en les incitant à construire elles-mêmes une solution plus adaptée et mieux comprise. Et c’est cet aspect de la médiation, souligné par M. Magendie dans son rapport, qui me paraît exemplaire dans la mesure où il contraste avec le caractère passablement artificiel de nos procédures.

En effet, compte tenu de l’effet combiné de la transposition des éléments vécus des conflits dans la thématique et le jargon juridique, complètement incompris du public, du mode de fonctionnement de la justice, trop souvent indifférente aux délais, et des usages si particuliers voire pittoresques de la justice, les parties ne se reconnaissent plus dans leur procès ! M. Magendie n’hésite pas à dire qu’ils vivent parfois un parcours – dans la fonction qui est la sienne, il doit choisir ses mots et ne peut même pas dire « quelquefois », mais moi, je dirai « souvent », et même « trop souvent – « kafkaïen » ! Je lui laisse la responsabilité de l’adjectif !

La médiation est là, par contraste, pour nous rappeler le péril constant d’une justice de moins en moins comprise. Nous le savons et nous le vivons quand nous nous adressons aux justiciables, elle est de moins en moins bien admise et de moins en moins aimée.

Bien entendu, la médiation ne doit pas être considérée comme une déjudiciarisation, une volonté masquée de se débarrasser d’une partie du contentieux, ce qui pourrait être perçu comme une sorte de démission de la justice. Il faut rappeler la mesure phare du rapport Magendie, qui proposait d’enjoindre aux parties de s’informer sur la médiation avant de lancer toute procédure judiciaire. Cette obligation, qui existe d’ailleurs déjà dans le domaine de la médiation familiale, pourrait être étendue à l’ensemble des conflits en matière civile.

Je souhaiterais donc connaître – ce sera ma conclusion, monsieur le secrétaire d'État – les orientations et initiatives que la Chancellerie envisage de mettre en œuvre à ce sujet. Je sais que M. Jean-François Thony a mis en place à l’École nationale de la magistrature une formation spéciale des magistrats pour leur expliquer ce qu’est la médiation. Je lui adresse mes félicitations, ainsi qu’à toute son équipe bordelaise.

J’aimerais savoir ce que la Chancellerie est prête à faire pour que cette forme de résolution des conflits soit prise en compte avec le plus grand sérieux, certes dans sa dimension d’allégement de la charge de la justice, mais plus encore dans la dimension d’exemplarité dont je me suis efforcé de souligner l’importance et la portée.

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